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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°53, 28 décembre 2012  >  Un monde sans dominance des USA, né à Phnom-Penh [Imprimer]

Un monde sans dominance des USA, né à Phnom-Penh

David P. Goldman

Il est symptomatique de la situation nationale des Etats-Unis que la semaine passée, la pire des humiliations que les USA et leur Président aient jamais subie n’a suscité aucun commentaire. Je me réfère à l’annonce du 20 novembre à Phnom Penh lors d’une réunion au sommet, au cours de laquelle quinze Etats asiatiques, regroupant la moitié de la population mondiale, ont formé le projet d’un vaste partenariat économique régional excluant les Etats-Unis.
Le Président Obama a pris part au sommet pour proposer un Accord de Partenariat Trans-Pacifique (TPP) basé aux USA, dont la Chine serait exclue. Il n’est pas parvenu à ses fins. Le partenariat dirigé par les Américains s’est mué en une invitation à laquelle personne ne s’est rendu.
Au lieu de cela, l’Association du Sud-Est asiatique (ASEAN) plus la Chine, l’Inde, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande vont former une association excluant les USA. A une époque où trois milliards d’Asiatiques deviennent prospères, l’intérêt pour la contribution future de 300 millions d’Américains s’amenuise. Surtout si ces Américains refusent d’endosser les risques de nouvelles technologies.
Quatre ans après la crise économique de 2008, la grande force économique de l’Amérique, particulièrement sa capacité d’innovation, demeure principalement un souvenir. Durant la campagne électorale, le partenariat trans-pacifique a été un sujet insignifiant, mais dans les milieux politiques, c’était l’objet d’un énorme tapage médiatique. Le 23 octobre, salon.com s’enthousiasmait:

«Cet accord est une pièce maîtresse de ‹l’axe asiatique› qui a accaparé l’activité des laboratoires d’idées et de politiciens, mais il a été caché par les guirlandes et les confettis de l’élection. Mais plus que n’importe quelle autre politique, les tendances que le TPP représente pourraient restructurer les relations de politique étrangère et éventuellement l’économie elle-même.»

En réalité, cette grande vision révolutionnaire n’était importante que pour les personnes tristes et étranges qui inventent la politique au sein de l’administration Obama. L’importance relative de l’Amérique est sur le déclin.
Remettons ces choses en perspective:
Depuis les valeurs maximales avant la crise de 2008, les exportations des pays asiatiques ont augmenté de plus de 20%,  alors que les exportations de l’Europe diminuaient de plus de 20%. En comparaison de leur maxima avant 2008, les exportations américaines n’ont progressé que de façon minime (environ 4%).
Pendant ce temps, les exportations de la Chine ont augmenté de 50% au-dessus de leur pic d’avant la crise, alors que les exportations vers les Etats-Unis ont progressé d’environ 15%. Valant 90 milliards de dollars, les exportations de la Chine vers l’Asie correspondent au triple de ses exportations vers les Etats-Unis.
Après des mois de prévisions sombres (et totalement fausses),  selon lesquelles un atterrissage brutal attend la Chine, il est évident que la Chine ne vivra aucun atterrissage brutal, ni même un atterrissage d’aucune sorte. Autant la consommation intérieure que les exportations vers l’Asie dépassent de près de 20% celles de l’année dernière et compensent les faiblesses de certains marchés d’exportation et du secteur de la construction. Les exportations vers l’économie américaine moribonde stagnent.
En 2002, la Chine a importé d’Asie le quintuple de ce qui provenait des Etats-Unis. Aujourd’hui, elle importe d’Asie dix fois plus que des USA.
 En tenant compte des structures commerciales, l’échange des monnaies asiatiques a commencé à être supérieur avec le renminbi de Chine qu’avec le dollar. En octobre 2012, dans une étude pour le Peterson Institute, Arvind Subramanian et Martin Kessler ont écrit:

