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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°1/2, 14 janvier 2013  >  Une politique européenne dominée par l’Allemagne exigeant tant de sacrifices doit être corrigée [Imprimer]

Une politique européenne dominée par l’Allemagne exigeant tant de sacrifices doit être corrigée

Au sujet du livre de Heiner Flassbeck «Die Marktwirtschaft des 21. Jahrhunderts»

Il est grand temps de donner la parole à toute personnalité qui réfléchit aux alternatives à l’impasse actuelle de la politique économique et financière européenne. Heiner Flassbeck en est une (cf. Horizons et débats no 53 du 28/12/12). Depuis l’an 2000, il travaille à Genève pour la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) et depuis 2003, il en est l’économiste en chef. Sa critique tranchée de la politique actuelle de l’Union européenne, dirigée avant tout par l’Allemagne, ouvre de nouvelles issues pour la réflexion et l’action.

km. Déjà en été 2010, peu après le début de la soi-disant crise de l’euro, ou bien de la crise européenne des dettes publiques, Heiner Flassbeck a publié le livre «Die Marktwirt­schaft des 21. Jahrhunderts» (L’économie de marché du XXIe siècle). Le fait est que, deux ans et demi après l’éclatement au grand jour des problèmes de dettes publiques de la Grèce, rien n’ait été amélioré dans l’Europe de l’UE; que le contribuable, donc le citoyen de tous les pays de l’euro – pas seulement de l’Allemagne – doivent se porter garant pour des dettes publiques de l’espace euro de plus d’un billion d’euro envers divers instituts financiers qui veulent se décharger des charges de créanciers sur la collectivité; que les différences de développement au sein de l’Union européenne se sont crûment aggravées; que dans des pays comme la Grèce, la misère de toujours plus de gens s’aggrave tous les jours; mais que même dans les pays dits «riches» comme l’Allemagne, l’écart entre les riches et les pauvres s’ouvre de plus en plus et que la soi-disant prospérité ne soit qu’un mirage – tous ces faits doivent nous amener à revoir rigoureusement ce qui est fondamentalement faux dans les diagnostics dominants des problèmes et des thérapies recommandées.

Un régime du commerce ne peut fonctionner sans régime financier

Déjà en été 2010, Heiner Flassbeck a attiré l’attention sur le fait que les théories appliquées jusqu’aujourd’hui ne peuvent convaincre et qu’il fallait d’urgence une réflexion pour trouver des alternatives. Par exemple: il ne peut y avoir une solution des problèmes tant qu’on aspire bien à un régime du commerce mondial sans cependant chercher un régime financier mondial. La critique de Heiner Flassbeck du mantra de la libre circulation des capitaux est fondamentale et convaincante: «L’économie de marché n’est pas le système dans lequel chacun peut faire ce qu’il veut, l’économie de marché comme je l’entends, est un élément serviteur, mais seulement un élément dans une démocratie capable de fonctionner.» [Mise en évidence dans l’original]
Heiner Flassbeck rappelle que «la période de prospérité du système de l’économie de marché» est tombée dans une période de régime financier mondial strictement réglé: «C’est uniquement parce qu’après la grande dépression, les gouvernements les plus importants ont strictement réglé les marchés financiers et ont empêché aussi à l’échelle internationale qu’on abuse de la non-régulation des marchés mondiaux que le miracle économique a pu avoir lieu dans le monde entier.»

