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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°17, 4 mai 2009  >  Au Sri Lanka, les ressources du sous-sol et les considérations géostratégiques importent plus que la vie des Tamouls [Imprimer]

Au Sri Lanka, les ressources du sous-sol et les considérations géostratégiques importent plus que la vie des Tamouls

Une interview de Nirjai David

hd. Nirjai David est journaliste depuis 20 ans et connaît parfaitement la situation à Sri Lanka. Ses explications offrent une vision intéressante du conflit que connaît le Sri Lanka depuis plusieurs décennies, des faits sur lesquels on ne peut pas faire l’impasse. Si nous suivons son analyse, il est évident que le conflit sri-lankais met en jeu des intérêts économiques et stratégiques. Ces jeux d’intérêts devraient pouvoir faire pièce aux obligations qu’imposent la Déclaration universelle des droits de l’homme, le droit à l’autodétermination des peuples et le droit international humanitaire. Ces traités ont été signés par la majorité des Etats afin d’établir des règles permettant aux peuples de vivre en paix et d’arrêter les conflits armés.

Horizons et débats: A Sri Lanka se déroule un conflit dont les médias parlent peu. Mais le journaliste que vous êtes s’est beaucoup intéressé aux coulisses du conflit.

Nirjai David: Oui, il s’agit du problème du Sri Lanka et du problème tamoul à Sri Lanka. Je suis directement concerné par le génocide cruel qui est en cours là-bas, en tant que journaliste tamoul et en tant qu’être humain. Ce génocide dure depuis longtemps et l’auteur en est le gouvernement sri-lankais avec le soutien des superpuissances.

Quelle est selon vous la raison principale qui empêche la résolution d’un conflit vieux de plusieurs décennies?

Le problème principal est que la «communauté internationale», qui dispose de nombreuses plateformes où elle défend les droits humains avec énergie, ne se soucie en rien du génocide perpétré par le terrorisme d’Etat sri-lankais à l’encontre du peuple tamoul.
Parallèlement cette même «communauté internationale» soutient de diverses façons, directes ou indirectes, le terrorisme d’Etat sri-lankais.
La raison en est que le Sri Lanka présente un intérêt géopolitique ou géostratégique pour la plupart des grandes puissances mondiales.

Concrètement, de quels Etats parlez-vous?

Les USA, la Grande-Bretagne, les pays occidentaux, l’Inde, la Chine, le Japon et même la Russie, quoique dans une moindre mesure.
Il faut savoir que le Sri Lanka, dans l’océan Indien, est un peu comme une femme superbe. De même que des hommes bien sous tous rapports chercheraient à gagner le cœur de cette femme, nombre de pays dans le monde et en particulier de grandes puissances aimeraient gagner celui du Sri Lanka. Et c’est pour cela qu’ils ne se soucient guère des agisse­ments de cette femme.

Quel intérêt présente pour eux le Sri Lanka?

Prenons sa situation géographique; le Sri Lanka est en plein cœur de l’océan Indien. Voyons tout d’abord quelle est l’importance de l’océan Indien et sa situation géostratégique avant de passer aux ressources du Sri Lanka.

L’importance de l’océan Indien

De tous les Etats que vous avez nommés plus haut, l’Inde est le plus proche géographiquement du Sri Lanka. Quel intérêt présente-t-il pour elle?

