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Horizons et debats  >  archives  >  2015  >  No 32/33, 30 décembre 2015  >  Il y a 50 ans, Mobutu Sese Seko prit le pouvoir au Congo suite à un coup d’Etat (partie 1) [Imprimer]

Il y a 50 ans, Mobutu Sese Seko prit le pouvoir au Congo suite à un coup d’Etat (partie 1)

Congo-Kinshasa: kleptocratie sans fin?

par Peter Küpfer

En novembre de cette année, voilà 50 ans qu’un coup d’Etat portait au pouvoir le dictateur Mobutu Sese Seko. Le 2 novembre 1965, ce jeune commandant en chef des Forces armées congolaises fit occuper tous les endroits d’importance stratégique du pays et annonça par radio la suspension de la Constitution, la dissolution du Parlement et la concentration de tout pouvoir en ses mains. De ce coup d’Etat s’en suivirent 32 années sombres dans l’histoire du Congo, années durant lesquelles Mobutu et sa clique corrompue saignaient à blanc l’Etat et ses populations – avec l’approbation du monde occidental.

La prise du pouvoir par les armes de novembre 1965 mit fin aux dits «Troubles du Congo». Nombreux sont les analystes occidentaux qui prennent les troubles interminables du Congo et le coup d’Etat fomenté par Mobutu pour preuve que les anciennes colonies africaines n’étaient pas capables d’exister comme Etats indépendants. Ils oublient que les troubles congolais, ses dictateurs, la saignée de ses ressources et de ses populations n’étaient pas l’œuvre des Congolais eux-mêmes. Il ne s’agit là, en effet, que des ravages les plus visibles causés par l’avidité de l’Occident qui joue un rôle principal, aussi bien aujourd’hui qu’il y a déjà plusieurs siècles en arrière. Dans cette région du monde, hautement explosive, aussi bien dans le domaine de l’économie mondiale que celui de la géopolitique, la dictature de Mobutu n’est qu’un épisode, mais un des plus sombres, il est vrai.

Propriété privée du Roi

La surface de la République démocratique du Congo, nom officiel que porte à nouveau l’empire géant traversé par le fleuve Congo, est sept fois plus grande que celle de la France. Le nombre d’habitants ne dépasse cependant guère celui de l’Allemagne. Les frontières actuelles de ce pays gigantesque furent fixées par les puissances coloniales d’antan, lors de la Conférence de Berlin de 1885/86 sans qu’un seul Africain y fut invité. A l’époque, les puissances mondiales ne savaient trop que faire des immenses territoires de forêts vierges situés le long du grand fleuve au centre de l’Afrique noire, partiellement inconnus, ni de ses steppes méridionales infinies. Elles acceptèrent donc l’idée que ces terres – grandes taches blanches sur les cartes – soient attribuées dans leur totalité au roi belge Léopold II en tant que propriété privée. Il se frotta les yeux, puis les mains en réalisant que les prix du caoutchouc, de l’ivoire et des bois tropicaux ne cessaient de grimper sur le marché international. En effet, avec l’invention de la vulcanisation par Dunlop en 1890 et le développement de l’industrie automobile et de l’aviation, la demande en caoutchouc naturel explosa. A la différence de l’Amérique du Sud, le caoutchouc congolais n’était pas extrait de la palme d’Hévéa, mais des lianes-caoutchouc rapidement menacées de disparition à cause des énormes quantités prélevées. Les indigènes, «employés» au travail forcé, furent contraints à des marches toujours plus longues à travers les forêts et ainsi à des efforts de plus en plus durs. Des punitions draconiennes étaient à l’ordre du jour, le fouet et l’amputation d’une ou des deux mains devenaient habituels comme peine pour un rendement insuffisant ou une tentative de fuite. A partir de 1905, le commerce congolais de caoutchouc perdit en importance à cause du manque de lianes-caoutchouc. (Strizek, 1998, p. 39)

