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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°10, 23 mars 2009  >  Des changements s’imposent de toute urgence [Imprimer]

Des changements s’imposent de toute urgence

par Gabriela Neuhaus

Le Rapport sur l’agriculture mondiale a fait sensation en avril 2008, en montrant qu’une agriculture durable doit être fondée sur les petites exploitations. Hans Herren,* co-président du groupe d’experts qui l’a élaboré, sillonne depuis lors la planète pour promouvoir d’urgence les changements nécessaires, notamment dans les politiques agricoles et le comportement des consommateurs.

Un seul monde: Combien d’êtres humains la planète peut-elle nourrir à long terme?

Hans Herren: D’aucuns affirment qu’il n’y a pas de limite, surtout parce que, selon les prévisions, la population mondiale s’accroîtra de 2,5 milliards d’individus d’ici 2050, avant de reculer à nouveau. Aujourd’hui déjà, nous serions en mesure de nourrir même ces 2,5 milliards de personnes supplémentaires, si la moitié de la production n’était pas gaspillée. Sans oublier ce que les voitures consomment déjà. Nous pouvons produire de la nourriture en suffisance. Reste à savoir comment, où et à quel prix.

Quels sont les fondements de la sécurité alimentaire?

Premièrement, l’agriculture est importante pour la survie de l’humanité, et pas seulement sur le plan alimentaire. L’eau, l’air et notre environnement en général ont besoin d’une agriculture qui soit au service des écosystèmes. Deuxièmement, nous devons préserver un milieu dans lequel les gens puissent vivre heureux: une nature belle et variée, et pas uniquement d’im­menses champs de maïs ou de soja dans des paysages inhabités. Troisièmement, il faut une agriculture qui aide les pays en développement à surmonter la pauvreté. Cela signifie que le Nord doit cesser de produire, à coups de subventions, des excédents agricoles qui envahissent les marchés du Sud et privent les paysans locaux de leurs moyens de subsistance. Dans les pays dépourvus de l’infrastructure requise, il est difficile d’acheminer des denrées sur les marchés; à l’inverse, la demande ne parvient pas jusqu’aux paysans. Le système commercial ne peut donc pas fonctionner. Tout cela est une question d’investissement.

Par où devrait-on commencer?

Il faudrait rémunérer les agriculteurs pour les prestations qu’ils fournissent afin de préserver les écosystèmes. Des investissements destinés à améliorer les sols ou à piéger le CO2 pourraient accroître énormément la production et même doubler le revenu des paysans. De telles mesures peuvent être mises en œuvre dès demain. Elles ne requièrent pas de longues recherches.

Lors de sa parution en avril 2008, le Rapport sur l’agriculture mondiale a connu un large écho. Entre-temps, on en parle moins. Comment évaluez-vous son impact aujourd’hui?

L’intérêt s’est encore accru: des efforts ont été entrepris pour poursuivre le travail du Conseil mondial de l’agriculture et institutionnaliser ce type de comptes rendus sur l’évolution de l’agriculture. En avril 2008, devant l’acuité de la crise alimentaire, tout le monde réclamait des mesures immédiates. Malheureusement, on accorde encore une grande importance à des méthodes non durables, telles que la fourniture d’engrais et l’aide alimentaire. Comme toujours, l’industrie préconise en priorité le recours au génie génétique pour prévenir de futures famines. Or, nous savons aujourd’hui que les crises resurgissent de manière cyclique si l’on n’agit pas selon les principes de la durabilité. C’est l’un des enseignements de la Révolution verte.

Vous plaidez pour une agriculture fondée sur les petites exploitations et qui utilise les ressources naturelles. Peut-on produire suffisamment de cette manière-là?