K.M. Panikkar, le concepteur de la doctrine indienne de la marine de guerre a expliqué il y a plus de cinquante ans que la Nouvelle Dehli devait prendre conscience de l’immense importance de l’océan Indien pour le développement de ses activités commerciales et sa sécurité. Il regrettait «la déplorable tendance indienne à négliger, dans le débat re­latif à ses problèmes de sécurité, l’importance de la mer», et ajoutait: «L’Inde n’a perdu son indépendance qu’après avoir perdu dans la première moitié du XVIe siècle, sa supré­matie dans l’océan Indien.» Pour cette raison il tient à ce que l’océan Indien reste aux mains de l’Inde. Il proposait d’imiter Alfonso de Albuquerque1 qui s’était assuré la domination de points éloignés, comme Singapour, l’île Maurice, Aden et Socotra (île dépourvue d’eau au large du Yémen).
Il accordait également beaucoup d’impor­tance, dans une optique de sécurité, à l’ex­tension de l’influence politique de l’Inde à Ceylan (aujourd’hui Sri Lanka) et en Bir­manie. Il faisait remarquer qu’il fallait prendre en compte les intérêts que présentait cette région pour la Chine, écrivant qu’«il faut observer le mouvement vers le Sud, en particulier toutes les possibilités dont pourrait user, en matière de stratégie maritime, une Chine qui cherche à nouveau à s’imposer.»
Plus tard K.B. Vaidya, un autre analyste militaire indien bien connu, disait: «Même si nous ne pouvons pas dominer les cinq grandes mers du monde, nous devons au moins nous réserver l’océan Indien.» Il soulignait en outre que l’Inde devait être la puissance suprême et incontestée de l’océan Indien. Il demandait la création de trois flottes complètes, qui seraient stationnées aux îles Andaman dans le golfe du Bengale, à Trincomalee (à Ceylan, le Sri Lanka actuel), et enfin à l’île Maurice, pour surveiller les visées occidentales et orientales sur l’océan Indien.

Cela signifie que ce qui est en jeu, c’est la suprématie sur l’océan Indien?

La grande voie de communication mondiale passe par l’océan Indien. Celui-ci est donc très important à l’avenir pour le commerce des puissances occidentales. Toutes les cargaisons de pétrole en provenance du Moyen-Orient et à destination de l’Asie de l’Est et du Sud-Est partent des ports de la mer Rouge ou du golfe Arabo-Persique. La route maritime passe ensuite par la Mer d’Oman, puis franchit le golfe de Mannar et longe les côtes occidentale, méridionale et orientale du Sri Lanka. Elle continue ensuite vers le Nord-Est par le golfe du Bengale pour rejoindre la route qui passe par le détroit de Malacca. 80% du pétrole à destination du Japon et 60% de celui qui va en Chine empruntent cette voie. Environ la moitié des transports mondiaux par conteneurs traverse les goulots de cette route et de ses embranchements.
C’est pourquoi l’Inde, le Japon, la Chine et les USA ont un grand intérêt à maintenir leur position de force dans l’océan Indien.

Et donc le Sri Lanka détient l’une des positions-clés sur cette route maritime. Dans quelle mesure l’Inde a-t-elle réussi jusqu’à présent à s’assurer une place importante?

L’Inde a et conserve une position dominante dans l’océan Indien du seul fait de sa situation géographique. Et de plus elle se donne beaucoup de peine pour y maintenir sa supré­matie. Premièrement, l’Inde a déterminé toutes les frontières maritimes avec les autres Etats situés au Sud, à l’Est et au Sud-Est et leur a donné un statut légal. Elle a signé en 1974 un premier traité, avec l’Indonésie, qui fixait la frontière entre la grande Nicobar [principale île de l’Archipel des Nicobar, ndlr.] et Sumatra. En 1977 un autre traité prolongeait les frontières dans l’océan Indien et la mer des Andaman. La même année, l’Inde et la Thaïlande fixaient leurs frontières dans la mer d’Andaman, et signèrent à cet effet en juin 1978 un traité, entré en vigueur en décembre suivant. En février 1978 fut officiellement élaboré à Djakarta un traité où l’Inde, l’Indonésie et la Thaïlande concluaient un accord sur les frontières dans le triangle maritime délimité par les trois pays. Ce traité a été signé en juin 1978, avec prise d’effet en mars 1979. Le tracé de la frontière maritime avec le Myanmar a été ratifié en 1987. En 1974 et 1976 ont été déterminées les frontières maritimes avec le Sri Lanka. A la même époque ont été conclus des traités relatifs aux frontières entre les Maldives, le Sri Lanka et l’Inde. (Le conflit opposant l’Inde au Bangladesh à propos de l’île de New More Island a cessé lorsque l’île fut engloutie par la mer. L’Inde a signé en outre le traité Indo-Lanka de juillet 1987.)

Vous avez également parlé de la Chine, qui essaie d’accéder au statut de grande puissance et de ce fait défend ses intérêts dans l’océan Indien et au Sri Lanka. Où cela apparaît-il?