Matières premières convoitées

En 1908, le Congo devint une colonie belge et le resta, sous le nom de «Congo belge», jusqu’en 1960. Bien que le travail forcé fut aboli dans l’«Etat libre du Congo» par Léopold, rien ne changea dans l’exploitation des ressources naturelles, bien au contraire. On découvrit d’autres immenses gisements naturels de matières premières, des mines d’or et de diamants. Au Congo méridional, en province du Katanga (jadis Shaba), les colons découvrirent un métal qui connut une évolution comparable à celle du caoutchouc: on y trouva des couches géantes de cuivre. On s’imagine bien ce que cela signifiait pour le développement de l’électricité dans le monde occidental au début du XXe siècle – chaque câble et chaque fil électrique se composant essentiellement de cuivre. L’exploitation d’autres matières convoitées ne tarda pas, notamment celui de l’argent, de l’or et des diamants au Kasaï. Les colons réalisèrent rapidement que le monde les enviait pour les richesses de leur immense colonie. Le Congo disposait également d’uranium, dont les gisements dans le monde sont rares. L’uranium, étant à l’origine des premières bombes atomiques américaines, provenait du Congo ainsi que celui des bombes qui détruisirent les villes de Hiroshima et Nagasaki, dont les conséquences sont connues. Aujourd’hui, des bandes criminelles armées venant du Ruanda, pays voisin du Congo, pillent les riches gisements de coltan situés au Congo oriental pour ensuite transporter ce minerai à Kigali. Le coltan (colombite-tantalite) est une matière première indispensable au fonctionnement de tout système électronique dans le monde entier et se trouve également dans chaque portable. Le Ruanda, pays longtemps extrêmement pauvre et n’exportant que de petites quantités de thé et de café, est entre-temps devenu un des exportateurs principaux de coltan. Aujourd’hui encore, comme du temps de Léopold, l’exploitation abusive et sans scrupules des ressources naturelles du Congo est une des raisons majeures que l’Est du Congo, riche en matières premières, ne parvienne pas à la paix. En dépit de nombreux accords de paix (dont les articles ne sont respectés par personne) la population civile est soumise régulièrement à des atrocités indescriptibles, ignorées par la communauté internationale ou bien ne provoquant qu’un haussement d’épaules. Voilà donc les véritables raisons des flux de réfugiés à l’intérieur de ce continent. Les bandes criminelles au service des convoitises occidentales s’enrichissent sans être importunées et leur terreur ciblée contre la population civile dépeuple des régions entières comme actuellement de nouveau au Kivu du Nord.

