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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°44, 3 novembre 2008  >  Rapport sur l’agriculture mondiale: des solutions à la crise alimentaire [Imprimer]

Rapport sur l’agriculture mondiale: des solutions à la crise alimentaire

par Benedikt Haerlin*

Le Conseil mondial de l’agriculture de l’ONU demande un changement de paradigme car seul un tournant dans la politique agricole et la recherche agronomique – en direction de petites structures paysannes, de technologies adaptées et de répartition équitable des terres et des ressources – peut assurer la sécurité alimentaire mondiale sans détruire les bases écologiques de l’agriculture.
Le cri d’alarme lancé par le Conseil mondial de l’agriculture à travers l’Interna­tional Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development (IAASTD) tombe à pic. Lorsque en avril dernier, l’explosion des prix de certaines denrées a fait pour la première fois la une des journaux, des scientifiques de toutes disci­plines et de tous pays ont dressé la liste complète des erreurs du passé, des impératifs écologiques et sociaux du présent et des options d’avenir adéquates pour la politique de recherche et de développement de l’agriculture. L’élaboration du Rapport, qui a tenté pour la première fois d’impliquer la totalité des acteurs, a duré 5 ans. «Comment pouvons-nous réduire la faim et la pauvreté, améliorer les moyens de subsistance des populations rurales, encourager un développement durable équitable et socialement, écologiquement et économiquement rationnel en recourant au savoir agricole, à la science et à la technologie?»
Un Bureau de 30 représentants gouvernementaux et de 30 représentants de la société civile (ONG, paysans, consommateurs et industrie) a longuement débattu de tous les aspects de cette question. C’est avec un soin égal – dans le souci d’une répartition équilibrée des sexes, de l’origine régionale, de la compétence et de la discipline – qu’il a procédé au choix des 400 auteurs qui ont répondu à la question ci-dessus sur plus de 2000 pages. L’hypothèse de base était que ce sur quoi des entités aussi différentes que les gouvernements des Etats-Unis, de l’Iran et de la Chine, Syngenta ou Greenpeace tomberaient d’accord aurait des chances d’être réalisé. Un accord décisif obtenu dès le départ facilita le processus: il ne s’agissait pas d’évaluer les chances de réussite et les risques de technologies données mais de trouver les meilleures solutions aux problèmes que les personnes concernées avaient formulés dans le monde entier au cours de nombreuses consultations. En effet, il y a un fossé entre la question «Dans quelle mesure le génie génétique peut-il contribuer à lutter contre la faim?» et «Quelles sont les principales causes de la faim et quelles options sont les plus prometteuses pour les combattre?» Cette procédure a eu pour résultat que le génie génétique, par exemple, n’occupe guère de place dans le Rapport et que la consommation irresponsable d’énergie et l’utilisation également irresponsable de pesticides ont été identifiés comme deux des obstacles les plus graves au développement durable. Dans l’analyse coût-profit effectuée par les scientifiques, les mesures pratiques se sont avérées supérieures à la recherche en haute technologie et aux marchés globaux. Aussi faudrait-il améliorer systématiquement les possibilités de formation et de crédit pour les femmes et ouvrir des marchés locaux. D’autres mesures consistent notamment à diffuser des techniques adaptées et efficaces ainsi qu’à utiliser et à développer les savoir-faire locaux traditionnels.

