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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°9, 4 mars 2013  >  Les gains les plus durement acquis sont susceptibles d’être perdus lorsque le contrôle sera remis aux Afghans [Imprimer]

Les gains les plus durement acquis sont susceptibles d’être perdus lorsque le contrôle sera remis aux Afghans

Avant-poste Hajji Rhamuddin II, Afghanistan

par Matthew Rosenberg

Quand les derniers soldats américains qui occupaient cet avant-poste isolé dans le sud de l’Afghanistan sont partis la semaine dernière, ils sont partis comme les précédentes unités étaient arrivées: prêtes à combattre.

Ils partaient de cette zone dangereuse à l’extérieur de Kandahar, principale ville du sud du pays, en même temps que les combattants talibans se réinstallaient, retournant depuis leurs sanctuaires d’hiver au Pakistan. C’était, nous a dit désabusé le sergent Jason Pitman, 35 ans, «comme si nous n’avions même pas eu le temps d’en être choqués.»
Les Américains savaient qu’ils seraient les plus vulnérables dans leurs dernières heures après avoir désactivé leur système de surveillance électronique. Les talibans le savaient aussi, et les rapports de renseignement ont indiqué qu’ils avaient travaillé avec les villageois sympathisants pour frapper les soldats sur le départ. Deux jours plus tôt, des militants avaient tenté une escarmouche contre l’avant-poste, passant à l’étape rare de s’engager sur un échange de tirs, très bref, peu de temps après que les antennes radio furent démantelées.
Le jour même où le président Barack Obama annonçait que près de la moitié des troupes américaines en Afghanistan se retireraient cette année, et que les forces afghanes commenceraient désormais à prendre les devants dans la guerre, le départ à plus petite échelle de cet avant-poste Hajji Rahmuddin II a été une étape réalisée sans fanfare.
Mais il souligna alors la dure réalité de ce désengagement: certains retraits se passeraient sous le feu ennemi, au cœur des zones contrôlées par les taliban où l’idée même d’Afghans contrôlant la sécurité demeure une abstraction et où la saison principale des combats devaient se produire dans quelques semaines seulement. Une partie des gains durement gagnés pendant cette guerre étaient susceptibles d’être perdus.
Dans les années qui ont suivi l’envoi par l’administration Obama de dizaines de milliers de soldats américains supplémentaires et de leurs alliés afghans dans les champs de vignes, les vergers, les champs de grenadiers et de pavots à opium du sud de l’Afghanistan, certains îlots de calme relatif ont été établis.
Mais même si ce coin de la province de Kandahar – le quartier Zhare – était également au cœur de cette augmentation des troupes, il est loin d’être une zone calme. Et cette situation n’est pas unique: de nombreuses régions du Sud et de l’Est, où le retrait des troupes est en cours, n’ont vu au mieux que des gains précaires de sécurité et ceci malgré des années d’efforts américains.
Les talibans ont ici choisi d’accentuer leurs actions sur le terrain où le mollah Muhammad Omar et ses premiers disciples se sont dressés, dans la genèse du mouvement, contre un chef de guerre local. De nombreux Afghans hésitent même à faire le voyage d’une heure de Kandahar à ce village en briques d’argile du district, dont beaucoup d’habitations sont à demi abandonnées après trois étés de combats intenses.
«Mes fils vivent dans la ville de Kandahar, et ils n’aiment pas revenir ici», a déclaré Abdul Malik, un notable de Tieranon, un village dans le centre de Zhare. Une fois que vous êtes dans les villages, a-t-il dit, «tout peut arriver».
Le retrait américain s’accélère et les commandants américains ont commencé à céder le terrain, celui-là même qui était le plus contesté, aux forces afghanes.
Il y a encore des places «où les talibans peuvent trouver refuge, et nous pensons toujours qu’il y a un réseau informel, ou des structures de soutien en place, sur lesquelles ils peuvent compter», a déclaré le major Thomas W. Casey, le commandant du troisième bataillon, 41e d’Infanterie, qui opère dans la partie orientale et centrale de Zhare.
Les Américains sont en patrouille ici aux côtés des unités afghanes presque tous les jours et exécutent des opérations importantes sur une base régulière. La semaine dernière, ils ont utilisé une arme qui déclenche une suite d’explosions en ligne, visant à dégager les routes minées et à abattre sur environ 550 mètres les arbres qui pourraient fournir une couverture pour les éclaireurs talibans et les attaquants.
Jeudi, ils ont démoli une colline que les talibans avaient utilisée comme position de combat, la réduisant en poussière et débris avec trois énormes explosions. Les Américains en mission étaient en supériorité numérique aux soldats afghans dans un rapport de trois pour un.
