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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°23, 4 juin 2012  >  Rapport d’un voyage en Iran [Imprimer]

Rapport d’un voyage en Iran

par Elias Davidsson

Ellen Rohlfs nous a fait parvenir le compte rendu ci-dessous de son ami juif Elias Davidsson avec la remarque: «Il a voulu se convaincre de la situation en Iran, après toutes ces menaces de guerre.»

Du 19 au 29 avril 2012, j’ai eu l’occasion de visiter la République islamique d’Iran avec un groupe d’intellectuels et de journalistes allemands. Je voudrais essayer de résumer mes multiples impressions.

Antécédents

En 2011, Yavuz Özuguz, l’exploitant du site web «Muslim-Markt» (marché musulman), (qui avait fait une interview de moi il y a environ trois ans), m’a invité à participer à un voyage en Iran avec un groupe de personnes d’Allemagne n’étant pas musulman. Une fondation iranienne nous inviterait, mais nous devrions payer le voyage en avion par nous-mêmes.
Déjà à ce moment-là, j’étais conscient que ce que les médias nous racontent sur l’Iran est partial et en partie mensonger. Je savais que l’Iran était un Etat relativement moderne qui favorise la formation de son peuple et les sciences, où la majorité des étudiants est féminine, où vit la communauté juive la plus grande au Proche-Orient (excepté Israël, environ 30 000) et dans lequel on produit des films magnifiques que je regarde depuis des années. Et je suis également conscient que le président iranien Mahmoud Ahmadinejad n’est ni un antisémite, ni quelqu’un qui nie l’Holocauste, ni un homme dangereux, au contraire, comme j’ai pu comprendre à partir de ses discours devant l’Assemblée générale des Nations Unies, il compte plutôt parmi les hommes d’Etat les plus progressistes du monde. Et je connaissais bien sûr aussi les accusations de l’Occident, par exemple concernant la question des droits de l’homme. Il est donc pour moi très clair qu’en acceptant cette invitation je me ferais après mon retour traiter d’ami d’un «dictateur» par les ennemis de l’Iran. Et j’étais prêt à courir ce risque.
Avant le départ, monsieur Özuguz et sa famille ont invité notre groupe pour nous rapprocher du pays et de sa religion d’Etat, le chiisme. Cela m’a donné l’occasion de ne pas seulement le connaître lui et sa charmante famille, mais aussi tous les voyageurs. Cette rencontre, déjà avant le voyage, a été pour moi un événement inoubliable, empreint du rayonnement personnel et de l’humanisme de monsieur Özuguz.

