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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°44, 7 novembre 2011  >  Les citoyens ont leur mot à dire à propos des questions monétaires fondamentales [Imprimer]

Les citoyens ont leur mot à dire à propos des questions monétaires fondamentales

Il y a soixante ans

par Werner Wüthrich

Récemment, l’Association «Modernisation monétaire» a présenté une initiative populaire visant à réformer le système monétaire suisse. Dans sa conférence de base, Hans Christoph Binswanger, professeur émérite à l’Université de Saint-Gall, a démontré qu’il n’était pas possible de résoudre la crise financière et écologique sans procéder à une réforme des changes et de la monnaie. La Banque nationale suisse entend transformer l’initiative populaire prévue en «monétative». Quatrième pouvoir de l’Etat, la monétative doit répartir efficacement non seulement les espèces en circulation, mais aussi la monnaie fiduciaire, que le système bancaire crée actuellement en accordant des crédits (cf. «Horizons et débats» no 40 du 10/10/11). J’attire ici l’attention du lecteur sur la contribution des professeurs ­Philipp Mastronardi et Peter Ulrich «L’argent régit le monde ou est à son service» dans «Horizons et débats» no 43 du 31/10/11. Ces auteurs sont membres du Conseil scientifique de l’Association «Modernisation monétaire». Le présent article montre que le processus de démocratie directe permettant de résoudre les problèmes financiers et monétaires n’a rien de neuf en Suisse. Il y a soixante ans déjà, trois votations populaires ont eu lieu, qui ont posé les jalons du système monétaire.

En 1944, un accord monétaire a été conclu à Bretton Woods (USA), qui établissait un système fondé sur l’étalon dollar-or. Pendant près de soixante ans, il devait régir la vie économique ainsi que le trafic des paiements et des capitaux mondiaux. Il se basait sur des taux de change fixes, dont la modification nécessitait une procédure compliquée. Le dollar des Etats-Unis devint la monnaie-clé et de réserve. Disposant de réserves d’or considérables, ce pays recommandait aux banques centrales des autres Etats de recourir au dollar des Etats-Unis comme monnaie de réserve et de succédané à l’or. De propres réserves d’or n’étaient pas du tout nécessaires, car les Etats-Unis échangeraient à tout moment de l’or contre des dollars.
En Suisse, le Conseil fédéral et le Parlement ont élaboré, d’entente avec la Banque nationale (BNS), un projet d’article constitutionnel sur la monnaie qui laissait toute latitude pour déterminer les composantes des réserves monétaires. L’art. 39, al. 6 du projet, avait la teneur suivante: Les billets de banque et autres signes analogues pouvaient être déclarés moyens de paiement légaux. La Confédération fixe le genre et le volume de la couverture.» Cette proposition ne faisait l’objet d’aucune contestation parmi les élites politiques. La réaction des votants a surpris d’autant plus: le 22 mai 1949, 61,5% des voix et 20 ½ de 22 cantons ont rejeté la proposition. La raison du refus était claire: la majorité des votants n’acceptait pas de confier à la Confédération, soit aux politiciens et à la Banque nationale, le soin de fixer le type et la composition des réserves monétaires. Si cet article avait été accepté, les responsables auraient pu établir les conditions légales pour constituer une grande partie des réserves monétaires en dollars, comme cela a lieu actuellement en euros. – Une grande partie de la population souhaitait alors expressément que l’or figurât comme réserve dans la Constitution fédérale. – Pour sa part, le parti libéral-socialiste fit une autre proposition.

Initiative populaire «Garantie du pouvoir d’achat et du plein emploi» lancée par le parti libéral-socialiste suisse

