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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2014  >  N° 5, 3 mars 2014  >  Superficialité et bluff au lieu d’orientation et d’appui [Imprimer]

Superficialité et bluff au lieu d’orientation et d’appui

Réflexions concernant la discipline «Ethik, Religionen, Gemeinschaft – mit Lebenskunde» (ERG) dans le «Lehrplan 21» (3e cycle)

par Ursula Richner, pasteur en retraite, Zurich

Je suis pasteur en retraite et j’étais pendant des années active dans le pastorat, la formation pour adultes et dans l’enseignement religieux. C’est pourquoi, je m’intéresse non seulement à l’évolution du travail clérical mais aussi à l’évolution de l’enseignement religieux et éthique  à l’école. La consultation relative au «Lehrplan 21» (Plan d’études pour les 21 cantons suisses-alémaniques) a attiré tout de suite mon attention: ce qui est prévu dans le domaine «Ethique, religions, communauté – avec des cours de culture générale [Lebenskunde]» est une trahison de l’enseignement religieux existant et me paraît très dangereux pour le développement de notre jeunesse et de notre société.

L’enseignement religieux a été jusqu’à présent organisé différemment d’un canton à l’autre. C’est bien ainsi et cela doit être maintenu. Dans tous les cantons, on y accorde une grande importance. Dès le début de l’école publique au XIXe siècle, l’enseignement religieux figure sur la liste des matières obligatoires. En consultant les différents articles constitutionnels sur l’enseignement, cela n’étonne plus. Le but d’éduquer les élèves «en s’orientant d’après les principes chrétiens afin qu’ils deviennent des êtres humains et des citoyens responsables» – comme il est écrit par exemple dans la Loi scolaire du canton de Saint-Gall – est commun à tous les cantons. Pour atteindre cet objectif, il faut, à part les autres matières, un enseignement religieux et de culture générale (Lebenskunde) bien structuré à tous les niveaux. Le canton de Schaffhouse formule ceci de manière détaillée: «Notre enseignement poursuit le but de former des êtres humains bons et heureux. C’est pourquoi l’école favorise, en collaboration avec le milieu familial, les dispositions éthiques et religieuses, mentales et physiques des enfants. Dans l’éducation éthique et religieuse, elle éveille le respect de la Création, la responsabilité envers la nature, l’amour du prochain, les sens de la communauté et le goût de tout ce qui est beau […]». Le canton de Zurich écrit: «L’école publique enseigne un comportement qui s’oriente selon les valeurs chrétiennes, humanistes et démocratiques. Elle garantit la liberté de conscience et de croyance et respecte les minorités.»
Ces objectifs éducatifs, bien conçus par nos ancêtres, représentent la base d’après laquelle nous devons examiner et mesurer les nouveaux plans d’études. En aucun cas, nous n’autoriserons un retour en arrière. Ils se fondent sur une conception de l’homme et du monde qui part de la capacité naturelle de l’être humain de se développer et d’entrer en relation.
Par la suite nous mettrons en lumière comment le Plan d’études 21 prévoit l’enseignement religieux:
Pour le secondaire, l’enseignement religieux figure sous le terme générique «Nature, être humain et société» en tant que «Ethique, religions, communauté – avec des cours de culture générale».
Dans l’introduction au Plan d’études 21 il est écrit: «Au lieu d’objectifs d’apprentissage et de directives concernant les contenus on introduit des compétences spécifiques, personnelles, sociales et méthodiques que les élèves doivent acquérir dans les diverses disciplines.»
Et plus bas: […] «la considération de l’enseignement et de l’apprentissage est orientée différemment» – Il en est effectivement ainsi et les conséquences pour l’enseignement sont plus graves qu’on ne le pense au premier abord. L’éducation selon les valeurs, l’éducation morale et religieuse, l’éducation au respect envers la création et aux actes responsables n’y figurent plus comme objectif. L’enseignement religieux tel que nous le souhaitons et imaginons, en tant que lieu où entre autre le côté religieux et humain de l’enfant soit développé, n’est plus de mise. Il ne s’agit plus que de l’acquisition de compétences particulières.