Il y a certaines choses que les Américains doivent assurer en solo parce que les Afghans ne peuvent pas les faire et ils ne seront pas en mesure de les faire de sitôt, nous a dit un commandant. Un exemple est l’utilisation de la haute technologie de surveillance – dirigeables, drones, caméras montées sur les tours de chaque base – pour aider à repérer les militants sur place avant qu’ils n’attaquent et diriger des attaques aériennes. Ils ont ainsi lancé de nombreuses attaques durant le seul dernier mois.
Les Afghans, quant à eux, se chargent d’envoyer des patrouilles régulières et d’effectuer un nombre croissant de petites opérations indépendantes. Leur aptitude au combat s’améliore et se rapproche de ce qu’elle devrait être, mais les Américains et même des officiers afghans affirment qu’une partie cruciale de l’armée – les équipes logistiques et d’approvisionnement qui assurent l’armement, le carburant, la nourriture et l’eau aux endroits nécessaires – n’est nullement prête à l'engagement.
La brigade afghane basée ici, par exemple, s’est trouvée en panne d’essence la semaine dernière et ceci pendant plusieurs heures, à la suite d’un cafouillage dans la chaîne de commandement parmi les officiers de la coalition.
Mais avec moins de soldats américains – le niveau des forces armées dans Zhare et le district voisin de Maiwand est passé d’une brigade d’environ 4500 soldats à deux bataillons, soit un total d’environ 1500 hommes – les forces afghanes devront combler les trous.
«Il n’y a aucun espace «blanc» dans Zhare – un espace blanc étant une zone que personne ne possède ou contrôle», nous a dit le major Casey. Si une zone n’est ni occupée par les forces américaines ni par les forces afghanes, «elle est occupée par les talibans. C’est un espace rouge.»
Quand les Afghans ne peuvent pas tenir ce que les Américains abandonnent, a-t-il dit, «l’espace rouge s’élargit».
C’est désormais le cas dans les villages qui entourent cette base importante qu’est Hajji Rahmuddin II. Encore en septembre, l’avant-poste était sous le contrôle d’environ 120 soldats américains et de quelques dizaines d’Afghans.
En janvier, les troupes américaines ont été réduites à un seul bataillon en sous-effectif. Entre la direction des quatre tours de garde, les patrouilles, le démantèlement du matériel et les activités humaines de première nécessité – manger, se laver et dormir – le bataillon était à bout de souffle.
Il y a deux semaines, ils ont réussi à trouver quelques minutes de plus chaque jour, après que les douches aient été enlevées par camion sans être remplacées. Les plats chauds ont suivis, et le temps du repas est devenu celui où vous pouviez trouver quelques rations. Les soldats ici réussissent encore à plai­santer à ce sujet. Ensuite, les antennes radio ont été démontées. L’attaque brève des talibans a suivi, après quoi le bataillon a installé un ballon à caméra unique pour monter la garde jour et nuit autour de l’avant-poste, nous a dit le major Casey.
Les troupes afghanes sur cette base sont maintenant réduites à 16 soldats, ils ont dit aux Américains qu’ils devraient rester. Le matin du départ des Américains, le commandant afghan, le lieutenant Mohamed Mohsen, a déclaré lors d’une interview qu’il pensait qu’ils allaient revenir. Si ce n’est pas le cas, a-t-il dit avec un visage sombre, les villageois exigeraient bientôt leur retour.
«Nous avons la liberté de faire ce que nous voulons», a déclaré le lieutenant Mohsen. Les villageois qui désirent la paix allaient l’avoir. Ceux qui ne la veulent pas, «peut-être que nous détruiront leurs maisons».
Les Américains, quant à eux, ont enlevé leur caméra surélevée, l’un des avantages majeurs des défenseurs. Dès ce moment-là, la sécurité est devenue «une préoccupation majeure», a déclaré le major Casey. «Nous nous sommes entièrement concentrés sur les aspects sécuritaires.»
Ils ont dû attendre quelques heures de plus que prévu. Le lieutenant Mohsen n’avait laissé que trois soldats à la base, même pas assez pour mettre un homme dans chacune des cinq tours qu’ils contrôlaient maintenant. Les Américains sont restés encore pendant deux heures, attendant le moment du départ fixé pour lui et le reste de ses hommes.
En fin de compte, les Américains ont réussi à évacuer l’avant-poste sans avoir à faire face à une fusillade, un soulagement après des jours de préparation en prévision d’une attaque de grande envergure.
Mais le major Casey et d’autres commandants ont dit qu’ils s’attendaient à une réaction des talibans après ce qu’ils venaient de voir.
Le bataillon qui a quitté Hajji Rahmuddin II sera ensuite de retour sur une base régulière afin de travailler avec les forces afghanes qui y sont basées. Les Américains continueront à observer depuis le ciel.
«La dernière chose que nous voulons», nous dit le major Casey, «c’est que les talibans reprennent le contrôle d’une base importante après que nous l’ayons quittée. C’est presque aussi mauvais que s’ils nous avaient attaqué au moment de notre départ».           •

Source: © The International Herald Tribune du 16–17/2/13

(Traduction Horizons et débats)