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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°2, 16 janvier 2012  >  La Croix-Rouge suisse au secours des enfants [Imprimer]

La Croix-Rouge suisse au secours des enfants

par Erika Vögeli

Le livre de Serge Nessi, intitulé «La Croix-Rouge Suisse au secours des enfants 1942–1945» donne, comme le dit de droit, dans l’avant-propos, Cornelio Sommaruga, ami de l’auteur et ancien président du CICR, «une réponse exhaustive» à la question d’après le rôle de la Croix-Rouge Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale. Le bilan que présente Serge Nessi impressionne et on ne peut que consentir si Sommaruga dit que «les résultats de la protection et du soutien du Secours aux enfants de la Croix-Rouge Suisse, résultats qui ont été atteints grâce à l’abnégation de ses collaborateurs et à la mobilisation de la population suisse toute entière, sont absolument remarquables. On n’en a pas encore suffisamment pris conscience.»
Le livre de Nessi contribue à corriger, une fois de plus, l’image défigurée de la Suisse pendant la Deuxième Guerre mondiale qu’ont présentée des générations entières de soi-disant intellectuels dont les attaques n’ont pas ménagé la Croix-Rouge non plus.
Pour mesurer la performance de la Suisse dans son ensemble, de la Croix-Rouge suisse et de la population suisse, il faut se rappeler les circonstances: 1936 Hitler occupa la Rhénanie en la militarisant, 1938 suivit l’«Anschluss» de l’Autriche, au mois de mars 1939, après avoir envahi le pays des Sudètes, il occupa le reste du territoire tchèque – l’Angleterre et la France le laissant passer en dépit du pacte d’assistance mutuelle – en août il conclut le pacte avec Staline, le 1er septembre suivit l’attaque de la Pologne. La première moitié de l’année suivante fut marquée par des capitulations en série, d’abord celles, le 9 avril, du Danemark et de la Norvège, ensuite, le 15 mai, celle des Pays-Bas, le 28 mai celle de la Belgique et, le 25 juin, celle de la France dont l’armée avait passé pour une des plus fortes du continent. Le 22 mars 1941, la Yougoslavie capitula, suivi par la Grèce, le 30 avril 1941. Le 4 juin 1940, les Britanniques s’enfuirent du continent, le 25 juin 1940 les restes du corps franco-polonais, défaite, s’enfuirent en Suisse. Du 23 juin 1940 au septembre 1944, la Suisse se trouva complètement encerclée par les pouvoirs de l’Axe. Face à cet arrière-fond, les assertions des «historiens» modernes concernant ces temps-là disant que l’Allemagne n’avait à aucun moment voulu sérieusement attaquer la Suisse, en combinaison avec la supposition qu’il n’existait aucune raison «d’avoir peur» et qu’il s’agissait plutôt à confronter l’Allemagne d’une politique plus audacieuse, semblent plus que naïves. Si, à l’époque, n’importe quel officier, homme politique ou représentant de la Croix-Rouge avait mené un tel langage il se serait vu lui reprocher, et de droit, de commettre du défaitisme sinon de la haute trahison.
L’autosuffisance en denrées alimentaires fut d’abord à 52%, grâce au plan Wahlen elle atteignit les 70%, le reste dépendant de l’importation. Les carburants et le charbon manquants, là aussi le pays dépendait des importations de l’extérieur. Gotthard Frick montre dans son livre «Hitlers Krieg und die Selbstbehauptung der Schweiz 1939–1945» (La guerre de Hitler et l’autodétermination de la Suisse 1939–1945), jusqu’à quel point, en 1944/45, la situation alimentaire devint «très critique», l’illustrant par un exemple: «Ainsi, suite à la pénurie en charbon, dans la maison parentale de l’auteur, toutes les conduites d’eau gelèrent en crevant. Notre famille fêta donc Noël 1944 enrobée dans leur manteau d’hiver et portant des gants pendant que du plafond pendaient les glaçons.» (p. 30)
La génération d’antan avait la ferme volonté de protéger et de défendre leur vie en commun démocratique, mûrie longtemps, la réalité et l’histoire l’ayant confirmée dans tous les aspects. Comme Gotthard Frick le présente de manière pertinente et convaincante dans son livre, la Seconde Guerre mondiale aurait trouvé un déroulement complètement différent et beaucoup plus court si cette volonté et cette détermination avaient gagné les esprits sur le niveau politique et militaire dans d’autres pays aussi. Le livre consacré au Secours des enfants de la Croix-Rouge suisse le montre de façon impressionnante: Sans avoir maintenu la neutralité, ce qui ne se réalisait qu’ancrée sur la détermination de défendre son indépendance, le Secours des enfants n’aurait pas existé. La volonté de l’autodétermination ainsi que la liberté sont les préalables de l’humanité vécue. La population suisse l’a fait, tout naturellement, comme le rend évident le livre de Serge Nessi, et ceci dans une époque difficile et sans en faire beaucoup de bruit.
Au lieu d’attaquer, comme le font les idéologues Bergier, toute une génération qui, dans une situation historique extrêmement difficile et dangereuse, a accompli un travail impressionnant tout en sauvegardant sa dignité et pratiquant l’humanisme vécu, il vaudrait mieux aujourd’hui de se poser, en toute modestie, la question si la génération grandie dans la haute conjoncture et dans la prospérité à dimensions jamais vues était capable de faire autant. Les préalables matériels, les capacités intellectuelles, la flexibilité mentale étant pourtant donnés, il n’en faudrait peut-être que d’un grain de courage de se libérer de l’indicible abrutissement ayant, ces dernières décennies, asphyxié toute conscience d’identité dans la destruction culturelle et dans la manie de consommer, tendances de provenance anglo-américaine. Peut-être qu’il ne nous faut «que» d’une légère prise de conscience que nous portons nous-mêmes la responsabilité du bien commun et d’un peu de respect face à l’histoire pour affronter les défis d’aujourd’hui d’une manière constructive. La lecture du livre de Nessi nous y apporte un soutien précieux.    •