Issu peu auparavant du mouvement de la monnaie franche, ce parti refusait d’établir la monnaie sur l’or, considéré comme trop peu flexible. A ses yeux, l’essentiel était d’ajuster la masse monétaire. Ces milieux ont lancé l’initiative populaire «Garantie du pouvoir d’achat et du plein emploi», recueillant rapidement 90 000 signatures, qui devaient toutes être contrôlées par les autorités. Ce résultat était d’autant plus remarquable que la Constitution n’exigeait que 50 000 signatures et que la population ne se chiffrait alors qu’à la moitié de celle d’aujourd’hui. De surcroît, les femmes ne pouvaient pas encore signer à l’époque. En outre, le thème de la collecte de signatures était tout sauf simple. Il fallait modifier l’art. 39 de la Constitution fédérale de la manière suivante: La tâche principale de la banque pourvue du monopole de l’émission de billets consiste à régler la circulation de ceux-ci dans le pays de façon que le pouvoir d’achat du franc ou l’indice du coût de la vie reste constant. Une expansion procurerait à l’économie croissante les moyens de paiement dont elle a besoin, une réduction jugulerait la hausse des prix. L’objectif serait de parvenir à un équilibre coïncidant avec le plein emploi. Un récit personnel de l’époque donne une idée du climat favorable dans lequel la récolte de signatures a eu lieu (voir l’encadré de la p. 8).
Une décision de démocratie directe relative à des questions fondamentales concernant la finance et la politique monétaire était à l’ordre du jour. La BNS doit-elle régler la masse monétaire de manière à maintenir la valeur de la monnaie et atteindre le plein emploi ou doit-elle donner davantage d’importance à l’or en tant que réserve monétaire de sa politique. Le réponse à cette question sera décisive.

Débats des Chambres fédérales

Le franchiste Werner Schmid au Conseil national et Hans Bernoulli au Conseil des Etats ont lutté de façon toute particulière contre des adversaires nombreux, en faveur de l’initiative relative au pouvoir d’achat. Ils ont dû faire face à maintes polémiques. Les débats ne concernaient par moments en rien l’ajustement de la masse monétaire, mais ­Silvio Gesell et la monnaie fondante.
Aux Chambres, les débats sur l’or ont revêtu divers aspects. Le conseiller fédéral Nobs, premier conseiller fédéral social-démocrate, a défendu le maintien de réserves d’or importantes en répondant au parlementaire qui voulait savoir comment la Suisse entendait se comporter si les Etats-Unis accéléraient leur inflation et dévalorisaient leur monnaie. «La réponse est claire. Nous conservons notre pleine liberté d’action. Nous ne sommes impliqués dans aucun automatisme. […] Nous sommes totalement libres d’examiner les conséquences économiques qu’aurait à subir notre pays et, par la suite, si l’intérêt national supérieur le commande, de prendre les mesures de politique des changes nécessaires.» «La monnaie est un bien précieux», poursuivit-il, «il faut s’en soucier, mais elle n’est pas plus que l’or une idole.» Stähli, conseiller aux Etats thurgovien, ajouta: «La condition d’une monnaie saine n’est pas seulement la fixation officielle d’une couverture-or, mais aussi une économie solide, des rapports juridiques clairs et surtout une volonté populaire constante de travailler.» Un autre facteur était le concept de prévoyance en matière de catastrophes, appliqué à l’époque dans divers secteurs politiques, tel celui de l’agriculture. «Dans le domaine des changes, l’or est une matière très avantageuse», plusieurs parlementaires en sont convaincus.

