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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°34, 29 août 2011  >  Le plaisir de sombrer tous ensemble? [Imprimer]

Le plaisir de sombrer tous ensemble?

L’Europe saigne à blanc l’Allemagne avec la bénédiction de Merkel

par Eberhard Hamer, Mittelstandsinstitut Niedersachsen

Le «rêve pacifique» de l’Europe a toujours eu deux visages. D’une part les peuples européens souhaitaient enfin, après deux guerres mondiales, une paix durable, le partenariat et l’amitié. C’était non seulement la motivation du mouvement paneuropéen mais également la base des différents concepts d’unification. Mais d’autre part, dès le début, on fut en présence de deux conceptions diamétralement opposées.

1. Dès le départ, la première voie de l’unification de l’Europe fut un concept de confédération décentralisée d’Etats souverains opposé à la conception américaine d’un Etat fédéral centralisé au sens d’«Etats-Unis d’Europe» finalement réalisé par le Traité de Lisbonne qui a aboli les Etats nations au profit d’une vague «citoyenneté européenne». La différence politique réside finalement dans le fait qu’à l’origine, les Etats nations voulaient conserver leurs droits souverains essentiels mais qu’ils ont été ensuite poussés à les céder de plus en plus au gouvernement central de Bruxelles.
Ça a commencé par la politique de concurrence et la juridiction suprême autoproclamée de la Cour de justice européenne pour s’élargir à un ministère commun des Affaires étrangères de 7000 fonctionnaires et se poursuivre par la revendication actuelle de Bruxelles de la souveraineté financière sur les Etats membres. La tendance à la centralisation – et à la dédémocratisation – de l’Europe est actionnée en coulisses par de puissants réseaux de la finance mondiale.
2. La seconde voie – économique – de l’unification commença avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier, qui devait avant tout européaniser l’industrie allemande des matières premières et se poursuivit avec la Communauté économique européenne (CEE) qui permit aux Etats membres d’attacher leurs wagons à la locomotive exportatrice allemande, et aboutit à la monnaie unique, l’euro, qui dispensa les pays européens endettés et possédant une monnaie faible de la dévaluer après une importante inflation et leur permit en même temps de continuer à s’endetter dans la monnaie unique à des taux d’intérêt favorables. Jusque-là, le deutschemark et la Bundesbank qui en défendait la stabilité constituaient le principal obstacle à toutes les inflations coutumières en Europe parce que la stabilité du deutschemark révélait la dépréciation des autres monnaies et devenait un problème politique. Il fallut donc châtrer la Bundesbank au profit d’une Banque centrale européenne (BCE) et remplacer le deutschemark par une monnaie unique.
J’avais mis en garde à temps contre l’euro car il allait devenir, dans la tradition de tous les autres Etats membres, une monnaie faible, d’autant que la BCE, contrairement à la Bundesbank, était soumise à une influence politique (Conférence des ministres des finances).
L’euro présenta effectivement un avantage pour les exportations allemandes au sein de l’Europe parce qu’il les protégea des fluctuations des monnaies. Par contre, l’euro impliqua pour l’économie allemande l’utilisation de nos excédents commerciaux à la BCE pour combler les déficits de la Grèce, de l’Italie, de la France, etc. et représenta une sortie de capitaux de 4 à 6% du PIB. Depuis longtemps, avec l’euro, nous faisons chaque année cadeau aux autres membres de l’union monétaire de 5 à 6% de notre produit social au travers des opérations de clearing des banques centrales. Si l’on ajoute à cela nos excédents de contributions, nous avons, jusqu’à la crise de 2008, financé toute la croissance que l’euro a permise dans les pays plus pauvres ou considérablement endettés comme la Grèce, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la France, l’Irlande, etc., ce qui leur aurait été impossible vu la faiblesse de leur monnaie et de leur économie. L’euro leur a permis de s’accorder ce qu’ils n’auraient pas normalement dû se payer. Ainsi, dans la zone euro, comme dans la zone dollar, cette masse d’argent en constante augmentation a entraîné une bulle monétaire et une prospérité apparente dont les principaux bénéficiaires ont été les banques internationales qui ont proposé aux pays financièrement fragiles des produits financiers et des crédits de plus en plus risqués.
