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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°3, 23 janvier 2012  >  «La voie d’un centre réformateur et raisonnable» [Imprimer]

«La voie d’un centre réformateur et raisonnable»

«Mise en place d’une communauté politique reposant sur une action réciproque de liberté et d’autorité, d’affirmation de soi et d’orientation vers l’autre, comme fondement de la personnalité libre.» A propos d’un ouvrage consacré à Gerhard von Scharnhorst

par Karl Müller

En 1997, il y a donc une quinzaine d’années, Klaus Hornung, professeur émérite de science politique à l’Université de Stutt­gart-Hohenheim, écrivit une biographie du réformateur militaire prussien Gerhard von Scharnhorst.
Dès l’introduction, Hornung déclare qu’il ne s’agit pas, pour lui, d’un simple regard en arrière, mais aussi (et surtout) de l’Allemagne contemporaine. Il regrette «la perte du sens de l’histoire dans notre époque de mesquinerie» et il cite le patriote conservateur libéral de Rhénanie, Joseph von Görres, qui s’était exprimé, peu avant la révolution de 1848 de façon très critique: «Le peuple qui renonce à son passé prête le flanc à toutes les tempêtes imprévisibles de l’avenir.»
Selon Hornung «[…] Le manque de connaissances historiques et de compréhension du passé, tel qu’il se présente actuellement, affaiblit la faculté de jugement politique et la capacité individuelle et collective de s’orienter. […] En réalité, la perte de mémoire historique réduit la capacité de saisir la réalité politique et de reconnaître son identité.» Et Hornung de continuer: «Le souvenir est un fondement et une force non seulement de l’affirmation de soi au cours des temps, mais aussi de l’humanité des peuples et des cultures, dans la mesure où ils ne veulent pas ‹retomber dans le froid inhumain de la barbarie›. […] C’est pourquoi les grands esprits, tant de la pensée que de l’action, ont leur place dans les nations de culture. Un peuple assure son honneur et sa dignité, préserve ses perspectives et ses forces en sachant constamment prendre conscience de son être et de ses performances.»
Nous nous abstenons ici de redessiner en détail le chemin parcouru par Scharnhorst – il avait grandi dans des conditions relativement modestes, mais avait eu des modèles positifs comme soldat et officier, d’abord au service de Hanovre à la fin du XVIIIe siècle, puis son chemin le mena au grade de général et de réformateur de l’armée prussienne. Il mourut malheureusement trop tôt. Ce n’est pas non plus le lieu pour décrire les détails des événements de l’époque de Scharnhorst – une époque de transformations considérables, de l’extension de la volonté de domination de la France et de la défaite totale paralysant un Etat prussien encroûté. Hornung a procédé à une description parfaite de tout cela – non seulement dans son contenu, mais aussi dans son style facile à lire. En prenant connaissance de la biographie de Scharnhorst on se rend compte d’avoir affaire à un grand esprit capable de fortes actions dans l’histoire allemande.
Il s’agit, ici, d’aller au fond des choses et d’en tirer les leçons servant au présent et au futur du pays. C’est à quoi s’est exercé Klaus Hornung dans son essai biographique.
Selon le dictionnaire Duden «le patriotisme est l’amour de son pays, un attachement sentimental aux valeurs, aux traditions et aux performances culturelles de son peuple, ou si l’on veut de sa nation.» Les Allemands ont toujours encore bien du mal avec leur patriotisme. On a le sentiment que le patriotisme allemand doit rester confiné. Pour les personnes de l’ancienne génération, le «spectre brun du nazisme» (dixit Hornung) leur bouche toujours la voie. Cela est compréhensible et ne peut être l’objet de reproches. Et c’est tout de même plus acceptable que le contraire. Que se passe-t-il donc avec ces Allemands, cette prétendue élite, laquelle se présente de nouveau pleine de suffisance, voire d’arrogance et de volonté de domination?
On ne peut s’empêcher, en ce début du XXIe siècle, d’avoir le sentiment qu’on a perdu le sens de la remise en question du national-socialisme et des autres formes de dictatures. Ödön von Horváth parla dans son roman «Jeunesse sans Dieu», paru en français en 1938, d’une «époque des poissons» froide et nihiliste, décrivant ainsi le fondement même d’une mentalité déniant la capacité sociale de l’humain, et réduisant la capacité émotionnelle, tout cela avant la grande catastrophe.
Dans la mesure où la recherche de sa propre identité signifie aussi se refléter dans l’autre, se reconnaître et se développer et s’épanouir en relation avec autrui, le regard toujours porté sur un présent commun et une histoire commune, lorsqu’il s’agit de reconnaître les lois de la vie sociale et de les accepter, alors on saisit aussi que le relativisme, le constructivisme et le nihilisme actuels sont un poison mortel qui mène à l’agonie et à l’outrecuidance.
Gerhard von Scharnhorst nous a montré un autre chemin – c’est pourquoi, de s’intéresser à lui et à sa biographie ne peut qu’être un contre-poison.
Klaus Hornung s’intéresse aussi aux opinions «courantes» concernant Scharnhorst et les réformes prussiennes et écrit à ce sujet: «De tels jugements montrent notre curieuse attitude du présent envers l’histoire, qu’on ne veut pas vraiment prendre en compte ‹telle qu’elle fut réellement›, mais qu’on cherche à instrumentaliser comme ‹politique de l’histoire› au service des situations idéologiques et de domination du moment, en quelque sorte comme un ‹choix de matériel utilisable librement› pour étayer les opinions et les objectifs du présent».
De ce point de vue, il semble qu’un regard objectif et dénué de préjugés sur l’époque et la personne de Gerhard von Scharnhorst soit gênant, du fait qu’une discussion honnête pourrait mener vers les sources d’un patriotisme politique allemand sain et vers une prise de conscience nationale.