«Indépendance» et signes précurseurs préoccupants

Dans les années 50, le colonialisme devint un problème pour le monde occidental. Il était exclu que l’Occident prône d’une part la liberté, les droits de l’homme et la démocratie tout en empêchant d’autre part, par la force des armes, des populations entières à y accéder, uniquement parce qu’elles vivaient à quelques centaines ou milliers de kilomètres des centres du pouvoir occidentaux (cf. aussi guerre d’Indochine et quelques années plus tard guerre d’Algérie). Puis apparurent au Congo des mouvements d’abord modérés, puis plus combattants, pour rappeler à la Belgique que les êtres humains d’une autre couleur de peau disposaient des mêmes droits. A cette époque, au Congo, les Africains étaient exclus de toute formation supérieure ainsi que du rang d’officier au sein de l’armée. Ceux qui aspiraient à une formation scolaire dépendaient entièrement de l’Eglise catholique et de ses écoles d’un excellent niveau mais ne menant pas à des études universitaires. Dans un discours très remarqué que le général de Gaulle tint en 1958 lors d’une visite à Brazzaville, donc tout près de la capitale congolaise de Kinshasa, située sur l’autre rive du Grand fleuve, il ouvrit largement les portes vers l’indépendance des anciennes colonies françaises. En Belgique et au Congo, le professeur chrétien-démocrate Jef van Bilsen avait déjà jeté un pavé dans la mare en décembre 1955. Il avait élaboré, à la demande du gouvernement, un «plan de 30 ans en faveur de l’émancipation de l’Afrique belge» ce qui avait fait «l’effet d’une bombe» (Strizek 1998, p. 77). Le plan se heurta pourtant aux critiques issues des cercles des «évolués» congolais, hommes et femmes éduqués dans les écoles catholiques. Le mouvement nationaliste congolais, qui était à ses débuts, ne voulait pas se résigner à vivre encore trente ans de dépendance de l’Europe. Parmi eux, un jeune intellectuel autodidacte et journaliste, Patrice Eméry Lumumba, patriote congolais ardent, brillant orateur et critique acerbe du colonialisme belge se fit remarquer. Pendant que les modérés se rassemblaient autour de Joseph Kasa-Vubu et son mouvement «Abako», le «Mouvement national congolais» (MNC), fondé par Lumumba, intervint sur un ton plus radical en préconisant l’indépendance immédiate de la colonie belge. Le gouvernement belge, après avoir longtemps hésité, se vit confronté à des mouvements de protestations véhémentes pour finalement y consentir. Il se déclara favorable au processus d’indépendance du Congo et donna, en été 1959, son aval à des élections libres et secrètes dans les provinces et à des élections parlementaires générales. Les acteurs politiques principaux, Kasa-Vubu et Lumumba qui se trouvaient en détention provisoire furent libérés et invités, grâce à leur bonne réputation dans la population congolaise, à la Table ronde qui se tint du 20 au 30 janvier 1960 à Bruxelles. Soudainement, le gouvernement se décida à faire avancer les choses. Selon une remarque faite par De Schrijver (ministre des colonies) en 1959 à un interlocuteur, le gouvernement belge hâta les choses pensant que le chaos congolais qui s’installerait inévitablement, donnerait à la Belgique la possibilité «de venir en aide» (v. Strizek, 1998, p. 79; Strizek parle là d’un témoin digne de foi: le professeur Jef van Bilsen). Bilsen avait sciemment fixé le processus d’indépendance à trente ans: l’Etat géant au centre de l’Afrique ne disposait, juste avant son indépendance d’aucun expert local, les experts belges avaient déjà quitté le pays depuis longtemps et les Congolais faisaient défaut. En effet, ce ne fut qu’en 1956 que le premier Africain put passer ses examens universitaires en Belgique et lors de son indépendance, en 1960, l’ancienne colonie ne disposait que d’une dizaine de personnes avec un diplôme universitaire, parmi lesquelles aucun médecin, ingénieur ou juriste.
Lumumba, suivi de l’organisation «Abako» de Kasa-Vubu remporta les élections parlementaires de mai 1960. L’administration coloniale belge, après avoir hésité, finit par approuver le vote en nommant Patrice Eméry Lumumba Premier ministre. Ensuite, le Parlement élit Joseph Kasa-Vubu Président d’Etat de la République démocratique du Congo. Lumumba forma son gouvernement et prit comme secrétaire privé un jeune homme dévoué et modeste, Mobutu. Ce dernier se nomma plus tard Mobutu Sese Seko (le coq fier) et livra Lumumba à ses assassins.

