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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°11, 18 mars 2013  >  La démocratie directe suppose un niveau élevé d’intégration [Imprimer]

La démocratie directe suppose un niveau élevé d’intégration

Session de printemps: mercredi, 13 mars 2013 au Conseil national

Au sujet de la révision totale de la Loi fédérale sur la nationalité suisse

par Marianne Wüthrich, juriste

Le Conseil national examinera en premier les détails du projet de Loi sur la nationalité. Si nous observons ici quelques modifications fondamentales de manière critique, nous ne le faisons que sous l’angle des exigences élevées que notre structure fédéraliste et notre démocratie directe avec son système de milice qui y est relié, impose à ses citoyens. Il n’est que juste et bon que nous accueillions volontiers chaque étrangère et chaque étranger – de quelque pays, groupe ethnique, croyance ou continent qu’ils proviennent – pour autant qu’ils se soient bien intégrés à notre pays et
qu’ils soient conscients du caractère unique de notre ordre étatique. Mais ils doivent également prendre conscience de la responsabilité que nous assumons en tant que Suisses envers notre commune, notre canton et la Confédération. Cela ne ferait d’ailleurs pas de mal à l’un ou à l’autre de nos contemporains qui est né citoyen suisse, qu’il se rappelle de temps en temps ces fondements.

Parmi mes amis il y a bien des étrangers qui se sont établis en Suisse. Ils travaillent ici, leurs enfants vont à l’école communale, ils participent à la vie, essaient d’apprendre le dialecte alémanique – ce qui avouons-le n’est pas si simple – ils s’intéressent aux sujets des projets de votation et au système politique de leur commune, du canton et de la Confédération. Plusieurs font partie d’une société locale et occupent leur fonction en tant que milicien: chez les samaritains, à la protection civile, chez les sapeurs-pompiers. Bref: ils contribuent activement à leur intégration. Plus ils vivent ici et se familiarisent avec notre pays, plus la plupart d'entre eux prenne conscience qu’il faut beaucoup d’efforts pour être réellement capable de remplir son rôle un jour de citoyen suisse.

Comment devient-on citoyen suisse?

Durant ma longue activité comme professeur d’école de formation professionnelle, j’ai fait la connaissance de nombreux jeunes originaires de divers pays et continents. La plupart avaient déjà la nationalité suisse en entamant un apprentissage professionnel, quelques-uns l’acquerraient durant leur apprentissage. Ils avaient passé une bonne partie ou la totalité de leur scolarité en Suisse, y avaient appris plus ou moins bien le suisse-allemand (selon qu’ils le parlaient aussi en famille ou qu’ils avaient l’occasion de le parler dans leur temps libre) et s’intégraient. En tant qu’apprentis ils faisaient leurs preuves, étaient volontaires et motivés. Bien entendu pas tous – mais cela concerne aussi bien des jeunes qui sont nés avec le passeport suisse. Mes élèves apprenaient des métiers plutôt simples et beaucoup parmi eux – dont quelques-uns Suisses de naissance – ne connaissaient pas particulièrement bien la structure de l’Etat suisse et n’osaient pas se renseigner avant une votation populaire ou apprendre à connaître et à juger le paysage des partis politiques avant les élections. Une partie de ma tâche comme enseignante de culture générale consistait à  les familiariser avec notre structure d’Etat et notre politique, à lire et à comprendre avec eux les documents de votations sur le pour et le contre, à remplir avec eux des listes d’élections au Conseil national et à les inciter à participer comme citoyens actifs. Un jour au cours de leur apprentissage, je demandais à mes élèves d’aller voir l’administration de leur commune ou une de ses institutions et de rédiger un petit reportage à ce sujet. Ainsi, les rédacteurs et leurs camarades apprenaient à mieux connaître le contexte dans lequel ils vivaient, du contrôle des habitants aux sapeurs-pompiers jusqu’à la station d’épuration des eaux. La visite à la station de police était leur préférence, mais le président de la commune et le secrétaire communal ont été aussi interviewés. A la fin de leur apprentissage, quelques-uns de mes élèves naturalisés Suisses me racontaient fièrement qu’ils allaient faire leur école de recrues. J’ai souvent fait l’expérience qu’un grand nombre parmi eux savait mieux apprécier le fait d’être Suisse que quelques camarades pour qui cela allait de soi. Je garderai toujours en mémoire ce jeune Kosovar qui, le dernier jour d’école, est venu me remercier pour les leçons de civisme et qui ajouta: si je rentre dans mon pays, je dirai à mes compatriotes comment une démocratie peut fonctionner.
Ces deux exemples laissent entrevoir ce qui est important pour quelqu’un qui désire devenir Suisse. Dans un autre pays que la Suisse on devrait aussi être intégré pour acquérir le droit de cité, c’est-à-dire bien savoir la langue et connaître le mode de vie des habitants, ainsi que le système politique.

