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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°43, 8 novembre 2010  >  Peut-on empêcher les guerres grâce à la «démocratie directe»? [Imprimer]

Peut-on empêcher les guerres grâce à la «démocratie directe»?

par Siegfried Eder, Bündnis «Neutrales Freies Österreich»

Peut-on empêcher les guerres grâce à la «démocratie directe»? C’est une question importante, car ce serait une bonne chose et nous allons voir comment il faudrait s’y prendre. Mais en premier lieu, il faut comprendre ce qu’on entend par «démocratie directe», car cette notion n’est que très peu connue dans de nombreux pays d’Europe, ainsi que dans leurs communes.
Il est vrai que depuis le début du XXIe siècle on s’est intéressé à cette forme de démocratie dans quelques régions d’Autriche et dans le Tyrol du sud. Toutefois, on semble ne pas comprendre vraiment le phénomène et il y a trop souvent des confusions.
Ainsi dans les Länder (provinces poli­tiques) de Salzbourg et de Carinthie on a établi une «liaison téléphonique directe» vers les candidats aux élections du Parlement régional, ce qui devait permettre aux citoyens et citoyennes* de se connecter pour leur poser des questions. C’est tout sauf de la démocratie directe, cela frise la perversion.
Parmi les confusions, on trouve souvent celle qui est faite entre «la consultation populaire» et le «référendum populaire» dans des articles de journaux et des lettres de lecteurs. Ce fut le cas lors du débat concernant le centre de détention des personnes expulsées à Vordern­berg en Styrie. A la radio, il était question de référendum populaire – et en même temps de consultation populaire. Sur Internet, on pouvait lire que le maire de la ville flairait «la chance du siècle pour Vordern­berg; cependant, si les citoyens éprouvaient des réticences, ils pouvaient les faire connaître à la mairie dès vendredi». Ceci n’est pas non plus de la démocratie directe qui rendrait impérieuse la décision populaire.
En interrogeant les membres d’exécutifs, du Vorarlberg jusqu’au Burgenland, donc à travers toute l’Autriche, on reçoit comme réponse qu’il s’agit effectivement «d’éléments de démocratie directe», soit les consultations populaires, les initiatives populaires, les pétitions, voire les sondages. – Mais tout ceci ne tient pas, car ni le législateur ni les gouvernements ne sont tenus de les respecter. On ne peut donc une fois de plus pas parler là de démocratie directe.
Il y a pourtant des consultations popu­laires dans le pays, mais c’est extrêmement rare. Il y a en plus un hic: ces consultations doivent être ordonnées par le chancelier (Premier ministre) du gouvernement, par le chef du gouvernement régional (Land), ou encore par le maire de la localité. C’est un peu mince pour être taxé de véritable démocratie directe.
Qu’on se souvienne de la consultation populaire à propos de la centrale nucléaire de Zwentendorf, au bord du Danube, dans la région de basse Autriche. Le résultat fut à l’inverse des espoirs de la classe politique, cela malgré une propagande intense. Il y eut aussi une consultation populaire lorsque le comité olympique exigea que la population le soutienne largement pour les jeux olym­piques d’Innsbruck. Là aussi, le résultat ne fut pas celui attendu par les groupes de pression financiers et les politiques.
Mais une véritable démocratie directe implique justement que les décisions popu­laires soient impératives, et cela quel que soit le sujet de l’initiative populaire. Chez nos voisins suisses, il y a même des consultations populaires obligatoires, où les autorités sont tenues de soumettre le sujet à leurs citoyens. Le résultat du vote est alors impératif pour l’exécutif, qui porte bien son nom puisqu’il doit s’exécuter au vu de la décision du peuple.
Cette démocratie directe, qui donne le pouvoir au peuple souverain, a été conçue par un certain Jean-Jacques Rousseau qui s’était inspiré du modèle de Genève, sa ville natale. Le royaume de France, où régnait le pouvoir absolu était son opposé. Dans un geste de reconnaissance, les Genevois lui ont érigé une grande statue, au milieu du Rhône sur une île. Ses idées n’ont guère percé jusqu’au Danube, sauf qu’on croit savoir qu’il souhaitait «le retour à la nature».
Dans la mesure où nous souhaitons en savoir plus, nous devons acheter nous-mêmes son livre «Du contrat social»; ce n’est pas notre Etat qui nous l’offrirait. Toutefois, toute jeune apprentie d’une librairie vous trouvera immédiatement ce petit livre. En plus, il ne coûte pas cher.
En démocratie directe, la population est en majorité, plus intelligente, plus raisonnable et plus économe que les députés dans les parlements régionaux ou communaux en démocratie parlementaire. Quant au Parlement fédéral de Vienne, on ne peut dire qu’il rayonne d’intelligence plus que le peuple dans son entier, ce qui, finalement, a peu d’importance. Il est vrai que nos politiciens ont de la faconde, à tel point qu’il ne faut pas parler là d’élite, mais d’élite bavarde.
En ce qui concerne la question de majorité/minorité lors des consultations populaires, Rousseau estime dans son «Contrat social» que ceux qui se sont trouvés minorisés lors d’une consultation doivent admettre qu’ils se sont trompés et accepter la décision de la majorité. Il n’est donc pas vrai que le peuple serait divisé lors de consultations, comme le prétendent nos politiciens.
On n’a guère à se préoccuper des gouvernants, que ce soit dans les villes ou à la campagne. Ils ne sont que des exécutifs qui appliquent ce que la démocratie – directe ou indirecte – leur dicte au travers des décisions du législatif.
Les idées de Rousseau ont été diffusées dans toute la Suisse par les «sociétés de lecture», ces idées sont devenues entre-temps des «droits populaires». Qu’on ne s’imagine pas que ces droits furent un cadeau, le peuple dut se battre pour les obtenir. En effet, les élites bavardes ont une forte tendance au pouvoir et à exercer leur influence, elles ne sont pas des championes de la modestie.
Les représentants du peuple et du gouvernement ne sont modestes et proches des citoyens que tant que l’épée de Damoclès, que représente la démocratie directe, reste suspendue au-dessus de leurs têtes et qu’on les empêche de prendre seuls des décisions, et qu’ils sont forcés de présenter leurs projets au peuple qui est le souverain.
C’est bien pourquoi on n’assiste pas en démocratie directe aux renversements propres aux partis dans la démocratie parlementaire indirecte. Bien au contraire, les partis doivent se concentrer sur leurs projets qu’ils veulent soumettre au peuple, afin de les présenter sous leur meilleur jour, plutôt que de n’en pas finir avec les attaques contre les adversaires politiques et de mener des intrigues. En fait, il ne devrait pas y avoir d’adversaires politiques puisque tous ne veulent que le bien du pays et du peuple, n’est-ce pas?