Votation populaire du 15 avril 1951

Les votants ont dû répondre à deux propositions, que l’on peut toutes deux attribuer au peuple. Après avoir essuyé une défaite lors d’une votation de 1949, le Gouvernement et le Parlement avaient revu l’article sur la monnaie, qui correspondait aux souhaits d’une grande partie de la population. Au cœur du projet figurait l’al. 7 de l’art. 39 de la Constitution fédérale: Les billets de banque émis devaient être couverts par de l’or et des avoirs à court terme. A cette proposition faisait face celle du parti libéral-socialiste, qui proposait aux votants d’ajuster la masse monétaire.
Le résultat de ce dimanche de votations fut clair et n’incita pas le parti libéral-socialiste à jubiler. 87,5% des voix et tous les cantons ont rejeté l’initiative de garantie du pouvoir d’achat. Par contre, il me semble peu compréhensible que l’initiative ait suscité moins d’approbations lors de la votation qu’au cours de la récolte de signatures. 71% des voix et tous les cantons ont approuvé la nouvelle constitution monétaire, qui entérinait le principe de la couverture-or.
Pourquoi ce résultat si net? L’essentiel n’était pas alors l’argent, mais la préservation de valeurs fondamentales de notre Etat, à savoir l’indépendance et la neutralité, dont l’importance était beaucoup plus forte qu’aujourd’hui. Sur le plan monétaire, l’or passait pour un garant de stabilité beaucoup plus sûr que les recommandations et garanties trompeuses venant des Etats-Unis et proposant de recourir au dollar comme succédané de l’or et comme réserve monétaire. Deux autres raisons politiques pourraient avoir joué un rôle analogue: l’Allemagne venait de procéder à une réforme monétaire qui dévaluait le mark dans des proportions de 10 contre 1 et, lors de la guerre de Corée, une confrontation des grandes puissances menaçait. Il se peut également que le mot «socialiste» figurant dans le nom du parti libéral-socialiste fût peu opportun pendant la guerre froide. La ligne du parti était sociale libérale.1
Pendant les années qui ont suivi la votation, la BNS a augmenté les réserves d’or, qui ont passé de quelque 800 tonnes (Etat après la Seconde Guerre mondiale) à 2600 tonnes (Source: Bulletins mensuels de la BNS). Ces achats ont été financés par les excédents de la balance des revenus réalisés durant ces années. Ceux-ci résultaient de centaines de millions d’heures de travail que la population avait accumulées. En 1964, quelques conseillers nationaux ont répandu dans leur assemblée des rumeurs selon lesquelles les Etats-Unis auraient entrepris des démarches contre les achats d’or en masse, qu’ils considéraient comme un «acte inamical» envers leur pays. Après 1964, les réserves d’or de la Suisse ne se sont plus guère modifiées. En revanche, les réserves de dollars ont augmenté en masse.

Fin de «Bretton Woods»

En 1971, le président des Etats-Unis, Richard Nixon, a fermé le «guichet de l’or». Les Etats-Unis ont cessé d’échanger de l’or contre les dollars qu’ils avaient imprimé en quantité pour financer la guerre du Vietnam. Son lien à toute autre monnaie étant aboli, le dollar a commencé sa chute. Si l’on payait alors 4.37 francs par dollar, le cours de celui-ci est passé au-dessous de 80 centimes actuellement. La réduction de valeur s’exprime aussi dans le prix de l’or. L’once de fin est passée de ­35 dollars à plus de 1800 dollars.
Dans les années septante, les réserves d’or ont subi leur premier test comme «réserves en cas de catastrophe». Durant ces années, la Banque nationale suisse a subi des pertes considérables sur ses réserves de dollars, le cours de ceux-ci chutant en peu d’années de 4.37 francs à 2.50 francs. Un peu plus tard, le cours du deutsche mark passa de 1.20 francs  à 0.80 francs. Comme aujourd’hui par rapport à l’euro, la BNS fixa un cours minimal. Les cours de la livre sterling, de la lire, du franc français et d’autres monnaies se sont aussi dévalués par rapport au franc suisse. Grâce à ses réserves d’or importantes – et aux réserves tacites qu’elles contenaient – la BNS a bien supporté, contrairement à aujourd’hui, les pertes qui en résultaient. Ces turbulences menaçaient déjà l’économie d’exportation. Toutefois, elles stimulaient également ce secteur. A long terme, la Suisse sortait plutôt renforcée de cette situation. Un franc vigoureux contribue depuis plus d’un siècle au succès de notre économie.
Après la défaite essuyée lors de la votation de 1951, les partisans de l’initiative de garantie du pouvoir d’achat s’en sont tenu, pour leur part, au principe d’ajustement de la masse monétaire. Pour résoudre les problèmes des changes de l’époque, Werner Schmid a insisté au Conseil national sans répit, jusqu’à son retrait en 1971, sur l’ajustement de la masse monétaire. Les auteurs de l’initiative ont éprouvé une satisfaction tardive quand la Banque nationale suisse a fait partie des premiers instituts d’émission qui, en 1973, après l’écroulement de Bretton Woods, se sont fixé un objectif de masse monétaire, comme le parti libéral-socialiste l’avait demandé en 1951. La démarche de ce parti était prématurée.