Le voyage

Le 19 avril 2012, nous nous sommes tous réunis à l’aéroport de Hambourg. Après un contrôle douanier quelque peu inhabituel, et que nos bagages à main ait été fouillés à la recherche d’éventuels «documents secrets», le vol s’est passé normalement.
A notre arrivée à Téhéran, tard le soir, une délégation de nos hôtes nous a souhaité la bienvenue et nous a offert des rafraîchissements avant de nous conduire à l’hôtel. Tout comme à l’arrivée, nos hôtes se sont occupés de notre bien-être et de nos souhaits pendant tout le voyage.
On ne peut bien sûr pas connaître un pays comme l’Iran avec toute sa diversité et sa richesse en neuf jours, même une vie entière n’y suffirait pas. Il va de soi que nos hôtes ont voulu nous faire connaître les aspects positifs de la société iranienne. Pour connaître les revers de la médaille de la vie en Iran je n’aurais pas eu besoin de faire ce voyage. Il suffit de lire les journaux allemands et autres journaux occidentaux qui critiquent et diabolisent la République islamique d’Iran durant toute l’année.
Pendant le trajet avec le bus depuis l’aéroport «Imam Khomeini» jusqu’à l’hôtel nous avons vécu nos premières impressions. Nous étions étonnés de la modernité et de la propreté du pays. Sans le vouloir, j’ai fait la comparaison avec les impressions de mon premier voyage à New York, que j’avais entrepris depuis Hambourg en 1960. Les maisons et les rues sur le trajet de l’aéroport à Manhattan m’étaient apparues sordides, sales et déprimantes. J’avais envie de pleurer et de rentrer tout de suite en Europe. Le voyage de l’aéroport vers la ville de Téhéran par contre était une surprise magnifique.
J’ai de la peine à reproduire mes observations et mes impressions avec la brièveté souhaitable. L’énumération des visites et des rencontres, des conférences et des visites ne peut pas transmettre la profondeur de mes impressions. Mes compagnons de voyage de la «Arbeiterfotografie» (photographie ouvrière) ont désigné l’Iran de façon un peu brève comme le «pays de l’amour». Le mot «amour» a souvent été répété dans les conférences, pas non plus comme chez nous dans le langage de la publicité du monde des affaires, pas comme de simples déclarations comme dans nos églises, mais au sujet de la politique iranienne. Qui pourrait s’imaginer un politicien allemand désignant ses décisions politiques comme résultat de la grâce de Dieu ou de l’amour? Partout dans le pays nous avons rencontré une gentillesse naturelle, l’hospitalité et une prévenance humaine, même de personnes inconnues dans les rues. Les Iraniens sont connus pour leur politesse et leur prévenance.
Nos hôtes, de la Fondation Ebn Sina (Avicenne) ont toujours évoqué le caractère islamique de l’Iran. Comme la plupart des participants du groupe de voyage n’étaient pas des gens religieux et non plus des musulmans, cette insistance répétée sur la base religieuse du régime était quelque peu irritante. Je ne voudrais pas critiquer cela, car on ne peut pas comprendre l’Iran sans sa relation à l’Islam chiite. Autrement qu’en Occident, la religion, la politique et l’éthique forment une unité en Iran. Celui qui veut comprendre l’Iran doit connaître l’Islam chiite. Bien sûr, beaucoup d’Iraniens s’énervent aussi de ces prêches religieux incessants et voudraient que le système se libéralise, par exemple concernant le port d’un foulard ou bien la séparation entre femmes et hommes. Néanmoins j’ai senti que la pratique de la religion appartient au quotidien de beaucoup d’Iraniens. Et qu’ils ne s’y sentent pas forcés. L’endoctrinement religieux de la jeunesse va de pair avec l’encouragement des sciences naturelles et d’une formation moderne, et ne peut donc pas être comparé à la négation de la modernité comme par exemple chez les Talibans. Nous avons souvent constaté que les gens prennent la religion très au sérieux. Un gouvernement séculier, soit laïque en Iran, c’est-à-dire une sécularisation/laïcisation de l’Etat rencontrerait probablement de la résistance dans une grande partie de la population. Beaucoup d’Iraniens ne pouvaient pas comprendre que nous ne croyions pas tous en Dieu. Ils étaient donc convaincus que nous pratiquions tous le christianisme ou le judaïsme, et ils se sont adressés à nous comme à des croyants.
Nos hôtes ont essayé avec beaucoup de manifestations de nous illustrer et expliquer le chiisme. Un musulman instruit, Ajatollah al-Shirazi a été invité pour s’entretenir avec nous. Il a parlé de la Sainte Vierge, la mère de Jésus vénérée par les chiites, pour nous convaincre que l’Islam n’est pas un ennemi des chrétiens. Nos interlocuteurs ont aussi souligné que les musulmans vénèrent aussi les prophètes juifs, à commencer par Abraham. Avec la mise en valeur des relations étroites entre l’Islam, le judaïsme et le christianisme, ils ont apparemment voulu opposer quelque chose à la propagande incendiaire de l’Occident. Sans cesse ils ont essayé d’expliquer leur culture, leur religion et leur politique et de les défendre. Grâce à nos connaissances, il n’était cependant pas nécessaire de nous en convaincre.