3. En Europe, il existait des opinions divergentes également à propos de l’euro. Les Allemands, les Hollandais, les Autrichiens croyaient que la BCE garantissait la stabilité de l’euro, c’est-à-dire qu’elle poursuivait la politique de stabilité de la Bundesbank dont le seul objectif était de maintenir la valeur de la monnaie. C’est ce que stipulaient les statuts de la BCE. C’est aussi ce que croyait – à tort – la Cour constitutionnelle fédérale lorsqu’elle considéra que le remplacement du deutschemark par l’euro, prétendument tout aussi fort, était légal.
Or en réalité, la France et la majorité des pays membres financièrement fragiles n’ont jamais renoncé au primat politique sur la BCE. C’est apparu clairement avec son président Trichet: La BCE devrait être l’auxiliaire de la politique de redistribution européenne en faveur des pays fragiles de la zone euro et cela surtout aux dépens de l’Allemagne. La monnaie a été soumise à la volonté politique de la majorité.
C’est pourquoi la BCE et les pays européens qui ont volé au secours des autres au cours des deux dernières années pendant la crise financière n’ont pas seulement violé leurs constitutions et le Traité de Lisbonne récemment proclamé (clause de no-bail-out) mais ils ont agi de manière tout à fait irrationnelle sans posséder de concept financier convaincant.
3.1. La crise grecque n’était à vrai dire pas une crise de la Grèce mais des banques internationales qui ont accordé à la légère à ce pays des crédits importants et qui les voyaient compromis. Si la Grèce avait dû résoudre son problème de surendettement en sortant de l’euro et en dévaluant sa monnaie – comme Angela Merkel le demandait initialement – le problème aurait été limité à 3% de la zone euro. Sous la pression de la haute finance, Obama convainquit Merkel que l’Europe était responsable des dettes grecques, que les banques spéculatrices internationales ne pouvaient pas être considérées comme responsables et que les responsables des déficits ne devaient pas être sanctionnés ni privés de leur droit de vote. Le principal payeur, l’Allemagne, fut minorisé sur tous les points et Angela Merkel dut approuver, au mépris de la Loi fondamentale et du Traité de Lisbonne, la prise en charge de la garantie de toutes les dettes de l’UE au sens d’une union de transfert.
Ainsi, l’industrie financière internationale, à l’aide de la crise grecque, a contraint les citoyens allemands à garantir les dettes que la Grèce avait contractées imprudemment et qui sont maintenant en danger et cela avec l’aval du Bundestag.
Le problème du surendettement des Etats et de l’extension de la garantie aux dépens de l’Allemagne a continué à se poser avec l’Irlande et se poursuivra avec le Portugal, l’Espagne, etc. jusqu’à ce que soit l’euro soit l’Allemagne s’effondre financièrement. Angela Merkel a mis en jeu la prospérité de l’Allemagne au profit du surendettement européen et programmé ainsi l’appauvrissement de son pays. Jamais encore un gouvernement allemand démocratique n’avait autant lésé son peuple que celui-ci.
3.2. En rachetant des emprunts pourris de pays européens surendettés au mépris de ses statuts et de ses missions, la BCE a commencé à déstabiliser l’euro et, de l’avis de la majorité des pays surendettés, elle va encore renforcer la tendance sous la forme d’euro-obligations. On veut donc généraliser l’endettement des pays au moyen de l’endettement de la BCE. Ici non plus, l’Allemagne n’a plus grand-chose à dire. Le président de la Bundesbank Weber a refusé de collaborer car il n’était pas soutenu par Merkel. La BCE a même détourné 500 milliards d’euros en finançant jusqu’en avril 2011 des déficits américains. Cet argent sera perdu ou déprécié.
