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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°12, 25 mars 2008  >  La paix en Irlande du Nord après quelque 40 ans de guerre: un exemple pour le monde entier [Imprimer]

La paix en Irlande du Nord après quelque 40 ans de guerre: un exemple pour le monde entier

par Titine Kriesi, docteur ès lettres

Le conflit d’Irlande du Nord fut la guerre la plus longue qui ait eu lieu à la périphérie de l’Europe occidentale, une guerre qui a duré presque 40 ans et dont la brutalité a été passée sous silence. En mai 2007, après 10 ans de processus de paix, celle-ci, que l’on avait longtemps crue impensable, a été signée et un gouvernement régional a été formé qui comprend les anciens extrémistes catholiques et protestants. Quand les médias parlaient de l’Irlande du Nord, il était toujours question de guerre civile, voire de guerre de religion. Pour ne pas en rester à ces euphémismes, il vaut la peine de plonger dans l’histoire. Le contexte historique montre que les «troubles» du XXe siècle ont été précédés de plusieurs siècles de rébellions de la population catholique irlandaise contre l’injustice et la répression exercée par la puissance coloniale britannique. En 1921, à la suite d’une manœuvre politique, l’Irlande fut divisée en une Irlande du Nord à majorité protestante et une Irlande du Sud catholique, ce qui conduisit à une paix apparente qui entraîna, à la fin des années 1960, de nouvelles violences. Une guerre acharnée s’ensuivit. Grâce à la lutte courageuse de la société civile pacifique et à quelques personnalités, notamment des mères, la paix fut enfin possible. L’importance de cette paix devrait être un exemple pour d’autres guerres et d’autres crises.

En 1169, le Pape fit cadeau de l’Irlande au roi d’Angleterre. C’est alors que commença l’immixtion de la monarchie dans les affaires intérieures de l’Irlande, également par des interventions militaires. C’était le premier pas vers la conquête anglo-normande de l’Irlande. Par la suite, des parties importantes de l’île furent soumises. L’Angleterre tenta d’assurer sa suprématie au moyen de lois raciales et culturelles. C’est l’Angleterre qui convoqua le premier Parlement anglo-irlandais de Dublin. En 1541, le roi d’Angleterre Henri VIII devint également «roi d’Irlande» (!). C’est alors que commença la résistance ouverte des tribus gaéliques contre la Couronne. En recourant à la tactique de la terre brûlée, la fille ­d’Henri VIII, Elisabeth Ire, lança la plus grande armée de l’époque contre les Irlandais insubordonnés. Le système clanique irlandais, qui reposait sur la propriété collective des terres, se transforma peu à peu en système féodal anglais et fut bientôt totalement détruit. La propriété collective fit place à la propriété privée. Les chefs de clans furent faits propriétaires terriens, les membres des clans devinrent des fermiers dépendants et les paysans indépendants des vassaux. Les forces militaires étrangères ne tardèrent pas à être combattues avec acharnement et, pendant des siècles, la population multiplia les insurrections. C’étaient des révoltes contre l’oppression, la discrimination, les manipulations, l’illégalité, le refus d’accorder des droits civiques par l’oligarchie anglo-protestante soutenue par la puissance coloniale britannique qui dominait la presque totalité du monde. Les rebelles irlandais opposèrent la résistance qu’il fallait ­contre cette puissance mais ils furent continuellement vaincus. Les expropriations des terres irlandaises effectuées en 1608 par la Couronne pour affermir son pouvoir et leur distribution à l’élite protestante anglaise et aux colons écossais conduisit, surtout dans le Nord de l’Irlande, dans la province d’Ulster, à une colonisation anglaise permanente. L’objectif de cette dernière était la ségrégation des ethnies. En 1653, après la campagne d’Oliver Cromwell, la culture irlandaise fut anéantie. A la suite de la victoire des Anglais en 1690 à la bataille de Boyne, célébrée aujourd’hui encore par l’Orange Order loyaliste, l’Irlande fut complètement conquise.

