Véritable économie de marché ou dictature du MES?Interview de Beatrix von Storch, présidente de la «Zivile Koalition e.V.»Beatrix von Storch, présidente de la «Coalition civile» (cf. encadré ci-contre) lutte pour l’avenir de l’Europe et le maintien de la démocratie. Avec l’abandon de la souveraineté budgétaire des Etats membres de l’UE, comme le prévoit le projet du traité du MES (Mécanisme européen de stabilité), la démocratie prendra fin. Plus de 200 000 courriels de protestation ont été envoyés au Bundestag. Horizons et débats: Madame von Storch, qu’est-ce qui vous a amenée à vous occuper de la problématique de l’euro? Beatrix von Storch: Nous ne nous occupons que depuis peu de la problématique de l’euro et de l’Europe. Notre association «Zivile Koaliton e.V.» a commencé le travail en 2004. A l’époque, nous nous sommes concentrés à dire que l’Allemagne était en faillite et sera bientôt insolvable. L’Allemagne, c’est ce que nous disions alors, est dans une problématique de surendettement, l’Allemagne a un problème de bureaucratie, l’Allemagne n’est plus un pays libre. C’était qui, «nous»? Ce sont mon mari et moi. Nous nous connaissions déjà au temps de nos études et là déjà, nous nous sommes creusé la tête ensemble sur beaucoup de choses. Avec nous, il y avait toujours quelques amis d’études, des amis et des connaissances. Mais le noyau en ce temps-là, c’était nous deux. Mon mari était toujours l’instigateur, il a dit: Il nous faut une structure dans laquelle nous pouvons bouger. Nous avons besoin d’une communication vers l’extérieur, nous devons construire un travail de base, nous avons besoin d’un journal à nous. Nous aurons même besoin de notre propre chaîne de télévision. Mes connaissances et moi, nous pensions que ce ne serait pas facile. Comment faire un journal à nous? Jusqu’à ce que mon mari ait vu quelque part la Huffington Post et qu’il ait dit: C’est exactement comme ça que nous allons le faire. Et là, nous avons commencé, par exemple à créer ce journal. A un certain moment, mon mari a dit: Maintenant nous devons arriver à atteindre les députés. Nous avons donc besoin de quelque chose comme un observatoire des députés (Abgeordneten-Watch). Et cela s’est réalisé sous forme du contrôle des députés (Abgordnetencheck). Trouver les idées, analyser les problèmes, nous le faisons ensemble. Notre projet grandit. En juin 2006 nous avons écrit notre première Lettre aux membres à plusieurs milliers de citoyens. La lettre contenait une analyse globale des problèmes. C’était notre lettre d’ouverture avec laquelle nous nous sommes adressés à la base. Pour un public plus large vous vous êtes fait connaître ces derniers mois avec votre engagement contre le MES. Lorsque nous avons découvert le projet de traité du MES, il était clair pour nous que toutes ces discussions que nous avons eues à l’échelle nationale étaient tout à fait hors de propos si ce projet de traité voyait le jour. Car si la démocratie est attaquée dans son essence de cette façon, on ne va plus se soucier de réformes des systèmes démocratiques en Allemagne. En effet, ce système démocratique sera aboli avec ce Conseil de gouverneurs de l’UE qui décidera de nos budgets. Lorsque nous transférons les droits des parlements nationaux vers un soi-disant Parlement européen, absolument pas démocratique, alors notre démocratie est abolie, je dis «soi-disant» parce que ce n’est pas un vrai parlement. Un parlement est élu démocratiquement. Dans un vrai parlement, un Luxembourgeois n’a pas dix fois plus de poids de votes qu’un Allemand. Environ 850 000 Allemands élisent un député et environ 85 000 Luxembourgeois le leur. Ce n’est pas démocratique. L’importance de l’Etat nationQuelle importance a pour vous la souveraineté, ont les Etats nations vis-à-vis de cette grande formation de l’UE? Nous sommes pour une démocratie forte. Nous avons besoin d’un ancrage solide du pouvoir exécutif et législatif