Durée de séjour assez longue indispensable

Cependant, en Suisse la barre est placée beaucoup plus haut. Pour pouvoir participer aux décisions sur le plan des affaires communales, cantonales et fédérales, une accoutumance est nécessaire, ce qui ne peut se faire en un jour. Nous devrions accorder le temps nécessaire à notre prochain qui est venu dans notre pays et qui désire s’intégrer et participer à la vie sociale et politique.
La proposition du Conseil fédéral ne satisfait pas à cette situation: l’article 9, alinéa 1b du projet demande «la preuve qu’il a séjourné en Suisse pendant huit ans, dont l’année ayant précédé le dépôt de la demande». Il serait donc possible que le candidat à la naturalisation ait passé une fois quelques années ici et quelques années-là, puis enfin une seule petite année en Suisse avant sa demande de naturalisation. Il n’en est pas question! Il faut au contraire exiger un séjour continu d’une certaine durée.
La majorité de la commission veut tout de même prescrire dix ans. Pourquoi ne pas en rester aux douze ans demandés aujourd’hui? Personne ne s’intègre mieux par une naturalisation accélérée, comme le prétendent certains politiciens. D’abord l’intégration, puis ensuite la naturalisation – c’est ça l’ordre réaliste et sensé. La proposition d’une minorité de la commission de s’en tenir aux douze ans «dont trois sur les cinq ans ayant précédé le dépôt de la demande» permet certainement une intégration plus approfondie que le projet du Conseil fédéral.
D’autre part, en me basant sur mes expériences avec des élèves d’école de formation professionnelle voulant se laisser naturaliser, je laisserais subsister l’article 9 alinéa 2: «Dans le calcul de la durée de séjour prévue à l’al. 1, let. b, le temps que le requérant a passé en Suisse entre l’âge de 10 et de 20 ans révolus compte double. Le séjour effectif doit cependant avoir duré six ans au moins». La majorité de la commission du Conseil national veut biffer cette naturalisation facilitée pour les jeunes. Ma réflexion à ce sujet est la suivante: celui qui va à l’école en Suisse et/ou y fait un apprentissage, s’intègre en général plus vite et mieux qu’un adulte. Il passe son temps avec des enfants et des adolescents suisses, suit l’enseignement suisse et surtout utilise quotidiennement la langue du pays; il profite enfin de l’introduction à la vie professionnelle durant son apprentissage.

Comment mesure-t-on l’intégration?

Le Conseil fédéral propose les critères d’intégration suivants:

Art. 12 Critères d’intégration

1    Une intégration réussie se manifeste en particulier par:
a.    le respect de la sécurité et de l’ordre publics;
b.    le respect des valeurs de la Constitution;
c.    l’aptitude à communiquer dans une langue nationale, et
d.    la volonté de participer à la vie économique ou d’acquérir une formation.

A juste titre, bien des Conseillers nationaux s’offusquent de la formulation minimaliste du point c. La «l’aptitude à communiquer dans une langue nationale» ne suffit certainement pas pour profiter des droits et pouvoirs sociaux du citoyen suisse. La majorité de la commission demande donc sous c «l’aptitude à bien communiquer au quotidien dans une langue nationale, à l’oral et à l’écrit». Une minorité de la commission va encore plus loin en ne supposant pas seulement des connaissances dans l’une ou l’autre des langues nationales, mais «l’aptitude à communiquer aisément par oral et par écrit dans la langue officielle de la commune auprès de laquelle a été déposée la demande de naturalisation».
Cette demande est certainement justifiée parce que se pose la question, si par exemple un Allemand peut se naturaliser en Suisse romande sans parler ni écrire le français – puisqu’il s’exprime dans la «langue nationale» allemande (personne ne va probablement demander qu’il s’exprime par écrit en suisse-allemand). Le droit civique suisse comprend aussi et surtout le droit civique de la commune dans laquelle le requérant veut s’intégrer. Il doit donc bien savoir s’exprimer en français s’il veut devenir citoyen de Vevey ou de Delémont.

Conclusion

Le passeport suisse n’est pas seulement un papier qui facilite le voyage de son détenteur et grâce auquel il peut élire tous les quatre ou cinq ans un parti gouvernemental. Il y a une telle abondance de droits et de devoirs politiques reliés au droit civique suisse, tant de possibilités de participer à la structure fédéraliste et de démocratie directe, que bien des gens et des groupes de citoyens d’autres pays aimeraient traduire à leur propre façon une partie du modèle suisse. Ne rendons pas l’acquisition du droit de cité suisse trop facile – car nous avons besoin de citoyens qui connaissent à fond le modèle suisse, qui veulent le conserver et qui sont capables de le transmettre à la génération future.    •