Un discours de trop

Le 30 juin 1960, dans le Palais national de Kinshasa se déroula la cérémonie solennelle de l’indépendance du Congo. Tout le beau monde est réuni, les grands représentants et dignitaires, y compris le roi et la nomenklatura bruxelloise. Le roi Baudouin tint un discours paternaliste en mettant l’accent sur les grands acquis civilisateurs apportés par la Belgique pendant les longues années de l’existence de la colonie congolaise, à ses pupilles africains. Le discours de Kasa-Vubu fut du même style ne contenant pas la moindre offense. Tout changea quand le président du Parlement donna la parole, à la surprise de tous, à Patrice Eméry Lumumba. Dans le protocole, il n’était nullement prévu que ce rebelle, que de nombreuses personnes prenaient pour un communiste, puisse prendre la parole. Le roi pâlit, surtout quand il entendit ce que Lumumba déclara à l’occasion de ce tournant de l’histoire du Congo. Le tribun populaire, voilà le rôle que beaucoup lui attribuaient, ne s’adressa pas, dans son discours ardent et tenu à l’improviste, aux dignitaires réunis, mais directement au peuple assujetti pendant de longues années. Etant donné que la cérémonie fut retransmise dans son intégralité par la radio nationale congolaise, il disposait d’une immense audience qui se rappellera à jamais ses paroles courageuses (cf. encadré). Lumumba ne mâcha pas ses mots, désigna clairement les responsables de toutes les souffrances et injustices que les colons avaient infligé à son peuple depuis les temps de Léopold II, grand-oncle du roi Baudouin. Lumumba salua la Belgique dans son nouveau rôle de partenaire, avec qui la jeune République traiterait d’égal à égal et dans le respect mutuel, sans accorder aucun privilège. «L’indépendance du Congo n’est point un cadeau de la Belgique», lança-t-il au roi belge, aux hauts fonctionnaires réunis dans la salle et à tous ceux se trouvant dans le pays devant leur poste de radio. Elle a été acquise «par le combat». Pendant son discours flamboyant, Lumumba exprima la conscience nationale de l’Etat nouveau, disant aux anciens colons: «A l’avenir, vous pourrez aussi participer à nos richesses, mais dès maintenant suite à des négociations d’égal à égal et uniquement à des conditions honnêtes.» Ce n’est qu’avec peine qu’on put dissuader le roi, indigné et consterné, de quitter immédiatement la salle. Même si les émotions se calmèrent un peu jusqu’à l’heure du dîner de gala, de nombreux observateurs se doutèrent qu’en prononçant ce discours, mettant un terme à toute exploitation ultérieure du Congo, Lumumba avait signé sa propre sentence de mort. Ceux qui avaient assisté à son discours se trouvant dans le courant conservateur ou dans la logique du colonialisme et de la politique de force – y compris les membres des divers services secrets – rentrèrent chez eux avec une idée fixe: il faut se débarrasser de ce Lumumba!

Autonomie – pendant cinq jours

Les ennemis d’un Congo indépendant et économiquement autonome ne laissèrent au gouvernement Lumumba pas beaucoup de temps pour tenter de réaliser ses objectifs. Les premières émeutes apparurent que peu de jours après la cérémonie d’indépendance. La garnison de Thysville, située à proximité de Kinshasa, déclencha une mutinerie pour protester contre la déclaration que venait de faire le commandant en chef de la Force publique (armée nationale congolaise). Ce haut militaire belge avait gardé son commandement (à l’instar de la majorité des officiers qui étaient toujours des militaires belges) au-delà de l’indépendance. Il avait communiqué aux soldats congolais déçus que les postes d’officier resteraient toujours inaccessibles pour les Congolais. Le lendemain, la mutinerie se répandit à Kinshasa où des résidents belges, se trouvant toujours dans la capitale congolaise, furent harcelés. Lumumba nomma son secrétaire Mobutu, commandant en chef de l’Armée nationale congolaise, qui vint à bout de la mutinerie.
Le 11 juillet 1960, même pas deux semaines après les cérémonies de l’indépendance, Moïse Tshombe, ancien compagnon de combat de Lumumba, entre-temps élu président régional du Katanga, province riche en matières premières, proclama l’indépendance du territoire du Katanga contre la volonté du gouvernement central congolais, acte de sécession qui aboutit à une guerre de sécession qui dura jusqu’en 1963. Un mois plus tard, ce fut le tour d’un autre ancien compagnon de combat de Lumumba, Albert Kalonji, à proclamer l’indépendance du Kasaï du Sud, province limitrophe du Katanga et disposant, comme celle-ci, d’énormes quantités de matières premières, tels l’argent, l’or et les diamants. Les historiens mentionnent le fait que dans les deux cas de sécession, mis à part les cordons tenus par différents services secrets occidentaux, il était décisif que Lumumba n’avait pas convoqué dans son gouvernement ni Kalonji (qui avait dans les années de combat préliminaires à l’indépendance présidé au groupe modéré du MNC) ni Tshombe. La crise aboutit à de grandes tensions au sein du gouvernement qui minèrent l’alliance précaire entre Kasa-Vubu et Lumumba. Le 5 septembre 1960, le président Kasa-Vubu destitua de ses fonctions son Premier ministre Patrice Lumumba qui lui proclama la démission du président Kasa-Vubu.