dans le vote du citoyen. Démocratie veut dire que c’est le peuple qui habilite ses représentants pour une durée limitée. A la fin d’une période d’élection, la souveraineté revient au citoyen. Et il la donne de nouveau. Mais qu’est-ce qui se passe maintenant? En Europe, si cela se passe suivant le projet du traité du MES, un Conseil gouverneur sera créé. Tous les pays de l’euro devraient y envoyer leurs experts des finances, probablement le ministre des Finances, qui pourront aussi se faire remplacer, par exemple par n’importe qui de l’industrie des finances ou du lobby des finances, du lobby des banques. Et cette commission est tout d’un coup une commission qui n’existera pas seulement pendant quatre ans et qui sera alors réélue ou non, mais là, les pays de l’euro renouvelleront toujours leurs représentants. Le représentant maltais par exemple sera retiré après les élections à Malte et remplacé par un autre; et puis six mois plus tard un nouveau représentant italien sera nommé, à cause des élections en Italie etc. Mais la commission en tant que telle reste. Nos gouvernements sont en train de lui céder quasiment notre souveraineté budgétaire, parce qu’on leur dit que ce Conseil gouverneur a le pouvoir d’augmenter le «volume de sauvetage», fixé au début à 700 milliards d’euros, de façon autonome. Avec cela, la souveraineté budgétaire n’existe plus qu’en théorie. La souveraineté passera à une commission que je ne peux ni élire ni destituer. C’est cette commission qui décide. Maintenant on nous dit toujours: Oui, mais c’est seulement si le représentant allemand vote pour. Car l’Allemagne a le droit de veto. Ce n’est pas vrai. L’Allemagne n’a pas de droit de veto. D’après le projet du traité, il y a des décisions qui doivent être prises consensuellement. Il n’y est cependant pas écrit ce que cela veut dire. Est-ce que c’est encore consensuel ou pas si le représentant allemand s’abstient? Notre actuel ministre allemand des Finances veut payer autant que possible. Il veut faire les plans de sauvetage aussi grands que possible. S’il n’arrive pas à les faire passer au Parlement allemand, il y met le levier. Et il nous explique que l’efficacité de ce levier ne conduirait pas à une plus grande responsabilité. Nous ne dépenserons pas seulement 400 milliards de crédits, mais deux billions. Mais la responsabilité ne deviendrait pas plus lourde, ce ne serait qu’une petite histoire de comptable. Je sais, moi, ce que ce ministre des Finances ne ferait en aucun cas: déposer son veto. Lorsque le Parlement allemand aura décidé qu’il devra y mettre son veto, cela ne veut rien dire du tout, car ce gouvernement a déjà montré plusieurs fois qu’il ne se tient pas aux décisions du Parlement. Ils font tout simplement ce qu’ils veulent. Et pour cette raison, on ne peut pas du tout s’y fier. Ces questions ne devraient-elles pas être discutées par la base dans ces pays? Le tribunal constitutionnel allemand a déjà dit: Si avec la majorité des voix des autres pays on prenait des décisions sur notre pays, ce serait la fin de la souveraineté nationale. Nous avons une AELENous avons une AELE et nous l’avons toujours.C’est exact. Il faut vraiment remettre en question si l’on dit aujourd’hui: Nous avons besoin d’une politique sociale européenne unitaire, une politique fiscale européenne unitaire, d’une politique économique européenne unitaire, d’une politique européenne d’imposition unitaire. Ou bien ne suffit-il pas de créer des espaces de libre-échange? Je n’ai aucun problème avec l’euro en soi. Ce qui devrait être notre intérêt, c’est une monnaie forte. Les pays qui peuvent se permettre une monnaie forte, c’est-à-dire les pays économiquement forts peuvent volontiers avoir une monnaie commune. Cela va dans la direction de la proposition de Hans-Olaf Henkel. Nous voulons en Europe une coopération étroite là où cela est sensé et intelligent. Nous ne voulons pas devenir un pays avec une