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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°1, 5 janvier 2009  >  La récession soulève la question du sens de l’économie [Imprimer]

La récession soulève la question du sens de l’économie

par Reinhard Koradi, Dietlikon

La crise économique actuelle ne pourrait-elle pas être aussi une chance? C’est sûr qu’en premier lieu, la peur de la perte de l’emploi et le souci concernant les épargnes et les pensions de retraite dominent. Le revenu net disponible (revenu qui reste quand on a soustrait les «dépenses obligatoires» telles que les locations, les primes de caisses maladie, les contributions aux caisses de retraite, les impôts etc. …) pourrait diminuer à la suite d’une baisse des revenus et des retraites et de l’augmentation des impôts au profit de l’Etat et ainsi rendre impossible le maintien du niveau de vie actuel. Nous devons apprendre à nous concentrer sur l’essentiel, à renoncer, à surmonter notre égoïsme et à remplir avec de nouveaux contenus la solidarité entre les êtres humains. Il n’y a rien à embellir, la majorité de la population active et des retraités devront se serrer la ceinture et beaucoup trop de femmes, d’hommes et d’enfants devront supporter une grande détresse due à la pauvreté.
Car on n’a toujours pas réussi à construire un système économique qui favorise le bien-être de tous les êtres humains et qui ne permette plus qu’une petite minorité puisse parvenir à une énorme richesse par la pauvreté d’une grande partie de la population mondiale. La question du but de l’économie se pose justement ces derniers jours avec une acuité inhabituelle.

Si l’on considère les prises de position officielles des politiciens dirigeants des pays industriels occidentaux sur la crise financière et économique émises les six derniers mois, alors on ne peut que s’étonner. Au début, on disait la crise ne nous gagnera pas, ensuite on a avoué que la crise financière atteindrait notre degré de latitude mais que le système était intact et que l’on n’avait rien à craindre. Pourtant soudain, la façade d’un monde idéal s’est fissuré. Outre les instituts financiers américains, les grandes banques européennes et suisses sont tombées dans une situation critique (financièrement). Des paquets de sauvetage ont été ficelés à toute vitesse et on a affirmé de manière stoïque qu’il n’y aurait pas de crise économique. Maintenant, un gouvernement après l’autre avoue que nous nous trouvons dans une récession. On continue à ficeler des paquets s’élevant à des centaines de milliards.

Se débarrasser des vestiges d’une politique depuis longtemps dépassée par la réalité

En principe, il n’est pas faux de soutenir l’économie au moyen d’interventions financières. Mais on se pose la question où vont réellement les fonds de soutien s’élevant à des milliards? Ces fonds sont-ils mis à la disposition de l’économie productrice c’est-à-dire les petites et moyennes entreprises ou bien sombrent-ils dans le gouffre d’un système financier et économique global en piteux état? Cela se peut que la reprise de «papiers camelote sans valeur» assure un certain temps l’existence d’instituts financiers, elle ne contribuera cependant pas à garantir à tous les êtres humains de cette terre un fondement économique permettant une existence digne humainement. Aussi longtemps que la croissance économique, la libéralisation, le libre échange global et la compétitivité internationale domineront les objectifs politico-économiques, les riches profiteront aux dépens des entreprises moyennes, de l’artisanat et des individus moins aisés.
Quand le gouvernement suisse frappe à la porte de Bruxelles pour négocier un accord sur le libre-échange commercial dans le domaine agricole avec l’UE, quand avenir suisse s’attache avec entêtement à l’idéologie libérale visant la libéralisation du marché et expédie au pays des mythes la revendication de la souveraineté alimentaire ou quand le Conseil national ne voit pas la nécessité de soutenir le prix du lait au moyen d’une régulation de la quantité, ce sont là des vestiges d’une politique économique dépassée depuis longtemps par la réalité.

Dans quel but pratiquons-nous l’économie?

