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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°51, 10 décembre 2012  >  Un rapport accablant sur l’absence d’austérité à Bruxelles [Imprimer]

Un rapport accablant sur l’absence d’austérité à Bruxelles

par Emmanuel Garessus

La Cour des comptes européenne, gardienne des intérêts financiers des citoyens de l’Union, a publié son rapport 2011 la semaine dernière. Elle y explique que les paiements sont «affectés par un niveau significatif d’erreur». Pour la 18e fois consécutive, les auditeurs ont d’ailleurs refusé de le signer.
La nouvelle n’a guère ému les médias. C’est le nouveau think tank Open Europe Berlin qui le signale, un institut au conseil duquel nous trouvons le Suisse Charles Blankart et le prince Michael du Liechten­stein.
La conclusion de la Cour des comptes mérite le détour: 3,9% d’erreur sur un budget de 127 milliards d’euros. Cela représente 5,95 milliards de francs suisses. Non seulement le montant est effrayant, mais le taux d’erreur est en augmentation par rapport à 2010 (3,7%). La Commission européenne s’est pourtant félicitée que l’erreur n’atteignait que 5 milliards d’euros et renvoie la responsabilité aux parlements nationaux. Dans le jargon de Bruxelles, on parle d’absence d’«erreur matérielle» lorsque le taux est inférieur à 2%.
Les auditeurs expliquent que «les systèmes de contrôle et de surveillance examinés sont partiellement efficaces pour garantir la légalité et la régularité des paiements sous-jacents aux comptes. Les groupes de politiques Agriculture: soutien du marché et aides directes, Développement rural, environnement, pêche et santé, Politique régionale, énergie et transports, Emploi et affaires sociales, ainsi que Recherche et autres politiques internes sont affectés par un niveau significatif d’erreur.»
La réaction anglaise ne s’est pas fait attendre. Le gouvernement a averti que l’audit «réduisait sérieusement la crédibilité de la gestion financière de l’UE». Il est vrai que cette cour européenne indépendante a montré que les contrôles sur plus de 86% du budget étaient «partiellement effectifs». Son président, Vitor Caldeira, s’est plaint d’avoir découvert de trop nombreux cas où «l’argent n’atteignait pas son objectif, ou l’atteignait de façon sub-optimale».
C’est dans ce contexte qu’il faut entrer dans ce rapport accablant.
La Cour des comptes cite par exemple deux cas de données incorrectes, en Lombardie et en Galicie. Des parcelles consacrées à des pâturages permanents étaient «totalement ou partiellement couvertes de forêt dense ou présentaient d’autres causes d’inéligibilité».
Le taux d’erreur est «significatif» dans la politique agricole (2,9%), le poste le plus important du budget de l’UE. La Commission rétorque que le taux d’erreur «reste dans la marge normale de variation statistique et ne témoigne pas d’une détérioration». Le lecteur jugera. Les auditeurs évoquent par exemple une demande d’aide pour animaux inexistants. Un agriculteur a reçu une prime spéciale de 150 ovins alors que le bénéficiaire n’en possédait aucun.
A chaque critique, la Commission européenne réagit et commente. Elle explique être «consciente des problèmes» et tente d’y remédier avec les Etats membres. Parfois, elle procède à la récupération des paiements indûment versés.
Le développement rural, l’environnement, la pêche et la santé comprend pour sa part 57% d’opérations affectées d’une erreur. Le taux d’erreur s’élève ici à 7,7%. La Commission «prend acte» et admet une détérioration. Les auditeurs mentionnent dix cas où les agriculteurs n’ont pas respecté les engagements agro-environnementaux. Il arrive aussi que le bénéficiaire d’aides européennes, pour un montant de 5 millions d’euros, soit l’organisme payeur lui-même. En Italie, un projet de construction d’un bâtiment pour la transformation de fruits «possédait essentiellement les caractéristiques d’une résidence privée et non d’un bâtiment agricole».
L’offre de marchés publics est assez souvent une source d’erreur. Dans un projet de traitement et d’élimination des boues d’épuration, une seule offre a été remise. Le bénéficiaire l’a jugée inacceptable en raison de son prix élevé, équivalent à plus du double du budget estimé. Des négociations se sont déroulées. Finalement, le marché a été attribué avec une baisse de 1% seulement par rapport au prix proposé.
Enfin, au chapitre «emploi et affaires sociales», 40% des paiements ont été affectés par une erreur. Les auditeurs donnent l’exemple d’une surdéclaration des dépenses de personnel. Un financement a été décerné à une association de soutien aux PME, alors qu’aucun élément n’a pu être présenté pour attester qu’ils avaient consacré du temps au projet.
L’affaire mériterait de faire davantage de bruit. La Commission européenne et le Parlement plaident l’austérité, mais demandent pour leurs propres dépenses une augmentation de 11% de 2014 à 2020.
En fait, la discussion sur le budget est en panne et la période laissant espérer une réforme du budget à long terme va bientôt se terminer. Un document de travail d’Open Europe Berlin cherchant à réformer le processus présente une alternative permettant une réduction d’un tiers des dépenses. Mais le statu quo est probable. Le budget (environ 1% de la richesse de l’UE) ne cherche pas un optimum économique mais un équilibre entre des intérêts particuliers de chaque gouvernement. De plus, chaque Etat membre peut apposer son veto.    •

Source: Le Temps du 14/11/12