monnaie faible, nous ne l’avons jamais été, nous ne le voulons pas. Je pense que les problèmes qui se posent peuvent être résolus, si des Etats souverains négocient entre eux et font des traités de façon intelligente. Pour cela ils ne doivent pas abandonner leur identité. Le combat pour la souveraineté d’argumentationLors de la manifestation de la Coalition civile en septembre à Berlin avec le thème «Traité du MES – La voie vers l’Union des dettes? – Abolition de la démocratie et de la souveraineté», vous avez dit: «Nous donnons une voix aux citoyens». Pouvez-vous l’expliquer? Oui! Le problème est aujourd’hui que nous n’avons dans nos parlements – tout au moins en Allemagne – pas d’opposition en ce qui concerne les questions centrales. Si l’on avait interrogé la population, on n’aurait jamais eu l’euro. Et tous ces rejets qu’il y a maintenant, on ne les aurait pas eus. Nous aurions peut-être eu d’autres problèmes. Mais pas celui d’imprimer actuellement des billions, soi-disant pour sauver. Tous ces petits et faibles pays qui luttent maintenant avec ce problème fou du surendettement n’auraient jamais eu ce problème sans l’euro. Sommes-nous en train de vivre le naufrage de l’économie de marché? Nombreux sont ceux qui prétendent que nous sommes en train de vivre le naufrage de l’économie de marché. «Coalition civile»«Nous sommes un groupement de citoyens qui militent pour davantage d’engagement civil dans la société allemande. Ensemble, nous nous employons pour des réformes que les gens en Allemagne désirent réellement et dont ils ont besoin. Source: www.zivilekoalition.de Référendum sur le plan de sauvetage de l’euro en Allemagnerr. 80% des citoyens allemands ne sont pas d’accord avec les décisions du Bundestag concernant le plan de sauvetage de l’euro. Or, cette opinion ne se reflète nullement au sein du Parlement. Les quelques députés qui s’y opposent, que l’on traite de déviationnistes, ne suffisent pas à la représenter. Puisque «tout pouvoir d’Etat émane du peuple» et que celui-ci «l’exerce au moyen d’élections et de votations et par des organes spéciaux investis des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire» (art. 20-2 de la Loi fondamentale), et étant donné qu’actuellement aucun parti n’est disposé à représenter l’avis de ces 80% de citoyens, un référendum est nécessaire comme ajustement démocratique. Selon Rousseau, «où se trouve le représenté, il n’y a plus de représentant» (Contrat social). Si le peuple veut agir lui-même à l’aide d’un référendum, aucun parlement (représentant du peuple) ne peut passer outre ou même l’en empêcher. Sinon il s’agirait d’une mise sous tutelle.Le plus haut magistrat allemand, le président de la Cour constitutionnelle fédérale Andreas Voßkuhle est d’avis que le référendum peut, dans certains cas bien précis, représenter un complément intéressant au processus parlementaire. Le 7 juin 2002, sous l’ancien chancelier Schröder, le Bundestag a décidé à la majorité simple d’introduire le référendum au niveau fédéral, celui-ci étant déjà prévu en principe à l’article 20-2 de la Loi fondamentale et même protégé par la «clause d’éternité» [qui interdit toute modification des principes de base]. C’est uniquement parce que l’«opinion dominante» en droit constitutionnel allemand exige – pour une modification de la loi d’exécution des dispositions de l’art. 20 – une majorité des deux tiers que le référendum n’est toujours pas possible au niveau fédéral, bien que l’article 146 stipule que c’est «le peuple allemand tout entier» qui se prononce sur sa Constitution. Or, en dépit de la réunification et de l’adhésion à un «Etat» européen, cela n’a toujours pas été mis en oeuvre. Mais les citoyens sont là et ils veulent se prononcer sur le plan de sauvetage de l’euro. Personne, même pas un député, ne peut le leur interdire. Comment serait-ce possible puisque «où se trouve le représenté, il n’y a plus de représentant»? • |