Assassinat lâche

Le vacuum de pouvoir qui en résulta, encouragea Mobutu à agir. Le commandant en chef de l’armée congolaise intervint, contraignit Kasa-Vubu à garder ses fonctions à la tête de l’Etat et imposa au gouvernement, comme organe de contrôle, une commission formée d’hommes de références assurant les affaires gouvernementales en cours jusqu’à fin décembre 1960. Par la suite, Lumumba chercha le soutien d’un de ses rares fidèles, son ancien vice-président Antoine Gizenga qui était en train de former depuis Stanleyville (actuellement Kisangani) un gouvernement alternatif au gouvernement central, issu du coup d’Etat de Mobutu. Lumumba fut trahi au cours de son voyage secret à Stanleyville et arrêté. Les soldats de Mobutu le livrèrent à ses ennemis jurés du Katanga, conscient du sort qui l’attendait. Là, dans les environs d’Elisabethville (capitale du Katanga, la province au cuivre, aujourd’hui Lubumbashi), le combattant pour la liberté fut fusillé par des soldats katangais sous les ordres belges, de même que deux fidèles, après que tous les trois aient subi de graves maltraitances. Il est prouvé aujourd’hui que ce lâche assassinat politique a été perpétré par l’armée belge et les services secrets américains (cf. Ludo de Witte, 2000).
Ces faits sinistres montrent que la République «indépendante» du Congo se trouva transformée, peu de temps après la déclaration de son indépendance, en géant aux pieds d’argile. Les instigateurs avaient placé à différents endroits des charges incendiaires. Venir à bout de plusieurs guerres de sécession pour un gouvernement se composant, dans sa grande majorité, de ministres sans expérience, reconstruire un Etat économiquement ruiné, faire véhiculer l’idée que l’Etat n’est point une vache à traire mais devait être l’œuvre de tous les Congolais – et tout cela dans une institution étatique dont le bon fonctionnement faisait défaut et avec en plus une armée étant à l’époque incapable de s’opposer sérieusement aux diverses sécessions! Les observateurs objectifs des événements congolais étaient unanimes, à l’époque déjà, qu’un tel amas de problèmes n’était pas le fruit du hasard. On pouvait déjà prévoir à qui ce chaos allait profiter. C’était bien sûr Mobutu qui tissa avec acharnement sa toile jusqu’au moment où vint son heure pour une prise de pouvoir totale.     •
(à suivre)

Bibliographie
Ludo De Witte, L’Assassinat de Lumumba, Paris 2000; ISBN 2-84586-006-4
Helmut Strizek, Kongo/Zaïre-Ruanda-Burundi – Stabilität durch erneute Militärherrschaft? Studie zur «neuen Ordnung» in Zentralafrika, München/Köln/London (Weltforum Verlag) 1998; ISBN 3-8039-0479-X
Jean-Jacques Arthur Malu-Malu, Le Congo Kinshasa, Paris (Editions Karthala) 2002,
ISBN 2-84586-233-4