Les Irlandais catholiques deviennent des citoyens de seconde zone

Quelques décennies plus tard, les catho­liques irlandais se virent imposer une législation. En 1719, elle fut entièrement subordonnée à Westminster. Par la suite, le Parlement anglais promulgua le Code pénal qui privait les catho­liques de la presque totalité des droits civiques, comme le droit de vote et l’accès aux études universitaires. Les enfants catholiques étaient exclus des écoles contrôlées par l’Eglise protestante officielle. Ici ou là, il y avait pour eux des hedge schools, qui dispensaient leur enseignement en plein air, à l’abri d’une haie. Deux famines, aux XVIIIe et XIXe siècles, anéantirent une bonne partie de la population. Entre 1845 et 1848, 1,3 millions d’habitants moururent et beaucoup d’autres furent contraints d’émigrer. Et pourtant, à l’époque, l’Irlande exportait du blé et du froment, deux fois plus qu’il n’en aurait fallu pour nourrir la population. La majorité de la population rurale parlait le gaélique, ancienne langue celtique, la «langue des pauvres», et non l’anglais, langue officielle de la classe dominante.
Au cours de la colonisation, en 1801, fut imposée la réunion constitutionnelle de la Grande-Bretagne et de l’Irlande pour constituer le Royaume-Uni (Acte d’union). Dans le but de mieux défendre et imposer les droits des Irlandais furent fondées, en 1858, la Fraternité républicaine irlandaise (IRB), organisation paramilitaire, et la Société secrète des Fenians. Dans l’autre camp, les conservateurs britanniques s’allièrent, pour renforcer leur pouvoir, aux Unionistes protestants irlandais. De leur côté, les républicains catholiques créèrent, en 1905, le Sinn Féin («nous seuls» en gaélique), mouvement radical nationaliste opposé à l’usage de la force. Pour défendre les intérêts irlandais contre les projets de grande puissance de la Grande-Bre­tagne, les Volontaires irlandais reconstituèrent leur milice en tant que bras armé des Irlandais unis. En guise de riposte, les protestants fondèrent, en 1913, des groupements paramilitaires. Les chefs catholiques républicains de l’insurrection de Pâques 1916 qui proclamèrent la République d’Irlande à Dublin furent exécutés. Puis, en 1919, au cours de la guerre d’Indépendance anglo-irlandaise, tous les mouvements de volontaires se regroupèrent pour former l’Armée républicaine d’Irlande (IRA) qui espérait mettre fin à la domination britannique par la force des armes. 20 ans plus tard, l’IRA fut déclarée organisation illégale.

En 1921, l’Angleterre assure sa domination en divisant l’Irlande

Le parti Sinn Féin se renforçait. En 1918, il obtint la majorité des mandats irlandais. Ce qui augmenta encore sa victoire fut le fait que la plupart des élus au Parlement se trouvaient dans des prisons anglaises. Le gouvernement anglais s’efforça de faire éclater le Sinn Féin, mais ce dernier se constitua en Parlement irlandais (Dáil Eireann) et proclama à nouveau la République d’Irlande. Comme les Unionistes ne disposaient pas, même dans le Nord, d’une nette majorité, l’île fut partagée en deux en 1921 après la guerre d’Indépendance qui avait duré 3 ans: au Sud, la République catholique devenue dominion de l’Empire; au Nord, la province d’Ulster peuplée majoritairement de colons anglais et écossais. A vrai dire, lors de la fixation du territoire de cette nouvelle entité artificielle d’Irlande du Nord, la frontière fut manipulée. Pour s’assurer de la domination, on détacha artificiellement 3 comtés catholiques parmi les 9 comtés historiques pour les attribuer à la République d’Irlande, cela par crainte de voir les catholiques, dont le taux de natalité était supérieur, devenir bientôt majoritaires en Ulster. Lors d’une consultation populaire, les 6 comtés restants, à majorité protestante, se prononcèrent en faveur de leur maintien en Grande-Bretagne. La colonie d’Irlande du Nord devint un bastion britannique, le pays des Unionistes, qui continua de discriminer politiquement, économiquement et socialement la minorité catholique (2/3 de protestants, 1/3 de catholiques). Ce furent donc les Unionistes qui collaborèrent avec l’Angleterre et instaurèrent le Parlement d’Irlande du Nord à Belfast. L’IRA réagit par une vague de bombardements sur la nouvelle frontière et une seconde en Angleterre. Ce fut le début des décennies de plomb. A l’exception des années 1948 à 1951, cette période fut marquée par des grèves de la faim, des tribunaux spéciaux, des prisonniers politiques et des exécutions.1