Et dernière mesure prise, le «plan de sauvetage» a été porté à 700 milliards d’euros de garantie en faveur des pays membres surendettés. Mais comme de plus en plus de pays sont insolvables, la garantie est de plus en plus à la charge des pays, de moins en moins nombreux, qui sont encore solvables, donc surtout de l’Allemagne. Le gouvernement nous a donc créé des dettes supplémentaires telles que nous ne pourrons plus les compenser par des économies nationales mais seulement par une inflation galopante et/ou par une réforme monétaire.
Comme on ne voulait pas faire payer certains pays pour leur mauvaise gestion financière, tous devront maintenant payer, et en particulier ceux qui sont restés les plus solides. Le système monétaire ne fonctionnera que jusqu’au moment où leurs dettes croissantes engloutiront aussi ces pays. L’effondrement de l’euro est programmé.
3.3. La facilité avec laquelle notre gouvernement reprend des dettes internationales pour en faire des dettes allemandes est en contradiction avec la pingrerie nationale. Les bénéficiaires des allocations Hartz IV ne recevront plus que 5 euros par jour alors que l’on met 700 milliards à la disposition des banques internationales et des pays européens surendettés.
On est curieux de voir combien de temps la population allemande acceptera cette pingrerie intérieure face à ce gaspillage extérieur. Son inquiétude croît.
Si l’on jette un coup d’œil sur les deux dernières années de politique allemande et européenne, on rencontre partout des incohérences, des contradictions, le chantage, la corruption en faveur de l’industrie financière internationale. Ici, l’action de nos politiciens chargés des finances n’est plus dictée par un concept monétaire et financier probant, comme la sauvegarde d’une monnaie stable mais consiste seulement en un système de traites de cavalerie à court terme, en colmatage de trous financiers par de nouvelles dettes plus importantes. Fidèle au slogan électoral propagé depuis des décennies par les Etats-Unis – to keep Germany down, USA in and Russia out – l’UE pratique une politique monétaire aux dépens de l’Allemagne principalement et au profit de l’industrie financière internationale.
L’erreur de la troupe d’amateurs du gouvernement allemand qui dirige nos finances consiste à croire que la population allemande tolérera que l’Allemagne se porte garante des jongleries financières privées et publiques des Etats-Unis, de l’Europe et du monde, erreur sur laquelle la démission du président de la Bundesbank aurait dû alerter. Il n’y a pas en Allemagne de spécialistes notables des sciences financières qui ne se rendent pas compte des conséquences dramatiques de l’union de transfert et du travail de sape de l’euro et de l’Allemagne accompli par la BCE. La population subira les conséquences de la garantie des dettes d’autres pays membres de l’UE assumée par l’Allemagne et de la réduction de prospérité au profit des pays européens endettés engendrée par les économies intérieures et l’inflation de l’euro.
La politique financière du gouvernement Merkel est funeste. Au lieu de faire payer les banques endettées pour leur imprudence, Merkel nous impose une punition collective et un naufrage général dans le bourbier des dettes. Les politiques et les médias ne peuvent plus taire cela. Quand les conséquences seront plus tangibles, on cherchera les coupables.
La crise financière a commencé par être une crise des banques. Elle a été provisoirement calmée grâce à l’injection de liquidités et à la prise de responsabilité des dettes par les Etats. Mais maintenant, nous avons atteint la deuxième étape («double dip») au cours de laquelle les crises financières publiques se manifestent par des faillites d’Etat avec toutes leurs conséquences économiques et révolutionnaires. On a dissimulé la crise bancaire, on l’a reportée sur les Etats, prolongée et aggravée au lieu d’en tirer tout de suite honnêtement les conséquences.
De même que l’on ne peut pas guérir un toxicomane en lui donnant constamment des drogues plus fortes, on ne peut pas procéder ainsi en cas de surendettement. Il faut corriger le tir. Dans la seconde étape de la crise financière qui arrive nous allons devoir nous préparer à l’inflation et aux dévaluations. Tout nouveau bidouillage sera voué à l’échec. C’en sera fini de la politique de Merkel.    •
(Traduction Horizons et débats)