Une monographie fiable consacrée à l’histoire du Congo

pk. Helmut Strizek, né 1942, auteur de divers livres et publications principalement axés sur l’histoire des problèmes actuels des pays de la région des Grands lacs africains, a étudié les sciences politiques, l’histoire et le français. De 1980 à 1983, il appartenait à la délégation de l’Union européenne à Ruanda, de 1987 à 1989 il était responsable de la planification des projets au Rwanda et au Burundi auprès du Ministère allemand pour la Coopération économique et le Développement (BMZ – Bundesministerium für wirtschaftliche Zusammenarbeit und Entwicklung). De 1980 à 1983, Strizek a vécu au Rwanda.
Dans sa monographie citée ci-dessus sur l’histoire récente de la République démocratique du Congo, du Rwanda et du Burundi, Strizek analyse la «nouvelle» politique africaine de l’Occident qui se réalise depuis 1997 dans la région, poussée notamment par les Etats-Unis. Après l’effondrement du Bloc communiste et l’expulsion de Mobutu du pouvoir à Kinshasa, les Etats-Unis révisent leur politique africaine, remplaçant l’idée conductrice que leur ennemi le plus menaçant est le communisme par celle dorénavant du fondamentalisme islamique. Dans cette nouvelle conception, les Américains soutiennent, et avec eux leurs alliés stratégiques, des régimes africains susceptibles de garantir une position de barrage inconditionnelle contre l’expansion de l’islamisme africain: Laurent Désiré Kabila au Congo, Yoweri Museveni en Uganda, Paul Kagamé au Ruanda et Pierre Buyoya au Burundi. Ils optent ainsi pour des régimes militaires autoritaires, manquant de toute légitimation démocratique digne de ce nom – choix extrêmement problématique pour l’auteur. Dans son livre compétent et fiable, Strizek analyse également la question du sort des centaines de milliers de réfugiés rwandais hutu qui, pendant la guerre de 1997/98 ayant porté Laurent Désiré Kabila au pouvoir, furent d’abord expulsés des camps de réfugiés du Congo oriental pour finalement «se perdre» dans les forêts congolaises. En 1998 déjà, Strizek désigne les responsables de cet autre génocide, toujours déclaré tabou. Le livre est très fiable quant aux sources historiques, et il a, en plus, l’avantage élucider les faits historiques et actuels pas seulement dans une perspective nationale, mais régionale, ce qui rend évident les graves doutes que provoque la stratégie utilisée par l’Occident dans cette partie très explosive du monde. 

Kleptocratie

Cette notion désigne une forme de la domination politique qui a comme trait caractéristique qu’elle pille systématiquement sa propre population. La dictature congolaise de Mobutu en fournit un exemple modèle. Les ressources naturelles du pays étaient bradées à des prix forfaitaires à des puissances se trouvant à l’extérieur, puissances qui, en compensation, garantissaient la régence du dictateur. Les fonds qui en découlaient étaient transférés sur les comptes bancaires privés du dictateur et de ses sbires (se trouvant à l’extérieur du pays) ce qui avait comme effet qu’ils n’apparaissaient nulle part dans les flux monétaires officiels. Ils faisaient non seulement défaut pour les investissements étatiques d’intérêt général, mais privaient aussi systématiquement de leurs revenus ceux qui avaient généré ces fonds par leur dur travail.

«… notre cher pays est maintenant entre les mains de ses propres enfants.»

Extraits du discours de Lumumba, prononcé le 30 juin 1960 lors de la cérémonie d’indépendance:
«Car cette indépendance du Congo, si elle est proclamée aujourd’hui dans l’entente avec la Belgique, pays avec qui nous traitons d’égal à égal, nul Congolais digne de ce nom pourra jamais oublier cependant que c’est par la lutte qu’elle a été conquise. Une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang. Cette lutte, […] nous en sommes fiers jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour mettre fin à l’humiliant esclavage qui nous était imposé par la force. […] Nous avons connu le travail harassant, exigé en échange des salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir, ni de manger décemment, ni d’élever nos enfants comme des êtres chers. […] Nous avons connu que nos terres furent spoliées au nom de textes prétendument légaux qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort. […] Tout cela, mes frères, nous en avons profondément souffert. Mais tout cela aussi, nous que le vote de vos représentants élus a agréés pour diriger notre cher pays, nous qui avons souffert dans notre corps de l’oppression colonialiste, nous vous le disons: tout cela est fini. La République du Congo a été proclamée et notre cher pays est maintenant entre les mains de ses propres enfants.»

(Propos cités d’après Malu-Malu, 2002, p. 124)