«Troubles» du début des années 1970

Comme les catholiques d’Irlande du Nord continuaient – à l’instar des Tamouls du Sri Lanka – à se voir refuser des droits civiques essentiels qu’on accordait naturellement aux protestants, des mouvements en faveur des droits civiques se développèrent. Ils s’inspiraient des campagnes pacifiques de Martin Luther King contre la discrimination raciale aux Etats-Unis. L’Organisation de défense des droits civiques d’Irlande du Nord, fondée en 1967, fit dans tout l’Ulster des manifestations de masse pour réclamer notamment l’abrogation des lois d’exception et le «one man, one vote». L’année suivante, en 1968, les conflits entre les catholiques, les protestants et la police, qui était uniquement protestante (Royal Ulster Constabulary), s’aggra­vèrent. Etait-ce un projet de crime (ir)rationnel de la part de potentats arrogants? A Londonderry, en 1969, les combats de rue (Battle of the Bogside) dégénérèrent à tel point que Londres envoya des troupes en Irlande du Nord pour protéger les catholiques des «Apprentis» protestants qui, au cours de leurs défilés annuels, provoquaient la population dans les ghettos catholiques. Dans un premier temps, les catholiques accueillirent favorablement ces troupes venues les protéger. Elles allaient remplacer la police, que la population républicaine considérait comme partiale, puis se retirer rapidement. Mais il en advint autrement.

Commencer par protéger les républicains catholiques …

A la suite de la forte résistance des Républicains, on soupçonna, en 1971, en partie sans raisons, un millier de catholiques d’appartenir à l’IRA. Aux termes de la «Loi sur les pouvoirs spéciaux», ils furent arrêtés sans mandat, incarcérés sans jugement dans un camp de concentration ou en prison et torturés. La situation s’aggrava encore. En février 1972, à Londonderry, la troupe, lors d’une manifestation réunissant 20 000 défenseurs des droits civiques, tua 14 citoyens non armés, surtout des jeunes, en tirant dans le dos de la plupart d’entre eux. Lors de ce ­«Bloody Sunday» («Dimanche sanglant»), la guerre révéla sa grimace sinistre. Ce que l’on appelait par euphémisme une guerre civile entre catholiques et protestants n’était-il pas plutôt une lutte de la population catholique irlandaise contre l’alliance entre les Loyalistes protestants (loyaux à l’égard du Royaume-Uni) et la puissance britannique d’occupation, c’est-à-dire les forces de sécurité? Cette alliance et la collaboration directe entre les escadrons de la mort des Loyalistes protestants, les forces d’occupation britanniques et les forces de sécurité a été décrite dans toute une série ­d’études officielles réalisées depuis le milieu des années 19802. A l’origine, il ne s’agissait donc pas de la lutte des catholiques contre les protestants, et encore moins contre leur religion, bien qu’on eût pu le croire à voir les murs «de la paix» hauts de 11 à 18 mètres érigés entre les quartiers catholiques et les quartiers protestants. Des comités de citoyens catholiques créèrent des «zones interdites» («Free Derry» à Londonderry, «Free Belfast» à Belfast) afin d’empêcher les soldats britanniques et la police d’Irlande du Nord (exclusivement protestante à l’époque) d’y pénétrer. Lors de l’opération «Motorman» de 1970, la plus importante de l’armée britannique depuis la crise de Suez, les zones autoadministrées furent rasées. En 1976, les chefs de l’IRA paramilitaire Gerry Adams et Martin McGuiness prirent le contrôle du mouvement républicain, ce qui fit d’eux les terroristes les plus recherchés d’Irlande du Nord. Près de 40 ans (!) d’une guerre épuisante absorbèrent par la suite les dernières forces de la société civile qui aspirait à la paix.