Intervention en faveur de milliers d’enfants victimes de la guerre

Extraits du livre «La Croix-Rouge suisse au secours des enfants 1942–1945» de Serge Nessi

Nos convoyeuses, françaises et suisses, ne pouvaient retenir leurs larmes; un enfant me dit: «On dirait qu’on est des rois!»

«L’écho de l’arrivée du premier convoi spécial de Paris le 25 mars [1942] avec 647 enfants du Nord [occupé] de la France, fut profond. Tôt le matin, à la gare [genevoise] de Cornavin, les autorités politiques et militaires étaient présentes, de même que les représentants du consulat général de France. Cheville ouvrière de l’accueil, le Dr Oltramare était également présent, comme il le fut par la suite à l’arrivée de chaque convoi, ayant chaque fois quelques paroles de bienvenue et de réconfort pour les jeunes arrivants. Mais dans son allocution du 25 mars, conscient des obstacles qui s’annonçaient déjà, il proclama une nouvelle fois son espoir de voir l’action de la Croix-Rouge suisse, Secours aux Enfants devenir une entreprise humanitaire véritablement européenne:
‹Enfants de France, de Belgique, d’Allemagne, d’Italie; enfants des pays éprouvés par la guerre, sachez que la Suisse ne demande dans la mesure de ses moyens et de ses possibilités qu’à vous ouvrir ses frontières pour vous accueillir›. (p. 91 sq.)
L’atmosphère dans ce premier train spécial a été décrite de manière très vivante par Odette Micheli, responsable de l’organisation à Paris et qui accompagnait ce premier convoi:
‹La population avait été avertie par les journaux, et quelle ne fut pas notre surprise de trouver, presqu’à partir de la dernière limite de contrôle allemand de Pougny-Chancy, des gens aux passages à niveau ou le long de la voie, faisant des signes de bienvenue. Les enfants massés aux fenêtres demandaient avec anxiété: ‹On est en Suisse, maintenant?› En approchant de Genève, nous n’en croyions plus nos yeux: tous les talus, les ponts chevauchant les voies, étaient noirs de monde agitant de petits drapeaux, des enfants criaient: Vive la France! Les nôtres répondaient: Vive la Suisse! Et le train entra en gare dans un délire de chants et d’acclamation. Nos convoyeuses, françaises et suisses, ne pouvaient retenir leurs larmes; un enfant me dit: «On dirait qu’on est des rois!›» (p. 92 sq.)