Guerre ou paix?

Nous en arrivons à la question posée dans le titre. Vous pouvez bien vous imaginer que si on demande au peuple d’un certain pays d’envoyer sa jeunesse à la guerre, il réfléchira à deux fois et se décidera plutôt pour la paix, au contraire des ministres, des chefs de l’armée et de leurs généraux. Le peuple s’engagera plutôt pour la défense du pays au lieu d’aller à l’aventure dans une guerre d’agression ou pour apporter «la démocratie dans l’Hindu Kuch».
Une autre solution s’offre par la neutralité militaire pour laquelle peut se décider un peuple face au conflit entre deux pays. Un tel cas particulier peut conduire à la neutralité perpétuelle. Ce n’est pas à confondre avec une neutralité d’opinion – ou qu’on ne devrait pas marquer de solidarité avec d’autres peuples qui vivent en paix.
En français on utilise encore le mot allemand de «Führer» comme injure, on ne lui connaît pas d’équivalent linguistique, alors qu’en allemand ce terme reste courant pour toute personne dirigeante, soit en politique, en économie ou dans d’autres domaines. Il n’y a guère que les membres des gouvernements, généralement nommés plutôt qu’élus, qui sont dénommés hypocritement ministres (du latin: minister = serviteur), alors même qu’ils servent davantage leurs propres partis que le peuple, ce qui se révèle dans les appellations selon les partis: ministre SPÖ, mi­nistre ÖVP.
Des dirigeants particulièrement futés dé­cèlent depuis des décennies, à l’aide de leurs services secrets et de leurs réseaux, de prétendues menaces venant d’autres pays, d’autres peuples ou d’autres religions (p.ex. le «terrorisme»), afin de pouvoir finalement prétendre que la guerre avait été inévitable. Ils font seule­ment semblant de penser à des négociations pour une entente, c’est-à-dire à la paix.
Comme on peut s’en rendre compte, il n’y a pas de commune mesure entre les décisions de ministres et de leurs clans, et celles d’un peuple. Au contraire, les peuples sont fondamentalement raisonnables et ne se laissent pas facilement influencer.
Le rédacteur en chef de l’hebdomadaire «Weltwoche» (Suisse) s’est exprimé dernièrement comme suit dans le quotidien «Frankfurter Allgemeine» (Allemagne): «La classe politique, bien soutenue par tous les grand éditeurs des journaux conformistes, a orchestré une vaste campagne d’intimidation.» Il entendait par là l’énorme pression exercée sur les votants dans son propre pays. Ce qui n’empêcha pas le peuple suisse de voter en faveur de l’interdiction de construire des minarets, estimant que ces constructions reflètent une volonté politique qu’ils refusent. A noter qu’il ne s’agit que des minarets et pas des mosquées.
Il est incontestablement risqué pour un Président ou Premier ministre d’avoir le peuple au-dessus de soi lors de prises de décisions importantes. Toutefois, il ne leur devrait pas être difficile de s’en accommoder, dans la mesure où ils tiennent compte des volontés du peuple. C’est malheureusement assez rare qu’ils doivent le faire, et c’est bien pourquoi ils craignent les votations popu­laires comme la peste.

