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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°17, 4 mai 2009  >  «Nous avons besoin d’un pays comme la Suisse» [Imprimer]

«Nous avons besoin d’un pays comme la Suisse»

Réactions d’Allemands de l’Est à propos des attaques allemandes contre la Suisse

thk. Entreprendre une promenade dans le marché d’Ilmenau peut être instructif lorsqu’on y entre en contact avec les gens. Les différents stands présentant des produits de la région, à commencer par des fleurs en passant par les plants pour le jardin, jusqu’aux pommes de terre de sa propre terre, invitent les promeneurs à acheter l’un ou l’autre produit soit pour son jardin, soit pour en faire cadeau à la maison. Il y en a pour tous les goûts et les tentations sont nombreuses.
Qui connaît les saucisses à rôtir du pays sait combien il est difficile de résister à l’envie de repartir avec une telle saucisse dans la main. C’est l’occasion d’engager la conversation. L’un des interlocuteurs a vite fait de repérer que je viens de Suisse et la conversation s’engage immédiatement. Il répond spontanément à la question de ce qu’il pense de l’attaque du gouvernement allemand contre la Suisse et des menaces proférées par des politiciens socialistes contre notre pays. «Ce sont bien nos socialistes, qui tentent de détourner l’attention de leurs propres manquements; la Suisse ne doit pas se laisser faire. Un de mes collègues travaille en Suisse; il vient de rentrer et j’en discuterai avec lui. Cela leur ressemble de s’en prendre à la Suisse.» Comme la queue devant le stand s’allonge et que je ne veux pas le gêner dans son travail, je prends congé.

«La Suisse, seul Etat neutre»

Un jardinier, dont les tables son remplies de plants et de plantes de toutes les grandeurs s’est installé à proximité. Ce que je lui raconte des attaques contre la Suisse le déconcerte également. Il me lance un regard incrédule et sa réaction est sans ambages: «C’est quoi, cette affaire. La Suisse est le seul Etat neutre, et ils veulent le détruire. Cela ne peut se passer ainsi. Les socialistes se sont plantés et ils cherchent maintenant un bouc émissaire.» – «Ah non, nous avons besoin d’un pays comme la Suisse», dit-il à voix haute et intelligible, «on ne peut laisser faire.» Comme, ici aussi, les clients sont nombreux à vouloir profiter des conseils de ce marchand de fleurs compétent je le quitte en saluant et me dirige vers l’Hôtel de ville.
On y trouve un musée d’histoire qui présente des éléments intéressants du temps de Goethe. Une jeune femme derrière la table d’accueil du musée laisse éclater sa joie en entendant que nous venons de Suisse. Pour elle c’est un pays merveilleux et elle y passera quelque temps en été, elle se réjouit déjà. A la question de savoir si elle a entendu parler des attaques injustifiées contre la Suisse, elle marque quelque étonnement et répond par la négative. Elle exprime toutefois le fait qu’elle ne le comprend pas. Comme le temps s’écoule et que le voyage est encore long nous nous séparons de ce pays idyllique, sachant que toutes les personnes avec lesquelles nous nous étions entretenus au cours de notre voyage, longuement ou brièvement, avaient réagi avec intérêt et sympathie au fait que je venais de Suisse.

Spécificité de la démocratie directe

Il était frappant de constater que les per­sonnes interpellées répondaient spontanément et prenaient position dans l’affaire des reproches adressés à la Suisse, manifestant ouvertement leur désaccord.
J’ai vécu la même expérience lors d’un court séjour à Dresde. Lors d’une longue conversation avec un ingénieur de la ville, je remarquais qu’il n’était absolument pas d’accord avec le comportement de l’Allemagne envers la Suisse. Selon lui, il apparaît clairement que la crise financière et leurs propres incapacités politiques sont à l’origine des attaques, allant jusqu’à la menace. Il lui semblait important que toutes celles et tous ceux qui pensaient de la même façon se manifestent afin d’exercer une pression sur le gouvernement. Il voulait en parler à ses collègues. Tout ce qui arrive actuellement est à mettre en relation avec ce qui se passe dans le monde et surtout que, malgré le changement de gouvernement, les Etats-Unis veulent toujours maintenir et déve­lopper leur prédominance dans le monde. Quant à lui-même, il lui reste encore beaucoup de questions, y compris en ce qui c’est passé après la chute du Mur. A noter que mon interlocuteur n’est pas un partisan de la domination du parti communiste d’alors (SED), mais pas non plus du système occidental. Il décrit clairement les avantages et désavantages de la situation actuelle, notamment le déficit démocratique de l’Allemagne. Il tire un parallèle avec la Suisse, qui est un cas particulier avec sa démocratie directe, que le pays doit sauvegarder à tout prix. Il voit dans ce fait aussi une cause probable de l’attaque contre le pays. Il apparaît clairement dans cette conversation, comme auparavant, que l’interlocuteur se met immédiatement du côté de la Suisse et condamne, dans la mesure où il est au courant, le comportement du gouvernement allemand.

Les Allemands de l’Est sont floués pour la troisième fois

Un commerçant de la région des monts Métallifères (en allemand Erzgebirge), qui propose essentiellement des petits souvenirs de production locale, ne savait rien de la situation de la Suisse et n’a donc pas voulu s’exprimer à ce sujet. Nous abordons la conversation sur la crise financière. Il s’y connaît bien et déclare qu’en Allemagne de l’Est c’est pour la troisième fois qu’ils sont floués. L’argent qu’ils avaient gagnés péniblement et qu’ils avaient mis de côté en se privant a perdu pour la première fois la moitié de sa valeur lorsque le mark ouest-allemand a été introduit à l’Est et une deuxième fois lors de l’introduction de l’euro, et maintenant, alors qu’on peut s’attendre à la mise en marche de la planche à billets, ce sera encore pire. Il nous dit vivre du tourisme, lequel avait subi un ralentissement après le 11-Septembre, puis un deuxième maintenant avec la crise financière. «Auparavant, je pouvais démonter mon stand le soir sans devoir réemballer une seule pièce de mes marchandises, car j’avais tout vendu le jour même. Aujourd’hui, ça n’arrive pour ainsi dire plus jamais. Ici, nous devons tous nous serrer la ceinture. Nous n’avons plus qu’à nous soumettre, nous ne pouvons plus compter sur les politiques.»
Les idées émises lors des différentes discussions et entretiens ne sont pas, scientifiquement parlant, le reflet moyen de l’opinion des gens, mais indiquent tout de même une prise de conscience et un intérêt pour les questions politiques qui sont encourageants. Une grande partie de la population constate que quelque chose ne tourne pas rond. On découvre les manœuvres de la politique et on s’exprime. Une fois rentré de mon court séjour en Saxe, je suis persuadé qu’un grand nombre d’Allemands de l’Est y voient clair, en parlent volontiers et réfléchissent aux moyens d’améliorer la situation.    •