Deux mères exigent la paix

Dans un climat de plus en plus violent qui toucha également les groupements paramilitaires, on vit se développer la haine et la méfiance à l’égard de presque tous les citoyens. Lorsque Betty Williams vit, gisant sur le sol, Anne Maguire, grièvement blessée, et ses trois enfants tués par une voiture dont les occupants fuyaient après un attentat, elle se décida à agir. Elle s’associa à la sœur de cette mère de trois enfants, Mairead Corrigan, et ces deux «Mères Courage de Belfast» créèrent le mouvement interconfessionnel Peace-people en faveur de la paix et contre toute forme de violence et de terrorisme, et bientôt des milliers de personnes les suivirent dans les rues, catholiques et protestants manifestant côte à côte à coups de sifflet dans les rues de Belfast. Les visites effectuées par Mairead Corrigan dans le tristement célèbre camp d’internement de Long Kesh la mirent en contact avec des extrémistes des deux camps. Il fallait que cesse l’effusion de sang, que les troupes britanniques se retirent, que les protestants et les catholiques résolvent leurs problèmes eux-mêmes. En demandant que les politiques des deux camps hostiles s’assoient à une table, elles voulaient donner une chance à la paix. Toutes les armées, les 8 armées terroristes et la britannique, devaient disparaître des rues. Cela encouragea la population civile à s’élever encore plus contre la violence. Celle-ci diminua. Dans leur appel personnel – Declaration of peace – lancé à l’occasion de la remise du prix Nobel de la paix à Oslo en 1977, les deux femmes formulaient la demande suivante:

Déclaration de paix des deux mères de Belfast

«Nous adressons au monde un message ­simple: nous voulons vivre, aimer et édifier un monde juste et pacifique. Nous voulons pour nos enfants, pour nous-mêmes, dans nos foyers, au travail, dans nos jeux, une vie pleine de joie et de paix. Nous sommes conscientes que cela exige de nous du dévouement, du courage, de grands efforts, que de nombreux problèmes sociaux sont à l’origine de conflits et de violence, que chaque balle tirée, chaque bombe qui explose rend ce travail plus compliqué. Nous nous opposons catégoriquement à l’usage des bombes et des balles, à toutes formes de violence. Nous cherchons, jour après jour, à convaincre nos voisins, proches ou éloignés, afin de construire une société pacifique dans laquelle les tragédies que nous vivons actuellement ne seront plus qu’un mauvais souvenir et une continuelle mise en garde.»

Aucun citoyen ne veut la guerre

Ces deux femmes courageuses avaient déclenché un changement profond dans la province d’Irlande du Nord. Elles avaient suscité durablement un espoir de paix. Les gens reprirent courage et s’investirent encore davantage en faveur de la paix. Toutefois cette guerre funeste se poursuivit encore durant 21 ans bien qu’aucun citoyen ne la voulût. Qui a payé de sa vie pour les intérêts inavoués de la politique britannique? Toutes les familles souffraient mais la communauté internationale l’ignorait car les médias, qui auraient dû être au service de la paix et non de la guerre, n’en parlaient pas et cela était égal aux censeurs de la presse et aux politiciens épris de puissance. (cf. Jörg Becker, Horizons et débats, no 8 du 25/2/2008)

Des avocats accusent l’Etat de droit

En 1998, 33 avocats courageux publièrent une déclaration contre les inégalités dans le ­traitement des citoyens. Ils réclamaient avec insistance que soit respecté le principe d’égalité devant la loi. Ils s’élevaient contre l’échec de l’Etat de droit, la violation des droits de l’homme les plus fondamentaux et la transgression des lois nationales et internationales. Comme celle des mères en faveur de la paix, cette déclaration eut une grande portée. Elle confirmait le fait que les catholiques étaient quotidiennement victimes de discriminations, leur redonna du courage et l’espoir de sortir de cette situation de mépris des lois.