Un intervenant nous a expliqué quelles qualités éthiques doivent être satisfaites par les Imams pour être élus, et quel est leur rôle dans la vie de la société et dans la vie religieuse. Ce qui est spécial, c’est que l’instance la plus haute de l’Iran n’est pas un politicien élu, mais un homme de religion qui ne doit pas seulement satisfaire les conditions éthiques les plus strictes mais qui doit aussi mener une vie humble.
Après la mort de Khomeini, le père de la révolution islamique, c’est l’Imam Seyyed Ali Khamenei qui a été élu comme dirigeant suprême. Il a été élu par un comité de 85 personnes, les «experts» qui doivent veiller à ce que le chef suprême respecte les règles de l’Islam. Ces experts sont élus directement par le peuple iranien. Le parlement et le président de l’Etat sont élus parallèlement.
Un autre fait remarquable est que ce n’est pas le président de l’Etat, mais l’Imam Ali Khamenei qui est le commandant suprême des forces armées iraniennes. Dans le cadre de ses compétences, l’Imam Khamenei a souligné à plusieurs reprises que, l’Iran non seulement n’aspire pas aux armes nucléaires, mais qu’il n’y est pas autorisé, car de telles armes sont inhumaines et représentent donc un péché contre l’Islam. Il a souvent invité les Etats du monde à détruire leurs armes nucléaires, et il se prononce pour une zone libérée d’armes nucléaires au Proche-Orient. De tels propos ne sont que très rarement publiés dans les médias occidentaux ou bien, ce qui est pire, on l’accuse tout simplement d’hypocrisie. Les puissants occidentaux ont de la peine à s’imaginer que l’Imam suprême est sincère et qu’il se sent lié dans ses décisions à des normes éthiques et religieuses.
Nous avons visité le Parlement iranien où justement avait lieu un débat sur le statut des enseignants. Nous avons rencontré quelques députés, dont des représentants des communautés juive et chrétienne, qui, d’après la Constitution, doivent être représentées par au moins un représentant au parlement. Malheureusement, nous n’avons pas pu avoir des entretiens avec ces parlementaires, car le temps était trop court. Nous avons cependant eu l’impression que quelques-uns n’étaient pas spécialement intéressés à s’entretenir avec nous.
Un des grands moments du voyage a été pour moi la visite de la Bibliothèque nationale de Téhéran. La bibliothèque, librement accessible aux chercheurs et aux étudiants, héberge 1,5 millions de livres et manuscrits, la plupart en langue perse. J’ai découvert un nombre étonnant de magazines scientifiques de tous les domaines scientifiques, que ce soit l’économie, la politique, les sciences naturelles ou le droit. Pour chaque domaine, il y avait des douzaines de magazines, aussi dans les domaines particuliers. Malheureusement seuls les titres étaient en anglais. Si l’on peut tirer des conclusions des titres, ils témoignent d’un haut niveau de la recherche scientifique.
Sur notre réception surprenante chez le président Mahmoud Ahmadinejad, les adversaires de l’Iran en Allemagne ont déjà fait leurs commentaires. Malheureusement nous avions bien trop peu l’occasion de lui poser des questions et d’avoir une conversation avec lui, car le temps pour cette rencontre était trop court. Le comportement et le langage corporel du président témoignaient d’une assurance naturelle empreinte de retenue et de modestie. On m’a rapporté qu’il mène également une vie privée très modeste. Ses remarques justifiées contre les USA, lesquels ont en fait déclaré la guerre à l’Iran avec les sanctions économiques et les menaces militaires, n’ont pas été empreintes de haine ou de colère.
Malheureusement, j’ai eu trop peu de temps pour apprendre, à part mes thèmes centraux, aussi quelque chose sur le développement de l’économie, sur les institutions sociales ou sur la situation concernant les droits de l’homme. Nous avons cependant eu l’occasion de parler avec des représentants des organisations féminines, et parmi elles avec la conseillère du président aux Affaires féminines. Il paraît qu’il existe environ 8000 organisations féminines, qui sont en partie organisées en associations nationales. Grâce à leur réseau, les femmes peuvent aussi exercer une pression politique. Il est devenu très clair lors de cette rencontre que, dans leur combat pour leurs droits, les femmes iraniennes ne dépendent pas du soutien de leurs sœurs «émancipées» occidentales. Elles en sont capables elles-mêmes.
Entre autre, nous avons été informés sur le droit du travail et sur le droit de succession islamique, mais aussi lors de ces conférences, le temps était trop court pour pouvoir poser des questions détaillées. Une bonne partie de ce qu’on entend en Occident sur le droit familial en Iran m’apparaît aujourd’hui plus différencié qu’avant le voyage. Il paraît que la semaine réglementaire de travail ne compte que 30 heures, hommes et femmes reçoivent le même salaire pour le même travail. Si c’est vraiment le cas, l’Iran aurait une belle avance sur l’Occident.