L’euro suit la fausse théorie des Chicago Boys

Mais l’«Occident» s’en est éloigné de plus en plus depuis 1970.
Flassbeck ne l’écrit pas expressément, mais il faut l’ajouter ici: L’introduction de l’euro n’était pas une tentative de régler les marchés financiers européens. Déterminé par la théorie du monétarisme de Milton Friedman, le Traité de Maastricht a limité les critères d’une union monétaire «à succès» à des restrictions des budgets des Etats ainsi qu’à une stabilité supposée des intérêts et des prix. Ce qu’on n’a pas du tout pris en considération, c’est que l’état de la science était plus avancé déjà à l’époque. On savait qu’il fallait plus pour une économie saine qu’uniquement la stabilité monétaire, qu’il fallait également une croissance économique adaptée et régulière, le plein emploi et un équilibre du commerce extérieur – et que l’Etat a une tâche importante de régulation pour tous les objectifs.
Karl Albrecht Schachtschneider et ses collègues, déjà lors de leur première plainte contre l’euro à la fin des années 1990, ont attiré l’attention sur ce fait et ont, justement pour cette raison, prévu l’échec de l’union monétaire et prédit ce qui s’est passé ces deux dernières années. L’euro s’est avéré être un instrument des économies nationales dans la zone euro qui ont suivi tout à fait la théorie «axée sur l’offre» (baisser les coûts pour les entreprises, avant tout les impôts et les coûts salariaux) et qui ont réalisé une plus-value des actionnaires aux dépens des citoyens, des contribuables et des salariés («shareholder value»). Le prix amer: En négligeant la théorie «axée sur la demande» (augmenter les salaires pour assurer la demande de produits et de services) on n’a pas voulu transmettre le progrès de productivité à ceux qui l’avaient réalisé. On a uniquement misé sur l’exportation et ainsi créé le problème que l’Allemagne gagne aujourd’hui presque 50% de sa création de valeurs avec l’exportation, c’est-à-dire elle offre des marchandises et des services issus de la main d’œuvre allemande à l’étranger qui, par manque de revenus, ne se vendent plus en Allemagne même. Et en même temps on a imposé à d’autres pays des déficits de la balance commerciale. Pour cela, l’introduction d’une monnaie unique représentait un instrument «idéal».

Compétition destructive pour les plus hauts rendements des capitaux

Heiner Flassbeck prouve que cela devait mal finir, si l’on contraint 17 pays européens dans le corset étroit d’une monnaie unique tout en dérégulant les marchés des capitaux et en déclenchant ainsi une course destructive pour les plus hauts rendements des capitaux (et avec cela des décisions d’investissement) qui fonctionne d’après le principe: Le plus fort bouffe le plus faible. Concrètement avant tout: l’Allemagne appâte les investisseurs, les exportations allemandes supplantent de plus en plus la production du pays importateur.
Pour cette raison Heiner Flassbeck a exigé, déjà en été 2010, un nouveau système monétaire qui empêcherait que des investisseurs et des spéculateurs monétaires puissent faire des profits en détruisant d’autres économies nationales. La contrainte du système euro de ne plus pouvoir réévaluer et dévaluer au fur et à mesure des besoins, aurait en fait empêché le libre échange propagé avec tant de tapage. Des pays tels que la Grèce qui n’étaient pas prêts à saigner leurs ouvriers et – il faut l’ajouter – qui avaient de bonnes raisons à cela (après une guerre destructrice et imposée, une guerre civile et une dictature) et qui voulaient faire un peu plus pour le bien de leurs citoyens que pendant toutes ces décennies auparavant, devait inévitablement perdre du terrain. C’est uniquement avec des manipulations qu’ils pouvaient à court terme maintenir la tête hors de l’eau dans ce système. Par contre, s’ils avaient pu dévaluer leur monnaie, ils auraient pu maintenir ou rétablir leur compétitivité sur le marché européen tout en poursuivant leur politique.

Des déséquilibres monétaires n’ont pas été pris en considération à cause des avantages exportateurs allemands

Là où c’est politiquement opportun, déclare Flassbeck, on aime d’habitude parler de monnaies sous-évaluées ou surévaluées, comme c’est le cas pour la monnaie chinoise, parce qu’on peut ainsi présenter la Chine sous un mauvais jour. Lorsqu’il s’agit cependant d’un avantage à court terme de la propre économie d’exportation, ainsi pour l’Allemagne, on ne tient plus compte du déséquilibre effectif dans le propre espace monétaire. Heiner Flassbeck attire l’attention sur le fait que l’on a déjà reconnu le problème depuis quelque temps et que le CNUCED dans son «Rapport sur le commerce et le développement» a fait une proposition pour résoudre le problème, donc déjà avant le début de la soi-disant crise grecque: «Si le monde se décidait de rendre le système monétaire autant que possible neutre par rapport au commerce, il faudrait prendre soin que les taux de change nominaux suivent à quelques détails près les différences inflationnistes des pays.» Cela veut dire par exemple: Lorsque, dû à une augmentation des salaires, les produits grecs sont devenus plus chers que les produits équivalents allemands dont les prix ont pu être réduits grâce à la baisse des salaires des employés allemands, alors la Grèce aurait dû avoir la possibilité de compenser le désavantage au niveau des prix au moyen d’une dévaluation. Il ne serait alors plus possible que des pays tels que l’Allemagne puissent s’emparer des parts du marché «en serrant la ceinture», une politique aux dépens des salariés. Et si l’on développe cette réflexion: La concurrence acharnée ruinant les droits des salariés des économies nationales ne serait alors plus rentable et une décision en faveur d’autre politique serait plus facile à prendre.