Souveraineté alimentaire et multifonctionnalité

Selon les scientifiques, on ne peut lutter durablement contre la faim et la pauvreté qu’au plan local. L’amélioration des rendements obtenus par des petits paysans dans des endroits désavantagés est très supérieure aux possibilités de l’agriculture industrielle. Seule une augmentation du rendement réalisée au plan régional permet une amélioration réelle de la sécurité alimentaire sur place. En revanche, une simple augmentation de la productivité chasse fréquemment les hommes de leurs terres, lesquelles sont alors rachetées par des investisseurs disposant de capitaux importants dans le but d’exporter les produits. Pour la première fois, un rapport de l’ONU et de la Banque mondiale définit et propage, à côté de la notion de sécurité alimentaire, celle de souveraineté alimentaire en tant que droit des hommes et des Etats souverains à déterminer démocratiquement leur politique agricole et alimentaire. Cela signifie l’abandon du productivisme des décennies passées. En négligeant les coûts sociaux et économiques, celui-ci place l’optimisation industrielle des rendements à l’hectare au-dessus de tout, notamment au-dessus de la qualité de vie. Egalement «révolutionnaire» est la reconnaissance de la multifonctionnalité de l’agriculture: elle n’est pas un système où il s’agit uniquement de savoir quelle quantité sera produite et à quel prix. L’agriculture apporte un large éventail de services: maintien et entretien des ressources naturelles, de l’identité sociale et culturelle, des moyens d’existence économique; santé et loisirs. Ce n’est que lorsque le produit total est bon que le développement de l’agriculture est durable.
Finalement, le Rapport parvient aux mêmes conclusions en matière de savoir et de technologie que pour l’alimentation: les ressources sont là et le seul problème est celui de leur répartition. Il faut concentrer les investissements sur le savoir disponible au lieu de consacrer des milliards à des domaines marginaux dont l’effet sur l’alimentation est marginal. La re­cherche devrait être faite pour et par ces centaines de millions de petits paysans qui doivent lutter pour leur survie avec peu de terres, sans capital et au prix d’un dur travail. Ce n’est pas seulement une question de justice sociale mais d’utilisation la plus efficace possible des moyens disponibles afin de résoudre les problèmes alimentaires et environnementaux de notre siècle. Il est dommage – mais non surprenant – que l’industrie agroalimentaire et du génie génétique se soient retirées du projet. Dommage également que les gouvernements des Etats-Unis, du Canada et de l’Australie n’aient pas approuvé le Rapport. Cela ne nuit pas aux vérités qu’il énonce mais à sa difficile reconnaissance. Même s’il ne satisfait pleinement personne, il indique des solutions possibles à la crise.     •

Source: Ökologie und Landbau no 148, 4/2008
(Traduction Horizons et débats)

*    Benedikt Haerlin est membre de la fondation «Zukunftsstiftung Landwirtschaft» et du Bureau de l’IAASTD, Marienstrasse 19–20, D 10117 Berlin, tél. +49 30 275 903 09, haerlin@zs-l.de

Idées principales du Rapport

•    Pour faire face aux défis de l’avenir, un changement radical et systématique de la recherche, du développement et de la pratique agronomiques est nécessaire.
•    Les agrocarburants ne constituent pas une option supportable. Ils doivent être remplacés par des modes de production d’énergie (électricité et chaleur) bio intégrés, décentralisés et plus efficaces. La transformation de surfaces agricoles alimentaires en surfaces destinées à la production d’agrocarburants n’est pas acceptable.
•    Les pays les plus pauvres et les paysans les plus démunis sont les perdants de la globalisation et de la libéralisation du commerce agricole.
•    Le génie génétique apporte actuellement plus de problèmes que de solutions et fait que la recherche se concentre sur les produits brevetables.
•    Les droits de propriété intellectuelle et les demandes concernant ces droits, en particulier en matière de semences, peuvent avoir une influence très négative sur la liberté de la recherche et la diffusion du savoir.
•    La recherche et développement publique doit être sortie de sa tour d’ivoire universitaire et renforcée. Il faut répondre aux questions que posent les agriculteurs et associer ceux-ci au développement.
•    La nécessité écologique et économique de réduire les émissions de gaz à effet de serre implique des révolutions technologiques et des mesures drastiques.
•    Le facteur déterminant de la lutte contre la faim ne consiste pas dans l’augmentation de la productivité à tout prix mais dans la disponibilité des denrées alimentaires et de leurs moyens de production sur place.
•    Les petites structures agricoles sont les meilleurs garants de la sécurité alimentaire locale et de l’autosuffisance alimentaire régionale et nationale. Il convient de reconnaître et d’encourager leur multifonctionnalité (écologique et sociale).
•    Le Rapport mentionne les domaines suivants d’investissements dans la recherche agricole et les technologies durables:
•    Culture de plantes résistant mieux à la chaleur et aux nuisibles,
•    Evaluation financière et non financière des mesures environnementales,
•    Substituts aux produits agrochimiques,
•    Réduction de la dépendance du secteur agricole par rapport aux combustibles fossiles.

Sources:
Rapport complet, qui paraîtra sous forme de livre en 2009
Résumé du Rapport: www.agassessment.org/docs/Global_SDM_050508_French.pdf