L’Accord de paix du Vendredi saint de 1998, un tournant vers la paix

En 1998, le président du Social Democrat and Labour Party (SDLP), John Hume, qui allait recevoir le prix Nobel de la paix cette année-là pour son engagement en faveur d’une solution pacifique du conflit nord-irlandais, engagea des pourparlers secrets avec le président du Sinn Féin, Gerry Adams. (Adams: «Tous les partis devraient placer le bien commun au-dessus de leurs intérêts particuliers et construire la paix et l’avenir de l’Irlande.») La nouvelle trêve de l’IRA de 1997 (et la destruction de ses armes en 2005) mar­quèrent le début des pourparlers de paix entre tous les partis. L’Accord de paix du Vendredi saint conclu par les gouvernements irlandais et britannique et 8 partis d’Irlande du Nord fut approuvé aussi bien en Irlande du Nord que dans la République d’Irlande du Sud par une majorité écrasante (en Irlande du Nord, 96% des catholiques et 55% des protestants l’approuvèrent, 90% dans la République d’Irlande du Sud). Ce fut un tournant définitif vers la paix. Cette année-là encore, le catholique John Hume et le protestant Davis ­Trimble reçurent également le prix Nobel de la paix pour leurs efforts en faveur d’une résolution pacifique du conflit. L’Accord rétablit l’autonomie administrative de l’Irlande du Nord après qu’elle ait été, depuis 1972 et de diverses manières, directement subordonnée au pouvoir de Londres. Le camp d’internement de Long Kesh a été fermé en 2000. Dès lors des trêves avortées, des intransigeances et des calculs de politiciens menacèrent le processus de paix et les succès partiels des pourparlers, mais la prise de conscience que l’usage des armes n’avait rien apporté d’autre que des milliers de morts – surtout des jeunes – dix fois plus de blessés et une population tout entière privée pendant des décennies de sa force vitale apporta la paix.

Une leçon à retenir: seules des négociations peuvent apporter la paix

C’est grâce à la volonté toujours plus forte de trouver une solution politique et la persévérance des négociateurs, surtout de Hume, qui était profondément convaincu de la nécessité d’une solution pacifique, que l’on parvint, par l’intermédiaire d’Adams, à faire déposer les armes à l’IRA. Les catholiques avaient sans cesse revendiqué leurs droits civiques et humains et ils les obtenaient au bout de plusieurs décennies. A la différence de l’ancienne police uniquement protestante, la réforme de la police de 2001 établit la parité entre les membres des deux confessions, du moins théoriquement. Le succès des négociations souhaité depuis longtemps par toute la population d’Irlande du Nord sous forme d’élections en mars 2007 et l’installation du gouvernement régional d’Irlande du Nord en mai de la même année scellaient la paix.

Les extrémistes trouvent un terrain d’entente

La recherche acharnée du dialogue par des moyens exclusivement pacifiques et démocratiques avait permis aux extrémistes des deux camps de s’asseoir finalement à une même table. Ce qui avait paru impensable pendant des décennies était devenu réalité: sous la pression de la population et pour le bien de tous les citoyens, les chefs des partis protestants et catholiques qui s’opposaient se sont mis d’accord pour collaborer afin de respecter le droit. Le signal du 8 mai montrait que l’on avait la volonté politique de résoudre ensemble les conflits urgents en vue d’un avenir meilleur. La formation d’un exécutif commun représentait un pas en avant considérable. Ainsi, le gouvernement actuel comprend des représentants des deux camps de l’Irlande du Nord. Du côté protestant, en mai 2007, c’est le révérend Jan Paisley3 qui a été nommé Premier ministre. Jusqu’alors, il était connu sous le sobriquet de «Monsieur non» car il refusait tout compromis et avait traité les Républicains de vermine. Du côté catholique, c’est Martin McGuiness, négociateur en chef du plus grand parti catholique, le Sinn Féin, qui fut nommé vice-Premier ministre. Dans les années 1980, il fut chef d’état-major de l’IRA, plus tard ministre de l’Education et, de même que l’ancien commandant de l’IRA Adams, le terroriste le plus recherché. Certes, le gouvernement d’Irlande du Nord est encore dirigé par le Royaume-Uni, mais l’Accord de paix du Vendredi saint laisse expressément ouverte la possibilité d’une réunification avec la République d’Irlande au cas où une majorité d’Irlandais du Nord la souhaiterait.