Examinons quelques exemples de plus près:
Le domaine «Ethique, religions et communauté – Moi et la communauté» du Plan d’études 21 – est un thème qui a toujours fait partie intégrante de l’enseignement religieux et de la culture générale. Nous saisissions toujours l’occasion d’encourager les élèves en vue de la vie commune au sein de la famille, de la classe ou de la plus grande communauté, de leur transmettre la pensée sociale au moyen d’exemples tirés de la Bible ou de l’histoire. Le Plan d’études 21 introduit quelque chose de tout différent. Voilà un exemple d’une compétence à acquérir: «Les élèves savent réfléchir sur les relations, l’amour et la sexualité et estimer à sa juste valeur leur responsabilité personnelle.» Puis: «Ils savent réfléchir sur leurs propres attentes et exigences dans leur entourage concernant les amitiés, les relations, la vie de couple, le mariage.» Cela va bien au-delà de la mission de l’école, il y a de grands risques d’abus sur la personnalité des élèves. Chaque élève doit pouvoir aborder les sujets d’éducation sexuelle à son gré et ceci au sein de sa famille ou dans son entourage quand il est prêt à cela et avec les personnes de son choix. L’école peut faire une offre facultative et poser les bases physiques en biologie. Mais l’amour et la sexualité appartiennent à la sphère intime que l’on doit préserver et protéger.
Le même risque existe en exigeant ceci: «Les élèves savent parler d’eux-mêmes et réfléchir sur leur origine, leur appartenance et sur l’idée qu’ils se font de leur avenir.» On risque de froisser les élèves. Ce n’est pas la mission de l’école de faire parler les adolescents d’eux-mêmes en appliquant des méthodes psychotechniques. Les élèves qui ne veulent pas parler d’eux, peu importe la raison, sont poussés dans l’embarras. Je pense à une fille qui a commencé à parler d’un père, qui n’existait pas…! Elle ne voulait pas révéler sa douleur relative à l’absence du père!
La sphère privée doit être protégée. «Moi et la communauté» reste un sujet important dans l’éducation et l’enseignement. Mais on peut et on doit le traité de sorte que l’élève soit renforcé et qu’il se rende compte de son importance au sein de la communauté.
Analysons un autre exemple tiré du domaine «Ethique, religions, communauté» du troi­sième cycle. ERG 3: «Clarifier les normes et les valeurs et prendre des décisions», ERG 4: «Reconnaître les traces et l’influence des religions dans la culture et la société» et ERG 5: «Se pencher sur les religions et les conceptions du monde.»
Déjà en lisant ces titres on se rend compte qu’aussi bien les élèves que les enseignants seront tout à fait dépassés par ces trois domaines. En entrant dans les détails, on a l’impression qu’il s’agit de bluff. Donnons un exemple: «Les élèves savent expliquer comment les textes et les doctrines sont intégrés dans les transmissions religieuses et culturelles.» Toutefois, avant de savoir «expliquer, présenter et rendre compréhensible» quelque chose il faut avoir acquis le savoir respectif. De même «Comprendre, dans des textes religieux choisis, les représentations, les interprétations et les doctrines des religions concernées» n’est possible que si l’on dispose d’un savoir fondamental solide, à partir duquel on peut tirer des conclusions. Les élèves doivent même expliquer – voire «examiner et défendre» des «valeurs et des normes».
Il s’agit là de cultiver la surestimation de soi tout en exigeant trop des adolescents. L’enseignement religieux doit donner une orientation et un appui aux enfants et les renforcer intérieurement. La conception d’ERG selon le Plan d’études 21 a cependant tendance à laisser l’adolescent seul, sans appui, et comporte le risque qu’il sorte du droit chemin sur le plan social et moral. Quand il s’agit d’aider les jeunes à développer leur personnalité, aussi en matière de religion et de culture générale l’enseignement d’un savoir solide et bien structuré est indispensable.
