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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°32, 15 août 2011  >  La politique de régionalisation de l'UE [Imprimer]

La politique de régionalisation de l’UE

rmh. «L’Europe représente davantage que la somme de ses Etats nationaux; les Etats nationaux ne sont pas capables de garantir l’avenir de l’Europe», telle est l’annonce d’un colloque de la Bayerischen Landeszentrale für politische Bildungsarbeit.1
Cette affirmation n’est pas prouvée. Cela vaut aussi pour l’affirmation d’après 1945 qui voulait faire croire que l’existence des Etats nationaux était la cause des fréquentes guerres en Europe.
En prônant cette affirmation, on a transféré de plus en plus de «compétences» nationales (en langage de l’Union), c’est-à-dire des droits de souveraineté2, à l’UE. La possibilité de prendre des décisions indépendantes, partie intégrante d’un Etat national souverain, a été abandonnée.3 En Allemagne, cela ne concerne pas que le gouvernement fédéral, mais aussi les Länder. Ainsi, dans le traité de Maastricht de 1993, fut créé «un comité des régions» (CdR) pour donner aux régions la possibilité «d’articuler leurs intérêts». Ce comité a une fonction consultative et a donc aussi peu de droit de décision que le Parlement européen. Il n’est par conséquent pas un organe de représentation nationale ni «démocratique» dans le sens propre du terme.
«Par régions, on comprend les territoires des 27 Etats de l’UE dont la population a des points communs ethniques, linguistiques ou culturels. Elles ont le droit de créer des unités administratives. En Grande-Bretagne, une telle région est le pays de Galles, en France c’est la Bretagne et en Allemagne, ce sont les Bundesländer.4
Que la création d’«une Europe des régions» soit dans l’intérêt allemand, s‘explique par sa structure fédérale.5 Aussi n’y a-t-il pas de «régions européennes», d’origine naturelle comme les Länder allemands ayant des institutions politiques. Mais les Länder allemands, eux non plus ne sont pas tous «d’origine naturelle», mais des constructions rafistolées, après la Seconde Guerre mondiale, par les Alliés de l’Ouest, d’après des points de vue purement économiques.
Ce qui est intéressant c’est que la Bundeszentrale für politische Bildung6 dise: «l’idée est surtout promue par ces partisans de l’intégration européenne qui s’investissent pour une structure fédérale de l’UE, et qui veulent affaiblir les déficits de la démocratie par une structure efficace, décentralisée et proche des citoyens […]. La résistance politique est causée par l’élargissement des compétences des régions au détriment des devoirs souverains de l’Etat national.»
En principe, cette citation comprend tous les points essentiels qui ne correspondent pas au droit d’une construction étatique démocratique avec séparation des pouvoirs et souveraineté. En ce qui concerne la proximité avec les citoyens et la réduction des déficits de la démocratie, on peut déduire du rang purement consultatif, ne possédant aucun pouvoir de décision du comité des Régions, qu’il n’en est rien. Sur ce point, les Länder allemands perdent au change.
Cette soi-disant «régionalisation» suggère de la proximité avec le citoyen (parce qu’elle ne se présente pas sous une forme centralisée), des éléments de démocratie directe (parce qu’elle feint d’être à la base), moins d’Etat (parce qu’elle contourne l’Etat national), moins de centralisme (parce qu’elle feint de réduire le centralisme bruxellois).
En réalité, elle n’est pas démocratique du tout car elle n’a pas de légitimation démocratique. Elle n’est légitimée par aucun vote des citoyens et elle n’est pas contrôlée non plus. Qu’une région ait le droit de présenter un projet à Bruxelles en étant rémunéré par Bruxelles, ne la transforme pas en institution démocratique. Et «l’élargissement des compétences des régions», comme on dit en belle langue bruxelloise, ronge les Etats nationaux de l’intérieur. Et cela en plus des 80% des lois votées déjà transférées à Bruxelles.
Pourtant, la région est un facteur important au niveau économique. Et c’est seulement par intérêt économique que les régions doivent s’unir pour qu’elles puissent être à la hauteur de la «mondialisation». «Un argument avancé pour une formation de régions stratégiques de par le bas est que les effets de l’internationalisation de l’économie ne concernent pas que les seules communes mais toute la région, et qu’une coopération régionalement réussie devient de plus en plus un facteur important de site dans la concurrence que les villes et communes se font pour les marchés et le potentiel de développement».7
Pour briser la résistance des Etats-membres plutôt «centralistes» on a créé, sous le slogan «Quand les frontières nous relient» le concept des «eurorégions». Celles-ci sont des régions transfrontalières, composées de plusieurs territoires frontaliers. En 1985 fut fondée l’«Assemblée des Régions d’Europe» (ARE). Elle «défend les intérêts» des 270 régions (actuellement) de 33 pays européens et 16 organisations interrégionales.
La «politique de régionalisation ou d’agglomération» de l’UE,9 propagée par beaucoup d’associations et de programmes, et déjà réalisée, anéantit – de facto – les frontières politiques des seuls Etats et les réduit à des frontières purement administratives. «Des régions ou agglomérations» sont composées selon de purs points de vue économiques et «soumises» directement à Bruxelles. Elles sont financées directement par Bruxelles en contournant les budgets nationaux et elles agissent selon des directives spécialement élaborées pour «la régionalisation de l’Europe». Les «Eurorégions» (comme Ems-Dollart, lac de Constance (Bodensee), Pro-Europa-Aviadrina),10 situées au long de la frontière allemande du Nord au Sud et du Sud au Nord, comprennent de une à trois régions dont une est toujours située en pays voisin.11
Dans son livre «Minorités et Régionalismes dans l’Europe Fédérale des Régions. Enquête sur le plan allemand qui va bouleverser l’Europe», Pierre Hillard a fait des recherches sur les bases et objectifs des eurorégions, la politique des minorités et la charte des langues, et il est arrivé à la conclusion que l’Allemagne, par ce procédé, arrive à mettre le pied dans ses pays voisins. «Les régions transfrontalières» pourraient aussi nous faire penser à une «politique impérialiste».
L’idée allemande d’une «Grande Europe» (Grosseuropa) a déjà, dans l’histoire, hanté la tête de beaucoup d’«Européens». Elle est complétée par la Charte des langues et des minorités de l’UE attribuant à chaque minorité respective en pays étranger des droits et protection spéciaux. Si l’on regarde la carte de l’Europe actuelle, on doit constater que l’Allemagne est le pays ayant le plus de compatriotes de sa langue et de sa culture à l’étranger. Ainsi l’Europe devient «plus allemande».
La régionalisation fait sauter les Etats nationaux par l’intérieur et l’extérieur. Elle est, contrairement à la prétendue «proximité avec le citoyen», une réduction supplémentaire des droits démocratiques des peuples. Les cartes montrées par Pierre Hillard mettent en lumière «le Flickenteppich» (le tapis rapiécé). Chaque petite pièce sera seule en face du gouffre de Bruxelles. Sans droits, sans pouvoir de décision. Ayant seulement le droit de compétition économique. C’est le seul principe qui compte.
C’est dans l’intérêt de qui, la mondialisation? A qui profite l’économisme à outrance de tous les domaines de la vie?    •