La guerre depuis la plus tendre enfance

L’ère de la confrontation a pris fin, mais à quel prix! Cette guerre, comme toutes les autres dans le monde, a entraîné des blessures profondes dont la guérison, si elle intervient, prendra des années. 100 000 anciens détenus traumatisés, en majorité des catholiques, ont été incarcérés pour la plupart durant plus de 20 ans et essaient maintenant de retrouver une vie normale. Qu’est-ce que la paix? demandent les jeunes. Une chose étrange qu’ils n’ont pas connue. Dans les anciens bastions républicains catholiques où le malheur n’a été épargné à aucune famille, on observe encore régulièrement des suicides chez ces ­jeunes traumatisés qui, depuis tout petits, n’ont connu que la guerre. Beaucoup d’entre eux ressentent la paix comme un vide. Bien que la communauté catholique ait créé pendant la guerre un réseau serré de structures d’entraide efficaces et attaché toujours une grande importance à l’éducation, certains jeunes n’ont pas bénéficié d’une formation professionnelle et ne trouvent guère d’emploi. Malgré cela, de nombreux adultes qui ont souffert de la guerre œuvrent en tant que travailleurs sociaux et éducateurs de rue, désireux d’épargner à la jeunesse actuelle ce qu’ils ont vécu pendant la guerre.

L’Irlande, un modèle pour d’autres régions en guerre ou en crise

Pour beaucoup, la paix en Irlande du Nord est une grande chose invraisemblable, impalpable. C’est à juste titre que la presse internationale a présenté le processus de paix comme exemplaire à bien des égards, comme un exemple prouvant qu’aucun conflit n’est insoluble et qu’il ne faut pas désespérer de l’homme, avant tout comme un modèle pour d’autres régions en guerre ou en crise, conflit israélo-palestinien, Sri Lanka, Irak (Comme à présent l’Irak, Bush voulait également diviser l’Irlande du Nord; la stratégie de guerre «améliorée» lors de la guerre d’Irlande du Nord est appliquée en Irak). Mais si l’on veut parvenir à la paix, il est nécessaire de changer profondément sa manière de voir les choses, il faut envisager l’autre comme un égal et l’écouter, il faut apprendre à se parler. Même si en 2007, au bout de 40 ans, les troupes britanniques se sont peut-être retirées uniquement parce que la guerre était devenue trop coûteuse ou pour quelque autre raison de politique de puissance, il n’était de toute façon pas possible, dans ce siècle, de pacifier la province même avec des troupes nom­breuses et armées jusqu’aux dents. Le problème ne pouvait pas non plus être résolu par des couvre-feu ou tous les contrôles possibles et imaginables. La guerre était une impasse et ne faisait qu’aggraver la situation. La solution ne pouvait résider que dans la prise de conscience par les deux parties que la violence ne menait à rien et que seuls les négociations et les compromis pouvaient mener à la paix. [La promesse des paramilitaires protestants de détruire eux aussi leurs armes semble ne pas avoir encore été réalisée.]

