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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°14/15, 10 avril 2012  >  «Quand je n’ose plus regarder mes étudiants dans les yeux …» [Imprimer]

«Quand je n’ose plus regarder mes étudiants dans les yeux …»

Goldman Sachs perd son attrait

par Kevin Roose

Wall Street, longtemps pôle d’attraction des meilleurs et des plus intelligents des Etats-Unis, se trouve face à une pénurie de jeunes qui pourraient prendre la relève.
La perte de prestige qui commença à se réaliser dès que la catastrophe financière éclata, prit une nouvelle dimension suite à la faiblesse conjoncturelle durable et à d’interminables scandales faisant sensation et attirant l’attention sur les grandes banques.
La dernière éruption médiatique fut déclenchée, cette semaine même, par la lettre de démission de Greg Smith, ancien directeur exécutif de Goldman Sachs, publiée dans la chronique d’un invité du New York Times. Smith, qui demanda des explications à la banque au sujet de sa «culture d’entreprise toxique et destructive», dit qu’il avait définitivement pris conscience au moment où il aurait dû susciter l’intérêt des étudiants pour une carrière chez Goldman.
«Lorsque je m’aperçus, écrivit-il, que je n’osais plus regarder les étudiants dans les yeux en leur vantant l’exclusivité d’un tel poste, je me rendis compte que le moment de ma démission était arrivé.»
L’avis courant consiste à dire – et les responsables des relations publiques chez Goldman Sachs le redoutent certainement – que ce sont précisément les clients nerveux et les employés baissant les bras qui suivent de très près de telles controverses. Goldman Sachs ferait mieux réfléchir à l’éventualité que son nom puisse effrayer les étudiants du Bachelor’s Degree et ceux des universités économiques, dont certains font d’ores et déjà la moue quand il s’agit d’emplois jadis prestigieux dans le monde des finances.
Cory Finley, un étudiant ayant terminé, il y a peu de temps, ses études à Yale, posa sa candidature à un poste chez Bridgewater Associates, un fonds spéculatif d’envergure, siégeant dans le Connecticut. Finley, âgé de 23 ans, déclara que la structure et le prestige liés à un poste généreusement doté dans le monde des finances avaient «sans doute quelque chose d’attrayant.» Mais quant à lui, il finit par décider de réaliser son rêve et de devenir auteur dramatique.
«Voilà qui m’emplit d’une profonde satisfaction», dit Finley, ayant rédigé une pièce de théâtre intitulée «Le secteur privé» et mettant en scène un employé d’un fonds spéculatif qui démissionne. «Je ne condamne personne qui veut s’engager dans l’économie financière, mais quant à moi, ce n’est pas ma tasse de thé.»
Les étudiants du Bachelor’s Degree à la quête de réussite personnelle, jadis attirés par des banques prestigieuses comme les moustiques par la lumière, s’intéressent de plus en plus à d’autres domaines économiques. Les initiés disent que les témoignages honteux, échappés de la vie de tous les jours du monde des finances, pourront empêcher les jeunes prétendus banquiers de poser leur candidature auprès des entreprises les plus sélectes.
«Voilà en effet un problème majeur pour Goldman», déclara Adam Zoia, président directeur général du service de placement Glocap Search dont de nombreux clients aspirent à des postes dans de grandes banques ou des fonds spéculatifs. «Leur renommée de banque d’investissement auprès de laquelle il faut obligatoirement poser sa candidature, est sérieusement menacée.»
Récemment, un ancien boursier chez Goldman décida de se retirer de l’entreprise puisque les boni ne récompensaient plus l’effort entrepris. Depuis lors, il est employé dans une petite entreprise de technologie et gagne moins.
«Peut-être que Smith est un catalyseur» dit l’employé qui veut garder son anonymat, puisque beaucoup de ses amis travaillent encore à la banque. «Dans le monde financier», ajouta-t-il, il y a toujours eu des malheureux, mais cette année-ci les gens se rendent compte que les choses ont changé, et ceci structurellement.»
Les revenus en baisse rendent la décision plus facile à de nombreux étudiants ne considérant plus Wall Street comme étant la voie dorée vers un salaire de sept chiffres. L’année passée, à cause du recul des bénéfices, beaucoup d’entreprises situées à Wall Street ont réduit les rémunérations des banquiers, jadis exorbitantes, à un niveau simplement généreux. Morgan Stanley limita les frais de gestion à un montant de 125 000 dollars; certains fonctionnaires de Goldman se sont vu réduire de moitié la répartition des bénéfices annuels.    
A ce chœur de mauvaise humeur s’ajoute le fait que les étudiants sont mis au pilori dans leur propre camp universitaire. A Yale et Harvard, l’automne passé, des groupes de manifestants se sont rassemblés devant les salles où les banques organisaient leurs séances de recrutement. Ils scandaient des slogans et agitaient des pancartes disant, par exemple, «Profite de ta chance, tiens-toi à l’écart du monde des finances!» A Princeton, un groupe appartenant au mouvement Occupy Wall Street a interrompu des assemblées organisées par J.P. Morgan Chase et Goldman Sachs incitant les autres étudiants à se révolter contre «une culture du campus universitaire qui blanchit les manœuvres louches de Wall Street en les présentant comme la voie royale vers une bonne carrière».
Karen Ho, professeur extraordinaire d’Anthropologie à l’Université de Minnesota, ayant analysé la culture de Wall Street, dit que tout, «à partir du mouvement Occupy Wall Street, jusqu’aux discours critiques plus larges sur les managers excessivement rémunérés, tout cela a produit un effet «trickle down» [des répercussions vers le bas].»
L’attrait affaibli du monde des finances fut encore accéléré par l’accroissement ex­plosif de l’industrie des technologies qui recrute l’élite des jeunes diplômés des universités de pointe, lesquels, jadis, se sont fait embaucher aveuglément pour occuper les bureaux grand espace à New York. Or, lors d’une enquête de l’entreprise de consultants Universum datant de 2011, 6700 jeunes employés qualifièrent Google, Apple et Facebook d’entreprises les plus convoitées en matière de postes de travail; JP Morgan Chase, la banque qui at­teignit lors du sondage la première place, se situa seulement à la place 41.
Cette année, lors de la conférence inter-active SXSW (South by South-West) à Austin (Texas), un panel fut organisé sur le thème «Ce qui dissuade les jeunes gens à propos de Wall Street: Wall Street versus les entreprises nouvellement fondées.» Le débat souleva, entre autres, la question de savoir si l’industrie financière était responsable de ce que les organisateurs appelaient «le manque de promotion d’une culture de l’innovation». Chris Wiggins, professeur extraordinaire de mathématiques appliquées à la Columbia University, siégeant au podium, dit qu’il observait que les étudiants reculaient de Wall Street et abordaient, de plus en plus, des domaines où il leur était possible de travailler et d’en tirer profit sans que leur moralité soit constamment ciblée sous la loupe.
«L’affirmation de la part du investment banking qu’il poursuivait un intérêt social en «huilant le capitalisme» est devenue obsolète.» Et il continua en disant qu’il était «tout simplement très difficile pour les jeunes de croire qu’il servait, aujourd’hui, à n’importe quel but social.»
Dans les universités et hautes écoles d’économie de pointe, qui avaient considéré jadis Wall Street être la Terre promise, le point de gravité a changé. En 2008, la dernière année d’embauches avant la crise financière, 28% des jeunes diplômés, à Harvard, débouchaient sur un poste dans l’économie financière. L’année passée, ce chiffre a chuté à 17%.    •

Source: © International Herald Tribune du 16/3/12
(Traduction Horizons et débats)