L’Europe du Sud quittera l’union monétaire

Si cela est souhaité et qu’il ne faille pas prendre d’autres mesures. Déjà en 2010, Heiner Flassbeck a écrit: «Se trouvant devant le choix entre trois possibilités, soit maintenir l’union monétaire européenne (UME) et le libre échange, et dépendre par conséquent de l’aumône des transferts d’une Allemagne paradant de manière colonialiste, soit se battre de façon autosuffisante, soit quitter l’UME et résilier le libre échange, la population dans les pays tourmentés se décidera pour la troisième voie. Ce n’est qu’une question de temps jusqu’à ce que ces trois possibilités se répandent clair et net. Un jour aussi les politiciens de l’Europe du Sud se rendront compte qu’ils ne sont pas obligés de suivre la volonté de quelconques commissions de l’UE et du FMI, mais celle de leurs propres citoyens.»
Plus de deux ans après la parution du livre de Heiner Flassbeck, il faut ajouter: Et si des gouvernements tels que celui de l’Allemagne font tout pour maintenir des pays comme la Grèce dans le système contraignant de l’union monétaire et ne permettent pas d’autres solutions sensées, comme celle proposée par le CNUCED, c’est peut-être exactement pour la raison qu’ils veulent maintenir ce système colonial.

Les contribuables ne doivent plus devoir se porter garant pour les spéculations d’investissement

Une présentation détaillée des autres propositions de Heiner Flassbeck sortirait du cadre de cet article. C’est pourquoi nous nous limitons à esquisser les trois aspects suivants:
•    Les banques doivent être reconduites à leurs opérations initiales d’épargne et de crédit. Des spéculations par milliards dans le domaine de l’investissement doivent être détachées des autres opérations bancaires. Les contribuables ne doivent plus jamais devoir se porter garants. Le fait que les banques centrales, institutions nationales et responsables de la sécurité monétaire prêtent aux banques d’affaires de l’argent à un taux d’intérêt de presque zéro et ceci uniquement pour que ces dernières puissent devenir à leur tour créancières des Etats, mais à des taux d’intérêts élevés, c’est une aberration totale. Ne vaudrait-il pas mieux que les banques centrales mettent directement l’argent à disposition des Etats, et cela à des taux d’intérêt aussi bas?
•    Les salariés n’ont pas seulement le droit bien mérité de participer de façon équitable au progrès productif de leurs entreprises. Cette participation représente aussi la meilleure voie pour que les produits et les services rencontrent une demande suffisante dans le propre pays, ce qui permettra de dissoudre les déséquilibres commerciaux fatals entre les pays.
•    Les rentes futures doivent être mises sur une base solide. Le modèle néolibéral qui demande au salarié d’économiser lui-même suffisamment de capitaux pour sa rente ne peut pas fonctionner. Economiser pour la rente nuit à l’économie nationale, parce que l’argent économisé manque aux investissements nécessaires d’urgence. Il faut par contre un renouvellement du contrat des générations. Chaque génération doit assurer que les rentes actuelles des salariés qui ne travaillent plus puissent être assurées par leurs revenus actuels.

La «compétition» n’a rien à voir dans la relation entre les nations

Heiner Flassbeck estime que c’est une manière de penser pervertie et dangereuse de vouloir considérer et construire les relations entre les nations exactement comme la concurrence entre des entreprises. La «compétition» n’a rien à voir dans les relations des nations entre elles. Les nations doivent collaborer. En été 2010 déjà, l’idéologie de la «compétition des nations» a rouvert de vieux fossés, et ces fossés se sont encore creusés au courant des deux dernières années. «Nous ne pouvons croire sérieusement», écrit Heiner Flassbeck, «que nous puissions, comme dans une course de rats des nations déclarer sans cesse une des nations vainqueur et une autre nation éternelle perdante.» Heiner Flassbeck rappelle encore une fois que la coopération entre les nations a besoin de règles et qu’il est donc complètement erroné «qu’actuellement la libre circulation des capitaux au sein de l’Union européenne semble être devenue la valeur la plus importante».