Faire la paix, créer la confiance, rechercher la réconciliation

Des années d’hostilité et de violences avaient séparé les hommes. Pour vaincre l’important déficit de confiance dans les deux camps, il fallait mettre un point final. Or l’Irlande du Nord nous montre qu’il est possible de recommencer de zéro après des décennies d’une méfiance apparemment insurmontable entre des fronts qui s’étaient durcis. Un conflit brutal où l’on s’était opposé pendant des décennies à tout apaisement est en train de trouver une solution pacifique et juste. Comme l’Irlande du Nord, autrefois symbole de violence et de division, a pu devenir le lieu d’un processus de paix efficace, d’autres pays, avec leurs particularités, pourraient suivre son exemple.
Certains aspects de ce processus non encore achevé mériteraient certainement d’être étudiés de plus près. Il pourrait, dans le monde entier, donner à des peuples qui ont souffert de la guerre et lutté jusqu’ici en vain contre l’oppression et l’injustice un espoir de résoudre leurs différends par des moyens exclusivement pacifiques. Nous ne pouvons que souhaiter une paix durable en Irlande du Nord et dans d’autres pays.
Puisque les extrémistes d’Irlande du Nord ont pu former un gouvernement commun au bout de presque 40 ans de guerre, puisque le club athlétique gaélique a réussi, en 2007, à ouvrir son «sanctuaire», le stade Croke Park – situé dans le nord de Dublin, centre nationaliste de disciplines irlandaises tradition­nelles absolument interdit jusque-là aux sports anglais – au match de rugby Angleterre/Irlande, des choses tout à fait différentes pourront être réalisées dans le monde … sans faire la guerre.    •

1    cf. Sean MacBride, ministre des Affaires étran­gères de la République d’Irlande et lauréat du prix Nobel de la paix en 1974, in: Tom Collins, The Centre Cannot Hold. Britains Failure in Northern Ireland, Bookworks Ireland, Dublin, 1983
2     cf. p.ex. Stevens-Report
3    Au début mars 2008, Paisley a annoncé qu’il démissionnerait en mai de ses fonctions de Premier ministre du gouvernement d’union nationale et de chef du Parti unioniste démocrate (DUP). On suppose que, ce faisant, il voulait prévenir une destitution. Son fils, son bras droit, a dû, en février, renoncer à ses fonctions de ministre parce qu’il a été impliqué dans des scandales politiques.

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Déclaration conjointe de 33 avocats d’Irlande du Nord du 14 janvier 1998: Egalité devant la loi

«Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi.» (Article 7 de la Déclaration universelle des droits de l’homme)

