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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°9, 5 mars 2012  >  Economisation excessive de l’aide au développement? [Imprimer]

Economisation excessive de l’aide au développement?

Global+

Restons-en aux objectifs sociaux au lieu de céder à des fantasmes globaux et à la bulle économique verte

par Michèle Laubscher

L’OCDE, club des pays industrialisés, revient dans son Rapport sur la coopération pour le développement 2011 sur les 50 dernières années et s’interroge sur les défis à venir.1 Neuf auteurs s’y expriment, parmi lesquels James Wolfensohn, ancien président de la Banque mondiale, Michelle Bachelet, directrice d’ONU Femmes et Donald Kaberuka, président de la Banque africaine de développement. Il en résulte une série de postulats qui n’offrent pas une idée d’ensemble très claire mais confirment certaines tendances.

Critique des ODM

Le Rapport reconnaît l’importance des Objectifs du Millénaire (ODM) qui ont donné un nouvel élan à l’aide au développement et à son financement, mais en même temps, il les critique parce qu’ils sont trop axés sur la dimension sociale et négligent la croissance économique.
Cette critique correspond bien à la tendance internationale actuelle. Des agences de développement gouvernementales et la Commission européenne, des banques de développement et le G 20 demandent de plus en plus que l’on abandonne les objectifs sociaux pour s’orienter vers la croissance économique avec le secteur privé comme moteur du développement. Mais comment les pays pauvres vont-ils promouvoir la croissance économique et renforcer le secteur privé si de grandes parties de la population sont sous-alimentées, sans formation et souvent malades? Ceux qui critiquent les ODM répondent de manière vague en disant que la croissance doit être globale, verte et s’adresser à un large public.
Les auteurs s’accordent sur un point: la coopération pour le développement doit aller au-delà de la lutte contre la pauvreté, elle doit comprendre des thèmes comme le climat, l’inégalité des sexes, favoriser l’équilibre macroéconomique et le commerce, protéger la biodiversité, imposer les droits de l’homme, garantir aux peuples indigènes le contrôle de leurs ressources, servir de levier aux investissements privés, développer les infrastructures (transports, énergie, etc.). A voir cette liste presque infinie, on ne s’étonnera pas que l’ancien président du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE Richard Manning pose la question – rhétorique – de savoir si l’aide au développement ne devrait pas se fixer pour objectif la «gestion durable de la planète».
Pour Jean-Michel Severino, ancien directeur de l’Agence française de développement, ce n’est pas une question mais un impératif: l’aide au développement devrait être rebaptisée «politique sociale mondiale» et s’occuper de la totalité des biens publics mondiaux.2

Approvisionnements de base vs biens publics mondiaux

Certes, les biens publics mondiaux jouent un rôle décisif dans le développement d’un pays, mais il serait dangereux d’en déduire que la mission de la coopération pour le développement consiste à conserver ces biens ou à les mettre à disposition pour que les pays pauvres puissent se développer. Richard Manning en montre très clairement les risques: les pays pauvres pourraient se voir contraints d’investir l’aide au développement d’une manière qui profite avant tout aux autres. Il mentionne l’exemple des technologies énergétiques coûteuses. Il est à craindre que ces investissements forcés dans des biens publics mondiaux empêchent quasiment les pays dépendants de l’aide d’investir de manière équilibrée les moyens mis à leur disposition.
En d’autres termes, plus l’aide au développement sera investie dans les biens publics mondiaux, moins les pays dépendant de cette aide la consacreront aux approvisionnements vitaux de leur population. D’autre part, il existe des interactions entre ces biens et la lutte contre la pauvreté: les conséquences du réchauffement climatique, les pandémies comme celle de VIH/sida et les crises financières augmentent la pauvreté.
C’est pourquoi, selon Manning, il est impossible de déterminer précisément si l’on finance le développement ou les biens publics. Il estime que pour sortir de ce dilemme, l’aide au développement doit aborder plusieurs thèmes mais en même temps mettre davantage l’accent sur la lutte contre la pauvreté en se concentrant par exemple sur les 20% les plus pauvres des pays partenaires.

Qui va payer?

Mais le Rapport ne dit pas comment financer ces nouvelles missions. Seul Severino s’exprime à ce sujet, mais de manière assez vague. Il propose d’imposer les élites riches de tous les pays au moyen d’une taxe sur les billets d’avion, mais il ne dit rien de la seule mesure qui serait vraiment efficace, c’est-à-dire une taxe sur les opérations de change. Selon une estimation du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), une taxe de 0,005% rapporterait chaque année 40 milliards de dollars. En déplaçant la virgule d’une position vers la droite, cette taxe resterait minime mais elle rapporterait suffisamment pour financer les ODM et les mesures de lutte contre le changement climatique nécessaires dans les pays en développement.
En revanche, le Français, qui siège aujourd’hui notamment au conseil d’administration de la multinationale Danone, se montre très concret en matière de comptabilité «créative»: Il suggère de considérer comme aide au développement la totalité des dépenses qui, sous une forme ou une autre, contribuent au développement des pays pauvres. Donc pas seulement la coopération officielle pour le développement financée par l’argent des contribuables mais également les financements privés tels que les taxes de solidarité sur des biens de consommation ou les fonds d’investissement socialement responsables de banques privées. Ce genre de calcul n’apporte pas un centime de plus, mais différents pays industrialisés y tiennent beaucoup car cela leur permettrait de faire meilleure figure, car ils sont loin d’honorer leurs promesses.
Le financement de l’aide au développement n’est pas le seul sujet occulté par le Rapport. Il n’entre pas non plus dans le débat sur la cohérence de la politique de développement mise à mal par la politique économique extérieure des pays industrialisés. Or cette cohérence est beaucoup plus importante que l’aide au développement des pays pauvres.
L’OCDE se considère volontiers comme l’instance de référence pour l’aide au développement. Or si elle entend encore assumer ce rôle à l’avenir, elle doit éviter que l’aide ne soit détournée de sa finalité première pour devenir un système chargé de la gestion durable de la planète et des biens publics mondiaux. En effet, quelle que soit la nécessité d’une approche globale, ce n’est pas la mission de la coopération pour le développement.    •

Source: Global+, no 44 2011/2012

(Traduction Horizons et débats)

1    Development Cooperation Report 2011,  www.oecd.org/dataoecd/40/S3/488o6367.pdf
2    Ils comprennent notamment l’air et l’environnement non pollués, la stabilité climatique, la paix, la sécurité, la lutte contre les pandémies et les migrations incontrôlées, la stabilité financière et les règles commerciales. Ces biens ne sont pas liés aux frontières nationales et sont en tout temps à la libre disposition de tous les hommes.

La Suisse suit le mouvement

ml. De plus en plus, la Suisse investit également son aide au développement dans la gestion des biens publics mondiaux. Elle finance de plus en plus des domaines dont notre pays tire un profit direct, comme la stabilisation du climat ou la lutte contre les migrations incontrôlées. Et à l’instar d’autres pays industrialisés, elle s’oppose à de nouveaux moyens de financement des missions supplémentaires, comme la taxe sur les billets d’avion ou celle sur les opérations de change. En outre, elle ne veut pas utiliser une partie de la taxe carbone pour financer les mesures de lutte contre le changement climatique. En revanche, elle ne s’est guère prononcée sur les nouvelles propositions comptables. A vrai dire, elle profite déjà considérablement des astuces comptables existantes: L’année dernière, les frais de prise en charge des demandeurs d’asile venant de pays en développement ont représenté plus de 16% de l’aide au développement. Aucun autre pays de l’OCDE n’arrive à un pourcentage aussi élevé.