Voulez-vous la paix totale?

Dans l’affirmative, alors il ne nous faut en Europe plus que des petits Etats qui se tiennent en un équi­libre stable, comme le prétend Leopold Kohr, le grand philosophe de la province de Salzbourg. Il faudrait de nombreux petits pays dont les peuples auraient davantage de droits que leurs représentants. Comme déjà évoqué, nous ne voulons pas parler ici des membres du gouvernement, car ils ne représentent de toutes façons qu’eux-mêmes, et pas nous.
Certes, nous ne jouirons pas rapidement d’une paix totale; toutefois, nous devrions, pour le moins, commencer à instaurer dans notre propre pays la démocratie directe et inciter tout un chacun à engager le débat avec sa parenté, ses voisins et concitoyens, comme le disaient les insurgés, il y a quelques siècles, dans le pays au-delà de la rivière Enns, un affluent du Danube. Ils réclamaient déjà à cette époque ce qui s’appelait «les libertés helvétiques»! Toutefois, tant sa majesté à Vienne que le prince électeur à Munich détenaient toujours le pouvoir – à l’aide du noble Pappenheim. Ces trois chefs ont eu des milliers de morts sur la conscience. Il faudrait encore après coup leur intenter un procès.
Mais attention. Lors de l’introduction de la démocratie directe, nous devons nous méfier de certains experts qui, bien sûr, y sont opposés. Ils préfèrent conseiller les politiques plutôt que d’apporter des explications à la population. Comme par exemple ce polito­logue autrichien, professeur d’université bien rétribué, qui tient les votations telles qu’en Suisse pour un grand mal, le peuple, selon lui, n’étant pas capable de discernement dans les questions de grande portée. Il considère que les peuples sont trop stupides, mais n’ose quand même pas le dire ouvertement.
S’engager en faveur de la démocratie directe, c’est servir la paix, au lieu de donner dans la guerre ou de soi-disant mesures humanitaires, comme le prétendent certains esprits tordus, dont même des détenteurs du prix Nobel de la paix.
Nous devons exiger l’introduction de la démocratie directe par des lettres adressées aux journaux régionaux, nous devons diffuser les idées de Rousseau qui voulait que ce soit le peuple qui jouisse de la souveraineté et pas le tyran de la ville de Graz, celui d’un arrondissement de Vienne ou de la basse Autriche. Nous n’avons pas non plus besoin d’un roi soleil. Même dans la Principauté du Lichtenstein, c’est le peuple qui décide de ses impôts et pas «Son Altesse».
Nous devons exiger la démocratie directe par des coups de téléphone ou par des entretiens avec nos députés dans notre propre circonscription. C’est une préparation importante pour le maintien de la paix, à la portée de tous les citoyens, tant les anciens que les nouveaux (et concernant ces derniers, on devrait se demander, dans le cas contraire, pourquoi ils ont fui leurs pays dévastés par la guerre pour se réfugier chez nous).
Nous devons aussi exiger la démocratie directe, telle que l’entendait Rousseau, ceci lors de débats dans des forums, mais aussi partout où l’on peut déposer des commen­taires sur Internet.
Ce n’est que dans la démocratie directe que le peuple peut imposer ses propres décisions à l’encontre de ses prétendus serviteurs, ministres, dirigeants et présidents.
C’est uniquement en démocratie directe que le peuple peut s’exprimer en faveur de la paix et contre la guerre!    •
(Traduction Horizons et débats)

*    On entend toujours par là les citoyens des deux sexes.