Les résultats furent remarquables. Dans tous les cantons, écoliers, samaritains, volontaires allèrent, semaine après semaine, de porte en porte, récolter les dons.

«La Commission de propagande, qui s’occupait aussi de la presse et du financement (Mittelbeschaffung), fut chargée d’organiser la campagne de recherche de moyens financiers et matériels. La pierre angulaire de cette campagne était le ‹Sou hebdomadaire› (‹Wochenbatzen› ), une idée développée par la Croix-Rouge anglaise au début de la guerre et qui avait donné des résultats très satisfaisants. Cette approche avait un double avantage. D’une part elle permettait aux classes les moins favorisées de participer chaque semaine à l’effort national par une contribution de 10 centimes, symbolique mais importante; de l’autre elle permettait une rentrée de fonds régulière, sans concurrencer les collectes annuelles d’autres associations. Les résultats furent remarquables. Dans tous les cantons, écoliers, samaritains, volontaires allèrent, semaine après semaine, de porte en porte, récolter les dons. A la fin de l’année 1942, le Sou hebdomadaire, lancé en avril, avait rapporté une somme de 1,3 millions de francs et au début 1944 son rendement moyen était de 200 000 francs par mois. L’action du Sou hebdomadaire s’étendit, essentiellement en 1942, au commerce alimentaire (Migros, Coop, etc.) où l’on commença à vendre des timbres aux acheteurs de certaines marchandises.
Si l’on examine les finances du Secours aux Enfants on constate qu’en 1943 les recettes du Sou hebdomadaire (2,18 millions) représentaient la deuxième source de revenus, derrière les parrainages (2,38 millions), dont nous parlerons plus loin, mais devant tous les autres dons ou collectes réunis (1,81 million). Le peuple suisse poursuivit son effort financier jusqu’à la fin de l’année 1946, date à laquelle le Sou hebdomadaire avait rapporté 8,67 millions de francs. Les années suivantes les contributions se réduisirent considérablement, le pays manifestant sa solidarité internationale au travers du Don suisse. (p. 97 sq.)
Outre le Sou hebdomadaire, la population suisse fut appelée à faire don de coupons de rationnement afin de procurer aux enfants hébergés les vivres, chaussures, textiles et savon nécessaires. Tous les coupons, même échus, purent être donnés au Secours aux Enfants, puisque leur équivalent en marchandise n’avait pas été utilisé.
La collecte de coupons, de par sa portée et sa valeur morale, fut préférée à une réduction des quantités mises à disposition de la population par l’Etat. Les résultats de cette collecte furent tels que la Croix-Rouge suisse accepta, à plusieurs reprises, qu’une partie des coupons fût libérée pour acheter des vivres destinés à l’étranger. Des collectes de linge et de vivres vinrent compléter les démarches de la Croix-Rouge suisse auprès du public.» (p. 98 sq.)

Mais ces activités dépendaient d’abord de l’approbation des autorités fédérales car elles ne devaient pas affecter négativement la politique étrangère du pays, ni déroger au principe de neutralité.