Il importe que les paysans puissent vivre de leur travail, c’est-à-dire qu’ils reçoivent un prix juste pour leurs produits. Les gens doivent donc s’habituer à payer les denrées de qualité un peu plus cher. Au Nord, nous pouvons nous le permettre aisément. Ce n’est pas le cas au Sud. Il serait pourtant erroné d’y maintenir les prix de la nourriture à un niveau bas, car les paysans resteraient pauvres. Pour que les consommateurs du Sud trouvent du travail et disposent ainsi de davantage d’argent, nous devons donc investir dans les pays en développement: construire des routes, des chemins de fer et des fabriques qui assurent la transformation des denrées agricoles. Aujourd’hui, la majeure partie de la production est vendue et exportée sous forme de matière première. Au Kenya, les mangues pourrissent au pied des arbres, tandis que l’on importe du Pakistan le concentré servant de base au jus de mangue vendu dans les supermarchés de Nairobi. Le transport est trop bon marché pour qu’il vaille la peine de construire une usine de transformation au Kenya ou au Soudan. C’est là un autre problème: le libre-échange n’encourage pas l’économie locale.

Devons-nous renoncer au commerce mondial?

Le commerce mondial ne fonctionne qu’avec du pétrole bon marché. C’est bien joli de manger des fraises en hiver, mais nul ne pourrait se les offrir si on calculait leur prix réel. De plus, les ressources ne suffiront pas si tout le monde se met à consommer comme nous le faisons. Pour aider les habitants du Sud à améliorer leurs conditions de vie, nous devons être conséquents et réduire nos exigences.

Qu’est-ce que cela signifie dans la pratique?

Nous devons vivre autrement, manger moins de viande par exemple, voire plus du tout. On économiserait ainsi beaucoup de sur­faces arables. De plus, il faudrait accroître la production locale, mais en faisant preuve de bon sens, car certains produits locaux absorbent davantage d’énergie que d’autres provenant d’un peu plus loin. Nous aurons peut-être aussi besoin d’un nouveau label qui indique le prix d’une calorie contenue dans un produit donné. Une chose est sûre: il est grand temps d’agir. Si nous poursuivons sur la même voie, cela peut durer encore dix ou quinze ans, mais ce sont nos enfants qui paieront la facture.    •

Source: Un seul monde, le magazine de la DDC sur le développement et la coopération, no 1/2009.

*L’agronome suisse Hans Herren est l’un des plus éminents spécialistes internationaux de la protection biologique des végétaux. En 1995, il a reçu le Prix mondial de l’alimentation pour ses travaux novateurs menés en Afrique. Pendant de longues années, il a en effet dirigé le Centre international sur la physiologie et l’écologie des insectes (ICIPE) au Kenya, élaborant des programmes intégrés destinés à promouvoir la santé de l’homme, des animaux, des végétaux et de l’environnement. Depuis 2005, Hans Herren préside l’Institut du Millénaire, où il met au point des programmes et des instruments favorisant la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement. Enfin, avec Judi Wakhungu, du Centre africain d’études sur la technologie, Hans Herren a coprésidé pendant quatre ans l’Evaluation internationale des sciences et technologies agricoles au service du développement (EISTAD), dont les travaux ont conduit à l’élaboration du Rapport sur l’agriculture mondiale.

Le Rapport sur l’agriculture mondiale
Plus de 400 experts internationaux ont participé à l’EISTAD, un processus visant à établir un état des lieux de l’agriculture mondiale. Ils avaient été mandatés par la Banque mondiale qui souhaitait disposer, comme pour le climat, d’une analyse exhaustive permettant de prévoir les évolutions possibles. Ainsi, les représentants de tous les secteurs concernés ont pris part à ces travaux: agriculteurs, consommateurs, écologistes, économie privée et institutions des Nations Unies. A sa sortie en avril 2008, le Rapport de synthèse de l’EISTAD, ou Rapport sur l’agriculture mondiale, a fait beaucoup de bruit: d’abord parce que les prix des céréales atteignaient alors des sommets sur les marchés internationaux et que la famine menaçait dans diverses régions du monde; mais surtout parce que le rapport rejette l’agriculture industrielle et la technologie génétique, estimant qu’une agriculture fondée sur les petites exploitations est la meilleure garante d’une sécurité alimentaire durable.