La Chine travaille systématiquement à conserver sa position dans l’océan Indien. Les discrètes entreprises de la Chine, depuis la fin des années 80, pour établir des routes maritimes sûres pour son approvisionnement en énergie, ont conduit New Dehli à sonner le tocsin. L’Inde semble craindre que cette voie de transport, que la Chine a protégée au moyen d’installations stratégiques placées le long de la route, n’en arrive à donner à Pékin la suprématie maritime dans cette région. Il faut faire le rapprochement avec les installations portuaires chinoises sur la Grande Île Coco (cette île fait partie de l’archipel des Andaman, mais appartient au Myanmar.)
La Chine possède également une base maritime à Bandar Abbas sur la côte iranienne, située sur la route qui emprunte le détroit d’Ormuz dans le golfe Arabo-Persique. (Il n’est pas besoin de s’étendre sur l’importance de cette route pour le trafic pétrolier international. La moitié du commerce pétrolier y est localisée.) La Chine construit en outre une installation portuaire à double but à Gwadar, dans l’Est du Pakistan. Les étapes suivantes sur cette route sont les Maldives et le Sri Lanka. La Chine a négocié en 1999 un accord avec les Maldives l’autorisant à établir une base militaire à Marao, l’une des plus grandes îles des 1192 atolls qui constituent les Maldives; elle se trouve à 40 km de la capitale, Malé.
Après deux ans de négociations, cet accord a été conclu le 1er mai 2001, lors de la visite à Malé, du Premier ministre chinois qui accomplissait une tournée dans les quatre pays d’Asie du Sud.
La base de Marao ne sera pas opérationnelle avant 2010. Pékin entend utiliser cette base pendant 25 ans et dédommager en retour les Maldives, en devises étrangères.
Un porte-parole de l’armée indienne, qui entendit la mise en garde, a écrit: «Les atolls coralliens sont des ports idéaux pour les sous-marins. La Marine de guerre chinoise propose de baser à Marao des sous-marins nucléaires transportant des armes atomiques et armés de fusées et de projectiles «Dong Feng 44» pouvant être utilisés à partir de la mer.»

Les réserves de pétrole sri-lankaises

Depuis, la Chine a également établi d’excellentes relations avec le Soudan et l’Erythrée. Ce qui revient à essayer systématiquement de bien contrôler les routes maritimes. Jusqu’ici nous n’avons pas évoqué les ressources sri-lankaises dont vous avez parlé. Qu’en est-il de la Chine sous ce rapport?

Quand elle établissait ces dernières années des relations avec Colombo, la Chine louchait vers l’industrie pétrolière. La Ceylon Petroleum Corporation a signé le 4 dé­cembre 2000 avec la Huanqiu Chemical Engineering Corporation un accord pour la construction d’une installation de stockage du pétrole à Muthurajawela. La capacité de production sri-lankaise devait selon les attentes doubler dans les trois ans à venir. La firme chinoise a installé, outre 29 réservoirs, un système de bouées qui permettrait de décharger les tankers sans les faire entrer dans le port. Elle a également réparé, à Kolannawa près de Colombo, 6 autres réservoirs qui avaient été endommagés par une attaque des LTTE [Tigres tamouls, ndt.]. Le gouvernement sri-lankais a déclaré que la collaboration avec la Chine avait commencé à ce moment, mais on parlait en fait d’une extension des raffineries sri-lankaises et de collaboration dans le domaine de l’industrie pétrolière. Le gouvernement sri-lankais décida aussi de construire en commun avec la Chine un port à Ampanthota, un village côtier au Sud de Sri Lanka. Par la même occasion, il promit à la Chine de confier l’extraction du pétrole à Mannar et Puttalam à des firmes chinoises.
Pendant ce temps on a vu l’Inde se mettre en toute hâte à contrer la participation de la Chine à l’industrie pétrolière sri-lankaise. L’Inde diminuait ainsi l’importance stratégique de l’océan Indien pour l’appro­visionnement de la Chine en éner­gie.

Donc il s’agit d’une part de la situation géo­stratégique privilégiée du Sri Lanka dans la lutte pour la suprématie maritime, mais aussi des ressources de son sous-sol. Cela concerne-t-il aussi les USA?

