Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2015  >  No 31, 14 décembre 2015  >  Le dangereux Cerbère turc des Etats-Unis [Imprimer]

Le dangereux Cerbère turc des Etats-Unis

par Albert A. Stahel, Institut für Strategische Studien, Wädenswil

Le 24 novembre, un intercepteur F-16 turc a abattu un chasseur-bombardier Su-24 russe. Selon la défense aérienne turque, l’équipage du Su-24 aurait été averti 10 fois en cinq minutes de sa violation de l’espace aérien turc au dessus de la province d’Hatay.1 La partie russe nie qu’un bombardier russe y ait pénétré. En fait, le Su-24 s’est écrasé en territoire syrien.2 Le site du crash a également été présenté et commenté le 24 novembre 2015 (à Moscou) à la télévision russe. Le pilote et l’officier des systèmes d’armes ont réussi à se faire éjecter à temps. Alors que ce dernier a pu être sauvé par les troupes syriennes, avec le soutien des Spetsnaz russes, le pilote a été abattu et tué par des «combattants irréguliers» turkmènes à l’aide d’armes d’infanterie.3 Puis, les Turkmènes ont obligé un hélicoptère de transport russe Mi-8, arrivé dans la zone de combat pour sauver l’équipage, à atterrir à l’aide de leurs armes d’infanterie. A cette occasion, un soldat de la marine a été tué. Finalement, ils ont détruit l’hélicoptère au moyen d’un missile antichar américain TOW.4
Vu l’emplacement du crash du chasseur bombardier, il semble évident que la version russe est la bonne. En outre, il faut prendre en compte que la Turquie soutient politiquement et probablement aussi par la livraison d’armes,5 notamment l’opposition turkmène luttant contre le régime d’Assad dans la région de Jabal al-Turkman de la province syrienne de Lattaquié. Ankara a protesté a plusieurs reprises contre les attaques air-sol russes contre les Turkmènes et Erdogan a publiquement revendiqué un droit à la défense des Turkmènes par la Turquie. Le président russe Vladimir Poutine avait déclaré que l’équipage du chasseur-bombardier Su-24 abattu avait la mission d’attaquer des combattants dans cette région.6 Vladimir Poutine a déclaré la destruction de l’appareil comme «un coup de poignard dans le dos», et le ministre russe des Affaires étrangères Lavrov l’a désigné comme une «provocation planifiée».7
Quels sont les effets immédiats de ce crash? Sur ordre du ministre de la Défense russe, tous les chasseurs-bombardiers seront protégés lors de leurs missions par des intercepteurs Su-30.8 Le fait que le Su-24 abattu n’avait pas une telle escorte peut être considéré comme imprudent, vu la situation dans cette région en guerre. Selon une information de la télévision russe du 25 novembre, une batterie du système de défense aérienne S 400 moderne a en outre été installée sur la base aérienne russe d’Hmeimim près de Lattaquié. A l’avenir, tout avion de combat menaçant un chasseur-bombardier russe pourrait être abattu par un Su-30 ou un S 400.
Poutine a exigé des excuses d’Erdogan. Celui-ci a refusé en déclarant que c’est à la Russie de s’excuser pour l’intrusion dans l’espace aérien turc.9 Prenant une mesure urgente, la Russie a stoppé l’importation de denrées alimentaires turques et a réintroduit l’obligation de visa pour l’entrée en Russie des Turcs. Le financement russe pour la construction d’une centrale nucléaire en Turquie est susceptible d’être gelé. Il est bien probable que la Russie prenne encore d’autres mesures économiques envers la Turquie.
Barack Obama a, jusqu’à présent, commenté très prudemment la destruction du chasseur-bombardier russe, tout en faisant preuve d’un parti pris excessif face à son allié en soulignant le droit de la Turquie de protéger et défendre son espace aérien.10 Compte tenu du fait que dans un avenir proche, les tensions dans la zone de guerre le long de la frontière syro-turque pourraient augmenter, les Etats-Unis et leurs alliés seraient bien avisés de revoir leurs relations avec la Turquie. Pour éviter une nouvelle escalade belliciste dans cet espace aérien, les Etats-Unis devraient reprendre en laisse leur Cerbère, ayant jusqu’à présent toujours loyalement protégé les intérêts américains au Moyen-Orient. Mais, face à l’indifférence évidente d’Erdogan de combattre sérieusement l’Etat islamique (EI), cela pourrait s’avérer être une tâche ardue.     •

Source: Institut für Strategische Studien, www.strategische-studien.com du 29/11/15
(Traduction Horizons et débats)

1     Oliker, O. et J. Mankoff: Turkey’s Downing of a Russian Jet, Center for Strategic & International Studies, CSIS, Washington DC, 25/11/15, p. 1
2     Stratfor, Russia, Turkey: Two Versions
of the Same Story, 25/11/15, 20:18
3     Oliker, O. et J. Mankoff, p. 1
4     Stratfor, What to Expect After the Dowing
of a Russian Fighter Jet, 24/11/15, 19:47
5     Oliker, O. et J. Mankoff, p. 2
6     Oliker, O. et J. Mankoff, p. 2
7     Oliker, O. et J. Mankoff, p. 2
8     Oliker, O. et J. Mankoff, p. 2
9     Ostroukh A., Dagher S., Abdulrahim R., Alakraa M.N., Lubold G. et J. Barnes: Turkey Downs Russian Jet; Ankara claims fighter violated airspace; Moscow says it was over Syrian territory,
in: The Wall Street Journal, 25/11/15, p. A1/A4
10     Stratfor, U.S., France: Presidents Respond
to Downed Russiand Fighter Jet, 24/11/15, 18:14

Qui avec qui contre qui?
Lors de la conférence de presse avec le président Hollande, le président Poutine a précisé une fois de plus que la Russie informe, comme convenu, les Etats-Unis de tous les plans de vol et des objectifs de toutes les attaques planifiées en Syrie: «The US-led coalition, which includes Turkey, was aware of the time and place where our planes would operate. And this is exactly where and when we were attacked.» Suite à cette information, les affirmations de propagande claironnées à travers le monde concernant une «violation de l’espace aérienne de 17 secondes» devraient prendre fin: la destruction de l’avion russe est survenu suite à une embuscade que les forces aériennes d’Erdogan n’auraient pas pu perpétrer sans soutien américain. Il est bien probable que le coordinateur américain pour la Syrie, le général John Allen (ennemi d’Obama et néoconservateur), ait donné son accord pour cette attaque.
Source: www.broeckers.com/tag/syrien
du 29/11/15