«Pendant toute la période examinée, les activités de la Croix-Rouge suisse, Secours aux Enfants furent conditionnées par de nombreux facteurs extérieurs. Elles étaient soumises à l’assentiment des autorités civiles ou militaires des pays dans lesquels elle souhaitait intervenir. Mais ces activités dépendaient d’abord de l’approbation des autorités fédérales car elles ne devaient pas affecter négativement la politique étran­gère du pays, ni déroger au principe de neutralité afin de ne pas compromettre la position de la Confédération aux yeux des belligérants. Cette politique de stricte neutralité, au respect de laquelle veillait le délégué du Conseil fédéral aux œuvres d’entraide humanitaire [Edouard de Haller], a pesé de tout son poids sur le travail du Secours aux Enfants. D’ailleurs son président déclarait au printemps 1942 déjà qu’il devait évoluer sur un «verglas politique». Mais pouvait-il en être autrement? Pour certains, qui ont de la peine à se souvenir ou à s’abstraire du temps présent pour tenter de reconstituer le passé, les conditions des années de guerre sont aujourd’hui difficilement imaginables. A une époque qui recherche la primauté de l’humanitaire, où l’ingérence au nom des victimes tend à devenir un dogme, où les envolées théoriques ou philosophiques masquent le plus souvent une méconnaissance de la réalité, la conformité de l’action humanitaire à des intérêts nationaux, surtout en temps de conflit, est contestée. Mais en 1942 l’alternative pour la Croix-Rouge suisse aurait été l’inaction.
Organisme semi-officiel, comme on le lui rappelait souvent, et donc tenue beaucoup plus que d’autres au respect de la légalité, la Croix-Rouge suisse, Secours aux Enfants a pu, dans le cadre qui lui avait été fixé, agir efficacement et compter sur l’appui des autorités et le soutien de toute la population suisse.» (p. 228 sq.)

Plus de 550 000 enfants ont reçu une assistance alimentaire.

«Malgré l’étroit périmètre d’action qui lui était imposé, tant par son statut de Société nationale que par l’environnement dans lequel elle devait évoluer, malgré la nécessité d’éviter toute activité qui aurait pu apparaître comme contraires aux intérêts de la Suisse ou mal interprétée de l’étranger, mettant ainsi en danger l’ensemble de ses opérations, et malgré (si l’on ose la comparaison avec l’époque actuelle) le manque d’expérience de ses dirigeants comme de ses délégués, confrontés pour la première fois à un conflit d’une telle ampleur et à des enjeux d’une telle complexité, la Croix-Rouge suisse, Secours aux Enfants a obtenu des résultats impressionnantes.
Grâce à l’engagement de ses responsables, à la motivation et au dynamisme de ses représentants sur le terrain, au dévouement de milliers de collaborateurs et de bénévoles, à la capacité d’accueil et à la générosité de toute la population suisse, le Secours aux Enfants a pu intervenir efficacement en faveur de dizaines de milliers d’enfants victimes de la guerre. Ainsi, jusqu’en 1945, près de 55 000 enfants, en majorité français, ont pu venir en Suisse pour un séjour de trois mois, la plupart hébergés dans des familles. En 1944 et 1945 ce sont 25 000 enfants du Doubs, du Haut-Rhin et d’Italie du Nord qui, fuyant des combats, ont trouvé un refuge provisoire sur territoire helvétique. L’accueil en Suisse s’est poursuivi pendant les années d’après-guerre et 80 000 autres enfants, originaires d’une douzaine de pays européens, en ont profité jusqu’en 1949, date de la reprise des activités du Secours aux Enfants par les structures permanentes de la Croix-Rouge suisse. Quant aux enfants prétuberculeux ils ont été 5700 entre 1945 et 1949 à bénéficier de soins dans des établissements spécialisés en Suisse; 1500 autres ont encore été accueillis les années suivantes.
Entre 1942 et 1945 l’aide apportée sur le terrain a été particulièrement importante. En France, ce sont quelque 54 000 parrainages qui ont été offerts à des enfants, français et étrangers, par des familles suisses; d’autre part plus de 550 000 enfants ont reçu une assistance alimentaire.» (p. 31)