Les USA possèdent une grosse base militaire dans l’île de Diego Garcia. Cette île se trouve dans l’océan Indien, à 1600 km environ au Sud de la côte méridionale indienne, et à proximité du Sri Lanka et des Maldives. Diego Garcia abrite une base cogérée par les USA et le Royaume-Uni. C’est une station d’approvisionnement en carburants et une base d’appui de la Maritime Prepositioning Ship Squadron Two, c’est-à-dire de l’unité responsable du déploiement des navires au sein du Military Sealift Command Propositioning Program [unité de la marine américaine responsable des navires d’intendance et de transports militaires, ndlr.], un «élément actif» stratégique important dans l’armée des USA. L’île possède aussi une base aérienne à partir de laquelle la U.S. Navy-P3-Orion maritime patrol aircraft recevait un appui durant la Guerre froide. Depuis le 11-Septembre elle appuie, en complément de la flotte aérienne P3, quelques-unes des principales unités aériennes des USA. Diego Garcia sert de base aux bombardiers B-52, B-1-B et B-2 ainsi qu’à divers avions-réservoirs pour certaines missions. Durant la guerre du Golfe en 1991, l’île a joué ce rôle pour le 4300th-Bomb Wing (Provisional), composé de bombardiers B-52-G, stationnés en temps de paix sur la base aérienne de Loring, dans l’Etat du Maine, et sur d’autres bases. Diego Garcia a enfin été utilisée pour appuyer les opérations militaires en Afghanistan durant l’Opération Enduring Freedom ainsi que pour l’invasion de l’Irak en 2003.
Avant l’invasion de l’Irak en 2003 des bunkers antiaériens mobiles high-tech ont été construits sur l’île.
Les bombardiers B-52, B-1 et B-2 transférés à Diego Garcia en prévision de la Seconde guerre d’Irak ont conduit, le 22 mars 2003, la première attaque aérienne contre Bagdad. Certains de ces bombardiers ont largué des bombes anti-bunkers pesant 1905 kg, guidées par GPS et laser, destinées lors de la première frappe à tuer Saddam Hussein et d’autres têtes du Parti Baath.
Diego Garcia est une base régulière de la P-3C-Orion maritime patrol aircraft de la Marine US [surveillance des mers, ndlr.]. La base fait également partie du réseau de surveillance spatial américain, avec une station du Three telescope GEODSS-[Ground-based Electro-Optical Deep Space Surveillance System = complexe de télescopes comportant une batterie de télescopes à miroir, ndlr.] et une terrain d’atterrissage d’urgence pour les vaisseaux spatiaux de la NASA.
Mais il faut noter que le traité permettant l’utilisation de l’île comme base militaire par la Grande-Bretagne et les USA, conclu en 1966, ne vient à expiration qu’en 2036, avec toutefois la possibilité pour les deux gouvernements d’y mettre fin en 2016.
Des organisations de défense des droits humains ainsi que les autochtones de l’île exercent une forte pression sur ces gouvernements pour leur faire quitter l’île. Ils intentent des actions judiciaires aussi bien devant la Haute Cour britannique qu’au niveau de plate­formes internationales et tentent d’atteindre leur but par des voies juridiques. Cela veut dire que l’avenir des puissantes bases militaires US dans l’océan Indien est menacé.
Entre temps les USA ont trouvé le Sri Lanka commode, aussi bien pour en faire une base militaire que pour utiliser ses installations portuaires.

Depuis 1951 les USA ont une base au Sri Lanka

L’intérêt des USA pour le Sri Lanka est donc récent?