«L’UE a perdu le contact avec ce qui fait l’essentiel de la démocratie»

Il est de plus en plus évident, continue Flassbeck, que l’Union européenne a perdu «complètement le contact avec l’essentiel d’une démocratie capable de fonctionner». Il écrit: Dans une démocratie existent des limites naturelles de ce qu’on peut exiger des êtres humains.[…] N’avons-nous pas consciemment écrit la règle dans la Charte des Nations unies que la dignité humaine est au-dessus de tout? Est-ce que cela ne veut pas dire que les intérêts économiques doivent également se plier devant la dignité humaine […]? Dans cette folie néolibérale des dernières années, on a omis de voir que les êtres humains existent. Pour la cohabitation des nations au XXIe siècle, nous devons réorganiser complètement les conditions et avant tout les conditions politiques. Mais les conditions politiques ne peuvent être réorganisées que si nous avons dans le domaine économique une idée claire, concrète et sensée de la façon dont les nations peuvent entrer en relations économiques tout en restant relativement libres et indépendantes les unes des autres.»

La politique allemande met en danger la démocratie et la paix en Europe

Si l’on ne réussit pas à le faire, si la pression hégémonique sur les Etats et les peuples de l’Europe ne cesse pas, si un pays comme l’Allemagne attise les préjugés contre ces pays-là tout en suggérant de façon grotesque sa propre suprématie, et ceci bien que ses propres citoyens soient tout aussi exploités, alors ce sont d’autres nations que celles qui «veulent entrer en relations économiques de manière libre et indépendante». Alors, la démocratie dans les Etats nations est hautement en danger et par conséquent également la paix en Europe.
Heiner Flassbeck se rend bien compte que c’est seulement en établissant des règles internationales que les problèmes actuels peuvent être résolus de manière acceptable pour tous les pays. Mais les tâches auxquelles il faut s’atteler ne se situent pas moins au sein des nations elles-mêmes, selon lui en tant qu’Allemand, et tout particulièrement en Allemagne: il s’agit d’arrêter et de corriger le cap des dernières années. L’ancien ministre Oskar Lafontaine l’a formulé récemment dans un article de presse de la façon suivante: Dans l’Etat-nation lui-même il faut prendre soin de la démocratie et de la justice sociale, il faut prendre soin d’une politique cohérente en faveur de la paix. Sans Etats-nations démocratiques et socialement équitables qui contribuent à la paix, il ne vaut absolument pas la peine de réfléchir à l’avenir d’une Europe unie, quelle qu’elle soit.

Les citoyens de l’Europe sont tous logés à la même enseigne

Peu de jours avant Noël le Deutsche Paritätische Wohlfahrtsverband (Association allemande paritaire d’aide sociale) – c’est en Allemagne l’association faîtière de plus de 10?000 associations caritatives indépendantes – a publié son rapport actuel concernant le développement de la pauvreté en Allemagne. Voici quelques citations de ce rapport: «Avec un taux de 15,1%, la menace de pauvreté a atteint, en 2011, le plus haut niveau depuis la réunification.» – «Le développement de la pauvreté s’est découplée du développement économique.» – «La politique ne semble pas avoir la volonté ou n’est pas en mesure d’investir le bon développement économique dans la diminution de l’écart entre les pauvres et les riches dans cette société.» – «Les bons succès statistiques dans la politique du marché du travail s’achètent apparemment avec une américanisation du marché du travail, soit le phénomène du ‹working poor›».
Apparemment la plupart des êtres humains en Europe se trouvent tous logés à la même enseigne. Ce n’est pas le cas qu’un pays, un peuple profitent aux dépens d’autres pays et d’autres peuples. L’injustice et l’exploitation sont exercées par peu de personnes et concernent toujours beaucoup de personnes, dans chaque pays. D’autant plus le livre de Heiner Flassbeck est une incitation à réfléchir d’urgence à des alternatives.    •