Un renouvellement pour la défense des valeurs

Klaus Hornung reconnaît dans les efforts des réformateurs prussiens, dans les années autour de 1800, la tentative de se libérer d’une domination au caractère impérial. Non pas de façon abrupte et révolutionnaire, mais prudemment et pas à pas, non pas avec agressivité – Scharnhorst critiquait toute forme de guerre d’agression –, mais dans le sens d’un renouvellement pour la défense des valeurs.
A l’époque, ce fut l’empereur Napoléon I, qui voulut soumettre le monde entier au nom du «progrès». Selon Hornung, les réformateurs, compagnons de Scharnhorst, visaient «à renouveler de fond en comble la société et l’Etat» et à tenir compte de ce que Clausewitz formula en 1805: «Il ne doit pas y avoir, pour le bien des peuples, une deuxième Rome; quelle que soit la nouvelle création ressortant de la crise politique, on ne peut attacher des nations entières à un seul char triomphal». Selon Hornung «ce fut le modèle des réformateurs et des patriotes»: «Leur conception se résumait en un cosmos fait de peuples et d’Etats égaux en Europe dans le cadre duquel le ‹patriotisme› et l’esprit civique pouvaient s’épanouir, alors que l’empire napoléonien se présentait de plus en plus comme un renouvellement de l’ancienne volonté française de domination au moyen de l’idée révolutionnaire, universelle, émancipatrice et dominatrice.»
Selon Hornung, Scharnhorst «avait choisit de s’opposer aux tentations révolutionnaires et de choisir la réforme de l’Etat grandi au cours de l’histoire.» Son programme consistait en «la conservation grâce à des transformations apportant des améliorations». Il refusait une «conception individualiste et égoïste selon laquelle les mécanismes de l’Etat n’étaient conçus que pour des intérêts individuels». Son idéal était «une construction politique de la société, dans laquelle il y avait un échange entre la liberté et l’autorité, une affirmation de personnes libres capables de se tourner vers autrui. La vision de Scharnhorst était celle «d’un centre raisonnable et réformateur.»
Scharnhorst passe pour le réformateur de l’armée prussienne; dans une époque où l’Allemagne risque d’être prise dans un nouveau système de mercenariat moderne, où même des officiers haut-gradés de la Bundeswehr exigent des «combattants archaïques» et non plus des «citoyens en uniforme», il serait temps de se souvenir des aspects positifs de l’ancien système.
Scharnhorst exigeait de ses soldats de se comporter en «citoyens capables d’une pensée politique et ayant assez de caractère pour prendre des décisions», ayant le «sens de responsabilité pour la communauté». Il s’engageait pour que «l’officier soit un modèle» qui apparaisse comme quelqu’un au «caractère intègre, plein de dignité et de camaraderie, ayant le sens de ses devoirs et un esprit de corps, de même que le sens du patriotisme, s’appuyant sur les modèles anciens et leur force morale». Il voulait que chacun soit capable «d’analyser sans préjugés les situations internes et externes de la communauté». Responsabilité à diriger signifiait pour lui s’engager avec toutes ses forces, afin d’assurer «l’existence, la liberté et la pérennité de la communauté».
Scharnhorst se présentait comme défenseur d’une nouvelle conception de l’Etat et de la politique, pour un Etat fort à l’extérieur et «à l’intérieur prônant la liberté et la vertu. Il fallait s’appuyer sur la réalité culturelle et spirituelle du peuple, une communauté permettant à tout un chacun de s’identifier et respectant la dignité de ses membres, la protégeant et lui assurant une force grâce aux échanges réciproques entre liberté et autorité».
Il fut un temps, après la Seconde Guerre mondiale, où, en Allemagne, on s’appuyait ouvertement sur les idéaux de Scharnhorst. En 1965, le ministère allemand de la Défense publia un «décret de tradition» dans lequel on rendit hommage à Scharnhorst. Ce décret rappelait les vertus et la tenue exigées des soldats par Scharnhorst: «Sincérité et justice, respect de la dignité humaine, générosité et esprit chevaleresque, esprit de camaraderie et prévention, courage et dévouement, sang-froid et dignité tant dans le malheur que dans le succès, retenue dans son apparition et dans son style de vie, discipline tant dans ses pensées que dans le langage et le corps, tolérance, fidélité de l’esprit et crainte de Dieu.»
Ce sont des vertus et un comportement qui devraient faire l’objet de réflexions non seulement de la part des soldats d’aujourd’hui, mais aussi des citoyennes et citoyens de n’importe quelle classe sociale. Cette biographie de grande valeur de Gerhard Scharnhorst, rédigée par Klaus Hornung, peut être d’une grande aide.    •

«Dans la mesure où la recherche de sa propre identité signifie aussi se refléter dans l’autre, se reconnaître et se développer et s’épanouir en relation avec autrui, le regard toujours porté sur un présent commun et une histoire commune, lorsqu’il s’agit de reconnaître les lois de la vie sociale et de les accepter, alors on saisit aussi que le relativisme, le constructivisme et le nihilisme actuels sont un poison mortel qui mène à l’agonie et à l’outrecuidance.
Gerhard von Scharnhorst nous a montré un autre chemin – c’est pourquoi, de s’intéresser à lui et à sa biographie ne peut qu’être un contre-poison.»