Nous, soussignés, membres de la profession juridique en Irlande du Nord, souhaitons exprimer notre grave préoccupation face à l’échec de l’Etat de droit et à la relative immunité dont jouissent les membres des forces de sécurité qui ont commis des violations des droits fondamentaux et enfreint le droit à la fois national et international.
L’un des principes fondamentaux de l’Etat de droit est que tous sont également soumis à la loi et que personne n’est placé au-dessus des lois. Toutefois, au cours de notre vie professionnelle, nous avons été témoins de nombreux incidents où ce principe élémentaire avait été bafoué. Déplorant que cet état de faits ait entraîné une crise de confiance dans l’administration de la justice, nous estimons qu’il est extrêmement important que des mesures soient immédiatement adoptées pour résoudre les problèmes suivants:
•    L’Etat a le devoir de protéger le droit à la vie, qui constitue le plus fondamental de tous les droits. Depuis le début du conflit, ceux qui agissent pour le compte de l’Etat ont bafoué en toute illégalité ce droit à la vie en de nombreuses occasions. L’incapacité de l’Etat à protéger le droit à la vie a donné naissance à une conviction largement répandue dans l’opinion publique selon laquelle les forces de sécurité jouissent de l’immunité des poursuites. […]
•    En outre, des centaines de milliers de livres prélevées sur les deniers des contribuables ont été versées à titre de compensation pour les décès et les blessures causés par les balles en plastique, alors que personne n’a été tenu pour responsable. Il en a résulté des situations telles que celles que nous avons vues en 1996 et en 1997, quand des milliers de balles en plastique ont été tirées en toute insouciance et massivement contre une partie de notre communauté [les catholiques, note de l’auteur]. […]
•    La persistance de l’utilisation et de l’usage abusif des lois d’exception est réellement préoccupante, notamment en ce qui concerne les centres de détention. Des centaines de milliers de livres sterling prélevées sur les deniers publics ont été versées à titre de dommages et intérêts aux détenus qui avaient subi des violences ou été emprisonnés illégalement dans ces centres. A notre connaissance, aucune procédure disciplinaire ni pénale n’a été engagée contre les responsables de ces actes. […]
•    La Cour européenne des droits de l’homme a déjà jugé que le fait d’interdire à un détenu de se faire assister par son avocat […] constitue une violation du droit à bénéficier d’un procès équitable.
•    Ce jugement date de 1996 et le gouvernement n’a toujours rien fait pour s’y soumettre. Afin d’amorcer le processus visant à restaurer la confiance de l’opinion publique, nous exhortons le Secrétaire d’Etat à l’Irlande du Nord à répondre à nos préoccupations en veillant à ce que l’Etat de droit règne en Irlande du Nord, et l’invitons en particulier à:
    […]
–    procéder à une révision complète du système de maintien de l’ordre et de l’administration de la justice en vue de créer une structure qui soit à la fois responsable, démocratique et représentative;
–    abroger les lois d’exception, fermer les centres de détention, rétablir le droit de garder le silence et autoriser la présence des avocats durant l’interrogatoire de leurs clients;
–    interdire l’usage des balles en plastique […]
•    Le fait que la loi ne garantit pas une égale protection des droits de chaque individu se trouve au cœur du conflit qui règne en Irlande du Nord. Par conséquent, l’application du principe de l’égalité de tous devant la loi est essentielle à la résolution du conflit. L’autorité de la loi doit s’appliquer à tous, y compris à l’Etat. Le gouvernement doit se fixer comme principe directeur la protection des droits humains.

Source: Amnesty International

Communiqué de presse du Comité du Prix Nobel 1997

«Au cours des 30 dernières années, le conflit national, religieux et social [d’Irlande du Nord] a coûté la vie à plus de 3500 personnes. En attribuant le prix, le Comité norvégien du Nobel exprime son espoir que les accords qui viennent d’être conclus [Accords de Belfast] n’apporteront pas seulement une paix durable à l’Irlande du Nord mais inciteront à trouver dans le monde entier des solutions pacifiques à d’autres conflits religieux, ethniques et nationaux.»


La lauréate du Prix Nobel ­Mairead Corrigon, dont les discours ont été loués dans le monde entier, a écrit ce qui suit à son fils Luke: «Sache que le don le plus important que tu puisses faire à tes compagnons de route sur les chemins cahoteux de la vie est l’AMOUR. Tu vas devoir faire preuve de beaucoup de courage pour suivre une voie sans armes, pour ne pas haïr ni tuer dans un monde qui t’apprend que tu dois avoir des ennemis, que tu dois être prêt à tuer avant qu’ils ne te tuent. Sois grand, fort et armé uniquement d’amour, mon cher Luke. Refuse la haine, n’aie pas d’ennemis, ne permets pas que ta vie soit déterminée par la peur. Seul l’amour abat les murailles de haine et d’hostilité qui séparent les hommes et les nations.»


Extrait du discours de la lauréate du Nobel de la paix Betty Williams: «Chaque jour, dans le monde, 12 000 humains meurent de pauvreté et malgré cela on dépense quotidiennement 720 000 millions de dollars pour les armements. Songez à ces priorités insensées. Finalement, nous avons le temps de réfléchir pendant que d’autres meurent. Imaginez ceci: si l’on pouvait stopper les dépenses d’armements, qui sont de 500 000 dollars par minute, l’espace d’une seule minute et qu’on les distribue aux 12 000 personnes qui meurent ce jour-là, chacune d’entre elles recevrait plus de 40 dollars, assez pour vivre dans le luxe au lieu de mourir dans la misère.»