1    L’Europe des Régions. Un colloque du ministère d’Etat bavarois pour l’enseignement et la culture et de la centrale fédérale pour la formation politique du 25 novembre 2010. [Europa der Regionen. Eine Veranstaltung des Bayerischen Staatsministeriums für Unterricht und Kultus und der Bayerischen Landeszentrale für politische Bildungsarbeit am 25. November 2010]
2    Selon Jean Bodin (1529–1596) la législation, la décision sur guerre et paix, l’investiture des hauts fonctionnaires, les plus hautes décisions judiciaires.
3    80% de toutes les lois sont «faites» aujourd‘hui à Bruxelles; et cela par une commission qui n’a pas été votée et qui ne pratique plus la séparation des pouvoirs, qui, pourtant, depuis les Lumières, fut exigée comme antidote efficace contre l’abus de pouvoir par les gouvernants, et au cours de l’histoire imposée  aux niveaux législatif, exécutif et judicaire.
4    cf. glossaire de l’UE, www.bundesregierung.de
5    cf. annotation 4
6    www.bpb.de/popup/popup_lemmata.html?=guidHU8BHV, Europa der Regionen-Lexikon , Quelle: Schubert, Klaus/Martina Klein: Das Politlexikon. 4., aktual. Aufl. Bonn
7    sauf la Bavière
8    in: Perspektiven für ein Europa der Regionen. URL: /publikationen/1998/perspektiven-fuer-ein-europa-der-regionen.html
9    Pierre Hillard, «La décomposition des nations européennes. De l’union euro-atlantique à l’Etat mondial.» Paris 2010. Annexe 8
10    Ainsi par exemple l’«Alpen-Adria»-Arbeitsgemeinschaft, in: Pierre Hillard, ibid. Annexe 1
11    La liste des régions peut être consultée sous http//de.wikipedia.org/wiki/Liste_der_Europaregionen.

Les membres de l’Assemblée des Régions d’Europe

•    270 régions membres de 33 pays
•    16 organisations membres internationales
•    12 organisations géographiques interrégionales
–    Association de régions frontalières européennes ARFE
–    Communauté de travail des Alpes Adriatiques
–    Communauté de travail des Alpes Occidentales (COTRAO)
–    Communauté de travail des pays du Danube
–    Communauté de travail des Pyrénées
–    Communauté de travail des régions alpines
–    Conférence Transjurassienne (CTJ)
–    Communauté de Travail Galice-Nord Portugal
–    Communauté de Travail de la Basse et Moyenne Adriatique
–    Coopération Subrégionale des Etats de la Mer Baltique (BSSSC)
–    L’Arc de la Manche
–    Association des Populations des Montagnes du Monde
•    4 organisations interrégionales sectorielles
–    Assemblée des Régions Européennes Viticoles (AREV)

–    Assemblée des régions européennes fruitières, légumières et horticoles (AREFLH)

–    Association des Agences pour la Démocratie Locale (AADL)

–    Union des Dirigeants Territoriaux de l‘Europe (UDITE)