Je me souviens très bien que nous, les enseignants d’instruction religieuse, nous devions toujours nous rappeler nous-mêmes à la modestie. Actuellement, les enfants ne connaissent ni les histoires bibliques fondamentales ni ne sont introduits à la croyance religieuse prévalante dans leur famille. Nous devons poser les bases, les initier à l’Ancien et au Nouveau Testament, leur raconter la vie de Jésus, de Paul et des premiers chrétiens ainsi que des épisodes de l’histoire de l’Eglise. Nous leur avons présenté des gens qui ont vécu la chrétienté et ont montré par leur exemple ce que c’est que l’engagement social et les valeurs chrétiennes. Nous avons organisé avec les élèves des services religieux pour les jeunes, de temps en temps nous avons lancé une activité sociale ou bien nous avons organisé des rencontres intéressantes. Cet enseignement visait à transmettre aux élèves aussi bien un savoir moral, intellectuel qu’humain et social. A l’époque, de nombreuses conversations et des discussions prenant l’élève au sérieux dans sa façon de vivre, faisaient partie intégrante des cours.
Le Plan d’études 21 modifie totalement les bases: L’élève est amené à parler de manière grandiloquente de quelque chose qu’il n’a pas vraiment compris, étant donné qu’il n’a pas eu l’occasion d’acquérir le savoir nécessaire. Le Plan d’études 21 exige aussi trop de l’enseignant. Si l’on travaillait avec des adultes, on pourrait envisager les différents niveaux de compétences l’un après l’autre. On peut supposer qu’ils disposent dans un ou plusieurs domaines d’une certaine expérience et d’un savoir à partir desquels ils peuvent construire leurs réflexions. Mais nous avons affaire à des adolescents du secondaire. En exigeant qu’ils «précisent l’importance de personnages centraux issus des religions, en particulier Jésus, Mohammed et Bouddha au moyen de transmission, de représentation et de culte …» (il ne s’agit pas de présenter leur vie et leur enseignement mais leur importance!), alors on ne les prend pas au sérieux dans leur niveau de développement. On leur demande de dire des choses qui ne sont ni bien fondées ni vraies, ce qui les conduit à se surestimer. Les élèves consciencieux et modestes réfléchissant à des réponses sérieuses et fondées, ne seront guère appréciés à leur juste valeur. Les discoureurs bruyants habiles à bluffer et à se mettre en scène tout en défendant des thèses totalement abstruses auront du succès. Ils auront alors atteint leur «compétence» – même sans avoir acquis un savoir bien fondé!
La même chose vaut pour les classes primaires. Les compétences décrites sous des titres ambitieux «Rencontres avec les religions et les conceptions du monde» et «Reconnaître et analyser les expériences fondamentales, les valeurs et les normes» ne se lisent pas autrement que celles décrites pour le secondaire. Quelques exemples tirés du domaine «Natur, Mensch, Gesellschaft» (NMG 12) (Nature, être humain, société) pour les enfants de 4 à 8 ans: «1. Les élèves savent identifier les traditions et représentations religieuses dans la vie quotidienne, dans les traces culturelles et dans la vie en société.» Ou bien: Ils «savent raconter des histoires sur la vie de personnages importants des différentes religions (en particulier Jésus, Mohammed, Bouddha)» ou bien «3. Les élèves savent expliquer des actes et des symboles religieux dans un contexte séculier.» – Le primaire pose la base de ce qui est poursuivi dans le secondaire sans tenir compte du niveau de développement des élèves!
Mais où allons-nous? Quel genre d’adolescents éduquons-nous? Quelles valeurs voulons-nous vraiment encourager? Cultiver au moyen d’un enseignement religieux l’inégalité, des êtres humains égoïstes et assoiffés de pouvoir, des bluffeurs manipulables et qui ne remarquent même pas qu’on abuse d’eux pour des objectifs erronés ? – Non merci! Ces manipulations ne seront pas tolérées! Il faut leur mettre un terme et refuser l’introduction du Plan d’études 21!
Je suppose que les enseignantes et les enseignants ne veulent pas non plus de ça, mais en revanche veulent promouvoir, en particulier dans l’enseignement religieux, les valeurs de la bonté, du social, de la justice et de la paix. L’enseignement religieux et éthique – tel qu’il est organisé jusqu’à maintenant dans les différents cantons – est un excellent réceptacle où puiser pour transmettre aux élèves ces valeurs de base si importantes pour leur vie.     •