«Excédentaire»

Les grandes réserves d’or stratégiques de la BNS, qui se chiffraient à 2600 tonnes, n’ont pas été entamées. Elles étaient simplement là, évaluées à leur valeur historique de 4500  francs par kilo, garantes de la confiance et de la prévoyance en cas d’urgence. Elles n’ont pas non plus été utilisées pour verser, comme aujourd’hui, des bénéfices comptables à la politique. La situation a changé en 1997: le président de la Confédération, alors Arnold Koller, a communiqué au pays, d’entente avec le président de la Banque nationale, Hans Meyer, que la moitié de ces réserves était «excédentaire» et pouvait être vendue.
Cette fois-ci, il y avait aussi des indices d’après lesquels non seulement nos propres experts recommandaient l’action, mais qu’aussi des «démarches» des Etats-Unis jouaient un certain rôle. Le franc suisse adossé à l’or soulignait la dévalorisation graduelle du dollar. Cette évolution perturbait l’«empire du dollar» et entravait les plans des stratèges qui s’efforçaient d’affaiblir encore davantage le dollar pour financer les guerres futures.
Comment fallait-il vendre cet or? Le fait que le Conseil fédéral et le Parlement s’efforçaient de résoudre la question sans s’adresser au peuple était problématique. Par une procédure démocratiquement douteuse, ils ont évité de demander la permission au peuple, propriétaire de l’objet. Si la votation a eu lieu, elle portait seulement sur la question de savoir comment serait affecté le produit de la vente des réserves d’or, à la «Fondation de solidarité» ou à l’AVS. On ne s’étonnera donc pas que le peuple ait refusé dans les deux cas, ce qui peut être interprété comme une protestation contre la procédure juridiquement douteuse des politiciens. La permission expresse des citoyens de vendre l’or des réserves stratégiques aurait été constitutionnellement nécessaire, puisque les votants avaient décidé la formation de ces réserves, lors d’une votation constitutionnelle en 1951. Au total, la masse considérable de 1500 tonnes d’or prélevées sur la prévoyance pour les cas de catastrophes a été vendue.
Aujourd’hui, la Suisse règle la facture de cette décision erronée, les pertes actuelles que subit la BNS sur ses achats d’euros n’étant pas couvertes suffisamment. Récemment, la BNS a fixé un cours plancher de 1.20 franc par euro. Le risque est grand que d’autres pertes massives aient lieu si la crise de l’euro s’exacerbe et que le cours minimal ne peut pas être tenu.

Suggestions émanant de la population

En Suisse, les questions cruciales que posent la crise financière et le secteur monétaire ont incité des citoyens inquiets à agir. Politiquement, une constellation se dessine comme il y a soixante ans: deux initiatives populaires se préparent qui, à mes yeux, ne se contredisent pas. L’initiative de l’Union démocratique du centre (UDC) entend interdire à la BNS d’effectuer d’autres ventes d’or et lui prescrire de conserver au minimum 20% de ses actifs en or. De surcroît, celui-ci sera entreposé en Suisse. Les réserves stratégiques d’or devraient être de nouveau renforcées, comme il avait été décidé en 1951 déjà. La collecte de signatures pour l’initiative «Sauvez l’or de la Suisse» a déjà commencé. L’UDC a le temps, d’ici au 20 mars 2013, de recueillir 100 000 signatures authentifiées. L’autre initiative populaire est encore en phase de projet. Elle a pour thème l’ajustement des masses monétaires. Elle entend créer les fondements nouveaux et stables du système monétaire et bancaire et, surtout, réformer la manière de travailler des banques de sorte que la BNS ou, à l’avenir, la monétative puisse efficacement guider la création de monnaie et de crédit cf. «Pour une modernisation de la monnaie: le ‹monétatif›» dans Horizons et débats no 40 du 10/10/11. Ces deux propositions de la population stimulent la réflexion concernant les questions urgentes qui se posent au sujet de la monnaie et des changes sur le plan mondial. Selon les auteurs, ces questions ne sauraient en aucun cas être laissées au bon vouloir des soi-disant experts.    •

1    Cf. Walter Meier-Solfrian, Ökosozial oder kata-strophal, Kiel 2011, Bartsch Günter, Die NWO-Bewegung Silvio Gesells, Lütjenburg 1994.