Suite à ma question concernant la peine de mort, on m’a donné un aperçu intéressant sur le droit pénal islamique. Comme opposant à la peine de mort, je savais qu’en Iran on prononce souvent des condamnations à la peine capitale. Je ne savais cependant pas que les victimes de crimes ou leurs proches ont la possibilité de pardonner au criminel. Si cela se produit, l’Etat renonce à son droit de sanction. Dans la pratique, la plupart des condamnations à mort ne sont pas exécutées. Les tribunaux sont tenus d’expliquer aux victimes ou à leurs proches qu’en cas de renoncement à la punition du criminel ils peuvent exiger un dédommagement financier. Le pardon au lieu de la vengeance. Le pardon joue un rôle important dans l’Islam. D’une telle pratique je n’ai jamais entendu parler aux USA, où la plupart des condamnations à la peine capitale sont exécutées.
Lorsque l’ONU a instauré en été 1990 un embargo économique contre l’Irak, ces mesures ont lourdement touché la population, surtout parce que l’Irak importait deux tiers de sa nourriture, et cela surtout des USA. L’Iran par contre produit sa nourriture et ses médicaments surtout dans le pays. La politique de sanctions occidentales a renforcé les efforts de l’Iran pour se rendre économiquement indépendant par sa propre production. C’est aussi en premier lieu le but de la promotion de la science dans le pays. Aujourd’hui, l’Iran ne produit pas seulement ses propres voitures, mais il se trouve dans beaucoup de domaines techniques au plus haut niveau scientifique.
La République islamique d’Iran représente-t-elle un danger pour la paix dans le monde? Les ennemis de l’Iran n’arrêtent pas de diaboliser le pays. Je me pose toujours et encore la question de savoir si c’est par ignorance ou par méchanceté.
L’Iran n’a – contrairement aux USA, à l’Israël ou aussi à l’Allemagne – plus attaqué aucun pays depuis 300 ans, il connaît à peine l’antisémitisme, largement répandu en Allemagne avant 1933. L’Islam chiite n’est même pas nationaliste, mais il a comme le christianisme une prétention universelle. Le fascisme allemand reposait sur la vénération du nationalisme et la négation de Dieu, tandis que la République islamique d’Iran ne repose pas sur le nationalisme, mais sur sa politique résultant des lois du Dieu commun des juifs, des chrétiens et des musulmans.
Le système politique de l’Iran est unique au monde, on peut cependant – sous réserve – le considérer comme une expérience dans le genre de la théologie catholique de libération qui a été violemment combattu par le pape Jean-Paul II. La révolution islamique est fêtée, semblable à la révolution d’octobre de 1917, comme une libération de l’oppression. L’expérience iranienne est encore jeune, elle n’a que 33 ans. L’Iran n’est certes pas un paradis et je ne l’ai pas ressenti ainsi. Les dirigeants, avec la meilleure volonté du monde, ne peuvent changer les traditions et les habitudes négatives en peu de temps ou bien empêcher complètement les influences corrompues de l’Occident (individualisme, consommation de drogues, pornographie). Est-ce qu’il ne serait pas de mise pour nous, les occidentaux, face aux crimes colossaux que le soi-disant Occident chrétien a apportés aux peuple du «tiers monde», d’être un peu plus humble et critiques envers nous-mêmes?
Je me demande quelles sont les vraies raisons profondes des grandes inquiétudes de l’Occident, pourquoi une intervention militaire et des sanctions économiques de l’Iran trouvent-elles autant de partisans? Est-ce parce que l’expérience iranienne ne correspond pas aux idées dominantes libérales bourgeoises et du capitalisme libre, et que ses dirigeants s’opposent aux aspirations hégémoniques? L’Iran représente-t-il un défi pour le système capitaliste et la volonté de suprématie de l’Occident? Est-ce qu’il n’est pas l’un des pays de cette région qui essaient de faire face à cette agression?
Du reste, parmi les personnes avec qui nous avons pu parler, personne n’a exprimé des craintes que le pays puisse être agressé. La sérénité des gens est présente partout. L’Iran est un pays avec une économie vivante – on construit partout. Les touristes sont les bienvenus et l’on peut pratiquement tout photographier, sauf – comme partout – des installations militaires et autres installations de sécurité. Est-ce qu’un journaliste a déjà essayé de photographier les installations nucléaires israéliennes ou américaines?
Pour moi, en tant qu’humaniste, l’Iran a été une véritable découverte. Je retournerais volontiers dans ce pays. J’espère que les Etats occidentaux lèveront l’embargo contre l’Iran pour construire à la place une coopération culturelle et économique avec la République islamique d’Iran, pour le bien des peuples.     •
(Traduction Horizons et débats)