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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°44, 3 novembre 2008  >  Réflexions suisses sur les listes noires et le fouet allemand [Imprimer]

Réflexions suisses sur les listes noires et le fouet allemand

Quiconque menace l’autre du fouet le considère comme un sous-homme

me. Quand le ministre allemand des Finances, Peer Steinbrück, parle comme il l’a fait récemment, ce n’est pas une initiative personnelle. Il agit selon un plan savamment élaboré depuis longtemps et d’ailleurs connu de la Suisse. Horizons et débats y a fait allusion au mois d’août au moyen d’une caricature (reproduite ci-contre) et a prévu que la démarche suivante aurait lieu en octobre (cf. Horizons et débats no 33 du 18 août 2008*)
Et en effet, après d’innombrables piques et provocations de la part de l’Allemagne, voilà que Steinbrück, précisément pendant le mois d’octobre, menace la Suisse du fouet et de l’inscription sur la liste noire de l’OCDE. La Suisse n’a pas tardé à convoquer l’ambassadeur d’Allemagne au Ministère suisse des Affaires étrangères et Steinbrück a riposté aussitôt. Les relations entre les deux pays n’ont jamais été aussi tendues depuis 65 ans.
L’affaire n’a rien à voir avec la crise financière. Celle-ci n’a fait que retarder un peu les attaques. Steinbrück et ceux qui agissent dans les coulisses sont décidés à continuer. Eh bien, qu’ils le fassent! D’autres grandes gueules se sont déjà cassé les dents. Il y a des Suisses qui se souviennent encore parfaitement d’Hitler, qui fut qualifié de «plus grand général de tous les temps» et du bruit causé par les bottes allemandes outre-Rhin. Nous nous rappelons aussi très bien encore les fouets des officiers supérieurs SS. Les membres du gouvernement allemand qui n’hésitent pas à avoir recours, aujourd’hui, à de telles formules historiques ne font que confirmer l’image que la situation nous inspire.
Quant aux listes noires, précisons ceci: Du temps des anciens Romains, elles contenaient les noms des ennemis politiques devant être assassinés. Des listes semblables furent dressées, du temps des nazis, par exemple par Reinhard Heydrich et elles contenaient, entre autres, les noms d’Ernst Röhm et du chancelier du Reich von Schleicher. Tous les deux furent en effet assassinés. A l’époque, on employait le terme de «liste noire» également pour désigner les dossiers qui énuméraient les «écrits nuisibles et indésirables» qui furent brûlés lors des autodafés de mai et de juin 1933.
La liste noire de l’OCDE est à vrai dire une liste du GAFI (Groupe d’action financière sur le blanchiment d’argent). Ce groupe d’experts a été installé lors du sommet du G7 du juillet 1989, à Paris, avec pour mission d’analyser les méthodes du blanchiment d’argent et de proposer des moyens pour les combattre. Actuellement le GAFI est une institution interétatique visant à lutter contre le blanchiment d’argent et dont le siège permanent est auprès de l’OCDE à Paris.
Cette liste est intitulée «Liste actuelle des pays et territoires non coopératifs» («Liste PTNC»). Or, il y figurait des pays qui s’opposaient à des règles juridiques contre le blanchiment d’argent. On y trouvait – à côté de différentes îles à pirates ou «paradis offshore» qui, à l’époque, sans poser trop de questions, offraient l’asile à n’importe quels fonds de n’importe quelle provenance – des Etats tels que la Russie ou la Principauté de Monaco.
Aujourd’hui, cette liste est vide. Oui, vide. En d’autres termes: Il n’existe aucun pays qui serait surveillé actuellement par le GAFI. La dernière liste date du 17 octobre 2007 et on en a rayé les derniers pays qui y figuraient encore: Birmanie, Nigeria et Nauru, île du Pacifique Sud.** Toute allusion à cette liste est devenue ridicule mais le processus lui-même ne l’est pas.
La Suisse, qui avait introduit, du temps de la conseillère fédérale Kopp déjà, des lois contre le blanchiment d’argent qui sont devenues une norme mondiale, n’a rien à se reprocher de ce côté-là. Au contraire: Des experts suisses du blanchiment affirment depuis plus de deux ans lors d’entretiens privés que de nombreuses requêtes du fisc allemand adressées à l’entraide judiciaire suisse sont louches. Il s’agit de cas fictifs, voire de mensonges, que les autorités allemandes avancent dans le seul but de savoir quels citoyens allemands possèdent un compte bancaire en Suisse. Ces requêtes sont presque aussi malhonnêtes que les demandes américaines de renseignements sur des «terroristes» résidant en Suisse.
Mais revenons aux attaques allemandes.
Il ne faut pas nous laisser troubler par quelques voix allemandes isolées qui nous parviennent sur un ton sucré et qui vont jusqu’à critiquer Steinbrück à doses homéopathiques. On connaît en Suisse aussi le jeu du méchant et du gentil policier. Nous sommes des enfants de la montagne, il est vrai, mais nous ne sommes pas naïfs.
Celui qui menace son voisin du fouet voit en lui un «sous-homme» ou un valet. La meilleure réponse de notre Ministre des Affaires étrangères à ceux qui tirent les ficelles dans le dos de Steinbrück serait sans doute: «Avez-vous besoin, vous autres Allemands, d’un bon coup de poing sur la gueule, ou quand allez-vous enfin apprendre, avec votre esprit de dominateurs, à vous comporter en bons voisins? Si Steinbrück aime le fouet, qu’il aille dans un établissement spécialisé!»
Calmy-Rey a raison quand elle dit que l’Allemagne ne doit pas déclarer la guerre à la Suisse pour la seule raison que ses caisses sont vides. Il serait plus facile d’apprendre de la Suisse comment diriger un pays selon les règles de la démocratie directe et dans le respect des libertés, avec peu d’impôts, peu de corruption, peu de chômage et sans politique étrangère agressive.
Il est certain que la Suisse ne cédera pas.     •
*    www.Zeit-Fragen.ch/fileadmin/bilder/karikatur-gross.jpg
**    www.fatf-gafi.org/dataoecd/14/11/39552632.pdf