Non, ils y ont une base depuis 1951. Ils y avaient construit la station émettrice de la Voice of America, VOA. L’accord a été renouvelé en 1983. Lors du renouvellement les USA ont affermé 800 acres (environ 3,25 km2) à Nathanbia et 200 acres (0,8 km2 environ) à Iranawilam pour y construire leur station. 200 familles qui occupaient ces terres ont été transférées et les deux zones ont été entièrement remises aux mains des Américains. Ceux-ci ont entouré le terrain de hauts murs et de barbelés. Personne n’a le droit d’y pénétrer. C’est un territoire totalement américain. On dit que les Américains y ont installé des stations émettrices à basse fréquence de grande puissance, qui leur permettent de communiquer même avec les sous-marins nucléaires de guerre stationnés dans l’océan Indien. On dit que ces stations de grande puissance leur permettent de surveiller la totalité des communications cryptées en Asie du Sud-Est. Ils peuvent perturber ou même inter­rompre quand ils le veulent toute la circulation de l’information. Ils peuvent même, s’ils le désirent, transmettre à leurs amis intimes des détails de ces communications. Le 6 mars 2007, les USA ont signé avec le gouvernement sri-lankais l’Acquisition and Cross-Servicing Agreement (ACSA), conclu entre eux et Rajapakse. Aux termes de cet accord les na­vires américains ont accès quand ils le veulent aux ports sri-lankais, en particulier celui de Trincomalee. De nombreux analystes politiques et militaires font remarquer que par cet accord les USA ont acquis officiellement une nouvelle base.
Maintenant nous comprenons pourquoi l’Inde, la Chine et les USA ont tant intérêt à de bonnes relations avec le gouvernement sri-lankais, jusqu’à tolérer quelques viola­tions des droits humains.

Selon certaines sources, des conseillers militaires israéliens assisteraient Colombo dans son conflit avec les Tamouls. Est-ce de la propagande, ou y a-t-il du vrai là-dedans?

En ce qui concerne Israël, le problème est la résolution 242 de l’ONU, qu’Israël n’a pas acceptée; moyennant quoi le gouver­nement sri-lankais de Sirimavo Bandaranaike a fermé en 1970 l’ambassade israélienne au Sri Lanka. Mais lorsque les jeunes Tamouls entamèrent leur lutte contre le Sri Lanka, quelques-uns des 39 mouvements d’activistes tamouls ont été entraînés en Palestine et au Liban – pas les LTTE –, dans les années 80 plus de 30 mouvements différents se battaient pour les droits des Tamouls. A cette époque le gouvernement sri-lankais devint un client des USA. Et les Israéliens qui étaient adeptes de cette tactique ont alors décidé de combattre les cadres tamouls formés en Palestine et au Liban.

Israël entraîne secrètement l’armée sri-lankaise

C’est ainsi qu’en juillet 1983 J.P. Samara­singhe partit en mission secrète pour Israël et y conclut un accord avec le gouvernement. Ensuite David Matney, ministre israélien chargé des Relations avec l’Asie pacifique, effectua une visite secrète au Sri Lanka où il conclut avec le gouvernement un accord prévoyant un entraînement top secret des forces de combat sri-lankaises. Puis le Mossad initia l’armée sri-lankaise à la stratégie de guerre contre-insurrectionnelle. Ce sont également les Israéliens qui ont entraîné l’unité spéciale (SFT) qui joue depuis un rôle central dans les violations des droits humains dans la province de l’Est. L’année 1984 a vu l’ouverture d’un centre de santé israélien dans l’ambassade américaine au Sri Lanka. Et en mars 1985, alors que tous les étrangers devaient obtenir un visa pour entrer à Sri Lanka, le gouvernement fit savoir que les ressortissants israéliens n’en auraient plus besoin, parce qu’Israël le soutenait dans sa lutte contre les Tamouls. Cela ne concernait qu’Israël, les Indiens eux-mêmes avaient besoin d’un visa.
Les USA ont conduit une opération militaire, l’Operation Valentine, confiée aux Bérets verts. Ils ont entraîné la 53e division, une division de commandos de l’armée sri-lankaise. Ils ont entraîné au grand jour les forces armées sri-lankaises à la lutte contre les Tigres. Cela a été dit en 1984 et 1990 dans la presse sri-lankaise. A l’heure actuelle il semble que tout le monde aide les Sri-Lankais, mais on ne connaît pas tous les détails. Les Dora gun boats, des navires de patrouille utilisés par la marine de guerre sri-lankaise, sont fournis par Israël. Ils jouent un rôle décisif dans la lutte contre les forces mari­times des LTTE. Ce sont des bateaux capables d’attaques très rapides. Et les Doras et Super-Doras viennent d’Israël.

Lorsqu’on parle du Sri Lanka, le port na­turel de Trincomalee, à l’Est de l’île, revient sans cesse. Quelle importance a-t-il pour les grandes puissances?