Allons-nous chaque jour au travail pour stimuler la croissance, pour augmenter la compétitivité internationale ou pour développer le marché global? Notre volonté de performance au poste de travail est-elle maintenue par l’attente de l’augmentation des cours des actions ou par la perspective d’un profit maximum? Il se peut que pour une minorité priviliégiée cette motivation existe, pourtant pour la majorité des individus, le fait de travailler ou de faire du commerce signifie beaucoup plus. Les êtres humains veulent être productifs et créatifs, ils souhaitent de nouveaux défis et espèrent avec leur travail donner un sens à la vie. Nous pratiquons l’économie aussi pour produire ou acheter les biens qui garantissent notre existence. Dans une économie de partage de travail, il est d’usage que les individus effectuent différentes activités. Les produits et les prestations de service sont alors échangés au sein de la population selon le besoin. Le cordonnier va chez le boulanger, l’ébéniste va chez le serrurier ou le coiffeur chez le charcutier etc… Pour simplifier l’échange, on a créé le marché et l’argent.
A l’origine, l’argent était uniquement un moyen d’échange, étroitement lié à la circulation des biens. Cette dernière ainsi que le circuit économique servaient d’abord à garantir l’existence de la population vivant sur le territoire attenant. La régionalisation et la localisation géographique de l’économie en résultant ont été rompues par l’infrastructure promouvant la circulation. Le marché régional a évolué vers un marché national et plus tard vers un marché international, voire global. Des produits nouveaux et inconnus sont arrivés sur le marché, l’importation et l’exportation ont apporté de nouvelles impulsions au marché et ont donné des ailes aux fantaisies relatives à de nouveaux marchés économiques. L’économie de biens réelle et l’économie de l’argent ont pris des chemins séparés. La garantie de l’existence faisait place à l’objectif de l’augmentation du profit. La spéculation remplaça l’économie de biens réelle et enrichissait quelques personnes tandis qu’elle en appauvrissait beaucoup d’autres.
On ne doit pas oublier ici l’exploitation effrénée des ressources naturelles et l’exploitation honteuse des êtres humains. L’orientation unilatérale vers la mondialisation du marché a conduit à la dépendance et à la négligence des tâches primaires de l’économie. L’approvisionnement fondamental, la population, la sécurité de l’emploi et l’apport de sens par l’occupation ont été sacrifiés sous le diktat de l’économie de concurrence globale. Dans les Etats industriels, les agriculteurs, les petites et moyennes entreprises familiales ont été laminés par ce qu’on appelle le «prix du marché mondial». La garantie de l’approvisionnement a été engloutie par le marché libre c’est-à-dire pour le profit des multinationales. Les besoins de la population indigène ont été sacrifiés aux quatres libertés (la libre circulation des personnes, la libre circulation des biens et des services et la libre circulation des capitaux).
Les êtres humains ne vivent cependant pas sur le plan global. La grande majorité passe la plus grande partie de leur vie au même en­droit, dans la même région ou dans leur pays natal. Ils vivent, travaillent et se développent dans leur environnement proche. Un fait dont l’économie doit tenir compte. Quand nous pratiquons l’économie pour donner un sens à notre vie, pour garantir notre existence, pour entretenir des valeurs cuturelles et sociales, alors cette économie ne peut être que régionale. En suivant ce principe, l’économie globale doit être au maximum un complément à l’économie régionale.

La pratique de l’économie pour et avec l’homme et la nature

Une économie qui prend en compte les besoins de l’homme et de la nature s’oriente tout d’abord vers la région. L’objectif de cette orientation économique régionale n’est pas la compétitivité globale mais l’approvisionnement aussi complet que possible de la population locale et la création de bases afin que les individus puissent assurer leur subsistance par leurs propres moyens. En premier lieu, il faudrait mettre à disposition des produits et des services de première nécessité au moyen de propres ressources dans un espace vital naturel. Les produits alimentaires, l’habitat, les institutions scolaires, les biens culturels, l’approvisionnement sanitaire et énergétique et les transports en commun en font partie. Contrairement à l’économie axée vers la mondialisation, l’économie régionale permet de favoriser l’autosubsistance, l’indépendance et des structures économiques décentralisées à l’abri de la crise. Grâce à l’interaction libérale de beaucoup de petites économies régionales, une interconnexion globale peut également avoir lieu – au cas où cela serait désirable.
Dans une économie axée sur la région, les producteurs et les consommateurs se rapprochent, la production et la distribution devien­nent transparentes et ainsi vérifiables. Ce qui non seulement favorise les processus de production écologiques mais aussi conduit à une meilleure qualité des produits. Les ressources locales sont utilisées de manière optimale, les capacités existantes sont exploitées au maximum. On peut de nouveau mieux unir la vie, le travail et les activités culturelles, ce qui renforce la solidarité et le sens communautaire. Les voies de transport se raccourcissent ce qui ménage l’environnement et le portefeuille.
L’économie régionale peut être mise en pratique de multiple manière. Des structures de production et de distribution décentralisées et à petite échelle encouragent l’innovation et contribuent à la stabilité de l’économie d’approvisionnement et de l’occupation. Ce sont les petites et moyennes entreprises qui assurent la production, la logistique et la commercialisation. Les entreprises misent sur des technologies simples et profitent de la proximité du client dans le premier sens du terme. L’économie régionale s’appuie dans le cas idéal sur une monnaie régionale et constitue la condition idéale pour les formes de travail et d’organisation coopératives comme cela est d’usage au sein d’une coopérative.
Que se passerait-il si les pays – toutes les nations indépendantes – poursuivaient une politique d’économie nationale qui privilégierait la régionalisation et non la globalisation, qui activerait tout d’abord l’approvisionnement fondamental de leurs populations respectives au lieu de la compétitivité internationale, visant par là rendre possible aux êtres humains un mode de vie sûr au niveau existentiel et digne.    •