«L’ascension d’un pays vers la domination économique tend à aller de pair avec le fait que sa monnaie devient la valeur de référence, que les autres monnaies suivent implicitement ou explicitement. En prenant comme exemple d’un choix d’économies nationales de pays émergents, nous démontrons que ces deux dernières années, le renminbi (RMB/Yuan) est devenu de plus en plus une monnaie de référence. Nous entendons par là une monnaie qui se caractérise par un haut degré de co-mouvements (Co-Movement CMC) avec d’autres monnaies.
En Asie de l’Est il y a déjà un bloc renminbi parce que le RMB est devenu la monnaie de référence qui éclipse le dollar, ce qui constitue une évolution historique. Dans cette région, sept monnaies sur dix suivent plus étroitement les mouvements du renminbi que du dollar, alors que la valeur moyenne du mouvement coordonné (CMC) comparée au renminbi dépasse le dollar de 40%. Nous constatons que les mouvements coordonnés (CMC) des monnaies de référence, surtout du renminbi, vont de pair avec l’intégration du commerce.
Nous avons tiré quelques enseignements sur la capacité du bloc du renminbi de se développer au-delà de l’Asie, en comparant la situation du renminbi actuel avec celle du yen japonais du début des années 90. Si le commerce était la seule force motrice, un bloc plus étendu du renminbi pourrait se développer jusqu’au milieu des années 2030. Mais des réformes dans le secteur de la finance et du commerce extérieur qui se remplacent mutuellement pourraient considérablement accélérer le processus».

Tout ceci est très connu et a été discuté de façon exhaustive. La question est de savoir ce que l’Amérique va en faire, pour autant qu’elle entreprenne seulement quelque chose.
Où les Etats-Unis ont-ils un avantage concurrentiel? Hormis les avions commerciaux, les installations de production d’énergie et l’agriculture, ils disposent de peu de domaines dans lesquels leur industrie est vraiment exceptionnelle. Le gaz naturel soutient des industries à faible valeur ajoutée telles que les usines d’engrais, mais dans le domaine industriel, les USA sont à la traîne.
Il y a quatre ans, quand Francesco Sisci et moi avons proposé un accord monétaire sino-américain comme point d’ancrage d’une intégration commerciale, les USA dominaient toujours l’industrie de construction d’usines nucléaires. Avec la vente de l’entreprise d’énergie nucléaire Westinghouse à Toshiba,  et la Toshiba joint venture avec la Chine pour la construction d’usines atomiques sur place, cet avantage s’est volatilisé.
Le problème, c’est que les Américains ont cessé d’investir dans le genre d’industries high-tech à forte valeur ajoutée qui fabriquent les produits dont l’Asie a besoin. Compte tenu de l’inflation, les commandes par les producteurs de biens d’équipement se situent 38% en dessous du montant maximum de 1999. Et les attributions de capital-risque pour les produits high-tech se sont évaporées.
Sans innovations et investissements tous les accords commerciaux que le circuit politique de Washington élaborera ne serviront à rien. En outre, une adaptation au taux de change n’aidera pas non plus.

Qu’est-ce que Washington peut offrir aux Asiatiques?

On peut sûrement élucider les raisons que le Président Obama avait en tête, lorsqu’il s’est rendu en Asie avec un projet de partenariat trans-pacifique excluant la Chine. Qu’est-ce que Washington a à offrir aux Asiatiques?
•    Elle emprunte annuellement 600 milliards de dollars au reste du monde pour financer une dette nationale de 1,2 billions de dollars, en premier lieu au Japon. (L’année passée la Chine a été nettement venderesse de papiers-valeurs)
•    Elle est plutôt une bénéficiaire qu’une fournisseuse de capitaux
•    C’est un important marché d’importation, mais qui perde rapidement son importance relative parce que le commerce asiatique intérieur s’étend beaucoup plus vite que le commerce avec les Etats-Unis
•    Et depuis la crise de 2008, la puissance de l’Amérique comme lieu d’innovations et d’incubateur d’entrepreneurs s’est radicalement dégonflée, ce qui cependant n’est pas dû au gouvernement Obama qui avec son programme de santé a provoqué un besoin considérable de création d’entreprises start-up.
Washington aimerait peut-être mettre le cap sur l’Asie. A Phnom Penh toutefois, les leaders politiques d’Asie ont incité Obama à pivoter de 360 degrés et de rentrer à la maison.     •

Source: Asia Times Online du 27/11/12

(Traduction Horizons et débats)