Il s’agit à nouveau des ressources dont dispose le Sri Lanka en plein cœur de l’océan Indien. Prenons ce port de Trincomalee, dans la région orientale du Sri Lanka. C’est un port naturel de 8 km de diamètre. Ce port peut offrir un abri sûr à un très grand nombre de navires. On ne peut pas les voir de l’extérieur, car le port de Trincomalee compte un très grand nombre de presqu’îles. Il est donc parfait pour y dissimuler des bateaux; un grand nombre de navires de guerre peuvent y mouiller. Même les sous-marins nucléaires en charge y sont à l’abri. 110 réservoirs y sont également en sécurité. Chacun contient 10 000 tonnes de pétrole. Ils ont été installés là par les Britanniques lorsque ceux-ci occupaient l’île. Le port a été utilisé par les forces britanniques jusqu’en 1967. Puis l’armée sri-lankaise y a installé sa base, et c’est resté en l’état jusqu’à maintenant. Trincomalee se trouve sur les terres ancestrales du Tamil Eelam, mais l’occupation sri-lankaise progresse dans cette région. Pour des raisons géostratégiques les USA, la Chine et L’inde s’intéressent à ce port.

Un minerai rare utilisé dans l’industrie informatique

Il est intéressant que vous comptiez le Japon au nombre des pays intéressés par le Sri Lanka. Pourquoi est-ce le cas?

Le Japon en est venu à s’intéresser lui aussi à Sri Lanka parce que la partie orientale des terres ancestrales tamoules abrite un village du nom de Pulmoddai. Et Pulmoddai est très connu à cause d’un minerai nommé ilménite, ainsi que diverses autres richesses. [L’ilménite est un oxyde minéral de fer et de titane, de formule chimique FeTiO3, ndlr.]. Le début de la mousson du nord-ouest renouvelle les ressources disponibles à Pulmoddai chaque année; les réserves sont évaluées à 25 ans pour une extraction annuelle de 150 000 tonnes. A Pulmoddai on trouve 4 millions de tonnes de sables à forte teneur en minerai. Ces sédiments sont parmi les plus connus au monde, surtout en raison de leur teneur élevée en minerai, 60 à 70%. Le Japon fait partie de ceux qui utilisent les ressources de Pulmoddai. L’ilménite est utilisée dans la fabrication des micropuces. Voilà pourquoi le Japon s’intéresse tant au Sri Lanka. Pulmoddai est situé entre Mullativu et Trincomalee, à l’Est du Sri Lanka, en territoire tamoul. Un jour, un navire japonais a été attaqué alors qu’il transportait de l’ilménite de Pulmoddai. Dans les semaines qui ont suivi, Yasushi Akashi, l’envoyé spécial japonais s’est précipité à Killinochi et a négocié avec les LTTE. Il s’intéressait beaucoup à l’ilménite, parce qu’ils en avaient besoin pour les micropuces produites au Japon. Et donc il a négocié avec les LTTE la possibilité d’exploiter ce minerai. Les Japonais ont effectué plusieurs visites, après quoi les navires n’ont plus été attaqués. Cela explique pourquoi le Japon est impliqué dans le processus de paix. Et maintenant que les LTTE ont été repoussés loin des lieux d’extraction de l’ilménite, ce même Yasushi Akashi vient au Sri Lanka et séjourne à Colombo où il félicite le gouvernement sri-lankais de sa magnifique victoire sur les LTTE.

Alors c’est la même chose qu’au Congo, où est extrait le coltan, un minerai rare utilisé pour les portables.

Au Sri Lanka, l’ilménite fait partie des matières premières importantes qui retiennent l’attention des puissances industrielles et en conséquence détermine leur attitude politique – ici, celle du Japon.

L’armée de libération tamoule (LTTE) n’a-t-elle jamais essayé de s’assurer le soutien d’Etats puissants?

Une histoire qui date des temps de l’intervention de l’armée indienne raconte que quelques compagnons du chef des LTTE, Prababbakaran, allèrent le trouver et lui demandèrent pourquoi ils ne recevaient aucun soutien de la Chine et du Pakistan dans leur lutte contre les forces indiennes de «maintien de la paix», car ils manquaient d’armes et d’autres aides. Prababbakaran leur dit alors: «Si nous demandions à ces deux pays de nous aider, nous recevrions sûrement de l’armement en quantité; mais je songe à l’avenir en prenant en compte les Tamouls qui vivent au Tamil Nadu, en Inde. Ceux-là pensent que la Chine et le Pakistan sont leurs ennemis. Si nous acceptions le soutien de ces deux pays, nous préparerions à la prochaine génération de Tamouls une guerre civile, car la population du Tamil Nadu n’accepterait jamais le Tamil Eelam, qui aurait été soutenu par l’ennemi.» Voilà pourquoi les LTTE n’ont jamais demandé le soutien de la Chine et du Pakistan lorsqu’ils combattaient les forces indiennes.

Ce qui veut dire que le peuple tamoul n’a aucun soutien dans le monde. Quelle en est à votre avis la conséquence sur le déroulement actuel de la guerre?

Les grandes puissances ont coutume d’ignorer les violations des droits humains quand elles ont quelque profit à retirer du pays qui les pratique. Tout le monde a en tête l’attitude du Canada au Timor oriental. Les affaires sont plus importantes que les vies humaines.
Regardez la carte du Sri Lanka. Les forces sri-lankaises ont d’abord annexé la partie orien­tale du Sri Lanka. Elles ont occupé Marvilaru, qui se trouve à proximité du port de Trincomalee. Pour garantir la sécurité du port et de ses réservoirs, elles ont planifié la première opération. Le Sri Lanka a fait cela pour avoir un atout en main. Le gouvernement savait que si Trincomalee était dans ses mains, il aurait le soutien du monde entier. La deuxième étape c’était Batticalola, dans la partie Nord. Les Sri-lankais ont d’abord conduit des opérations militaires dans la région de Mannar et Puttalam, deux régions pétrolifères. La suivante a eu pour théâtre Veli Oya, tout près de Pulmoddai et de ses gisements d’ilménite. Vous comprenez, si les zones intéressantes sont entre les mains du gouvernement, toutes les grandes puissances le soutiendront. C’est la raison du soutien apporté au Sri Lanka par la Chine, l’Inde et les USA.
Personne ne se soucie de la façon dont ce gouvernement traite ses propres citoyens. Personne ne veut mettre un terme au génocide perpétré avec grand succès par les terroristes d’Etat sri-lankais. Les grandes puissances font même un concours, à qui leur livrera le plus d’armes.

La situation au Sri Lanka est précaire. Vous êtes de ces journalistes qui ont cherché à contribuer par une information claire à une résolution du conflit. Et vous avez dû vous exiler.

Lorsqu’on veut résoudre un conflit, il y a deux approches fondamentales: l’une consiste à rassembler, l’autre à diviser. Un rassembleur essaie de rapprocher deux personnes ou deux communautés. Un diviseur cherche à opposer deux communautés. Le gouvernement sri-lankais a éliminé (entendez: assassiné) ceux qui voulaient rapprocher les deux communautés. Par exemple les journalistes bien connus, parlant anglais, disposant d’une bonne connaissance de la presse internationale et respectant l’exactitude des faits. Parallèlement, dans les zones de conflit, ils créent et encouragent les «diviseurs». A Batticaloa par exemple il y a un grand nombre de «diviseurs» qui séparent la population en «Cinghalais du Sud» et «Tamouls». Et ceux qui essaient de créer des liens sont systématiquement éliminés (assassinés). Au cours des 4 dernières années 23 journa­listes tamoulophones ont été «éliminés».

Autrement dit, on tente par ce moyen de faire taire des voix importantes. En tant que journaliste vous contribuez largement à rompre le silence. Nous vous remercions pour cette interview.    •

(Traduit par Michèle Mialane, révisé par Fausto
Giudice, www.tlaxcala.es)

1    C’est-à-dire de créer un réseau de points d’ancrage sécurisés directs et indirects, qui n’apparaît pas forcément comme tel aux yeux d’observateurs extérieurs. En revanche il constituerait pour l’Inde un filet de sécurité. Alfonso de Albuquerque, (1460–1515), noble portugais, connu comme gouverneur de l’Inde et fondateur du système colonial portugais.