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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°19, 16 mai 2011  >  Une nouvelle génération de centrales nucléaires [Imprimer]

Une nouvelle génération de centrales nucléaires

hd. Dans le domaine militaire, on ne ­semble pas connaître la crise financière quand il s’agit de développer de nouveaux systèmes d’armes. Dans le civil, c’est – pour le moment – différent. Les scientifiques qui cherchent à mettre au point une technologie visant le bien commun ont besoin de notre soutien bien mérité. Rejeter la technologie pour des raisons politiques ne nous est d’aucun secours. Ce dont nous avons plus besoin que jamais, c’est d’une recherche de solutions concrètes.
L’interview reproduite ci-dessous, parue en 2008 dans le quotidien «Die Welt», concerne les centrales nucléaires de nouvelle génération. Elle montre qu’une attitude émotionnelle a provoqué en politique des blo­cages de pensée et d’action et a ainsi empêché que des projets qui méritaient d’être pris en compte soient poursuivis de façon sérieuse.

Die Welt: On assiste à des manifestations violentes contre les transports des déchets nucléaires vers Gorleben. Quelle est la sécurité du stockage définitif des déchets radioactifs dans la mine de sel?

Hermann Josef Werhahn: Le choix judicieux des formations géologiques peut certainement garantir une grande sécurité sur de longues périodes. Mais il ne faut pas oublier que même dans une mine de sel, les conteneurs Castor pourraient être complètement rouillés au bout de quelques milliers d’années. Et ce serait fort gênant.

Vous comprenez donc les critiques des adversaires de Gorleben?

Les systèmes actuels de l’industrie nucléaire ne sont que des étapes intermédiaires et ne sont en tout cas pas faits pour l’éternité. Il faut appliquer des critères beaucoup plus sévères que jusqu’ici. Sur ce point, je suis d’accord avec les adversaires.

Mais vous ne vous opposez pas à l’énergie nucléaire. Vous vous êtes engagé pendant des décennies en faveur de l’énergie nucléaire.

C’est juste, mais en faveur d’une autre technologie que celle qui est utilisée aujourd’hui. Avec la technique de réacteurs à lit de boulets, développée par Rudolf Schulten au Centre de recherches de Jülich, il n’y aurait plus aujourd’hui de problèmes de stockage définitif.

Pourquoi?

Cette technique n’utilise pas des barres de combustible nucléaire mais de petites billes de la taille d’une tête d’épingle enrobées de carbure de silicium dur comme le diamant. Elles sont insérées – comme les raisins secs dans les petits pains – dans une boule de graphite. La résistance de ces enveloppes de céra­mique autour du combustible nucléaire, et plus tard des déchets nucléaires, est estimée par les experts à au moins un milliard d’années. Ainsi le problème du stockage définitif serait résolu et l’activité des centrales nu­cléaires ne présenterait plus les risques actuels.

Mais le développement de la technologie dont vous venez de parler a été abandonné en Allemagne il y a des années déjà. Comment cela se fait-il puisque cette technique est semble-t-il tellement supérieure à la technologie nucléaire habituelle?

C’était malheureusement une mauvaise décision prise en 1986 en Rhénanie-du-Nord-Westphalie sous l’effet de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. Neuf semaines après la catastrophe, le ministre-président d’alors, Johannes Rau, a renoncé à son jugement très positif sur cette technologie et a décidé, sous la pression de la population inquiète, de ­stopper tout développement de la technologie des réacteurs nucléaires à lit de boulets.

Dans la perspective actuelle, cela semble difficile à comprendre. Les réacteurs de deuxième génération actuellement en activité, qui présentent de grands risques, ont pu continuer à fonctionner. Et une nouvelle technologie plus sûre a été stoppée?

C’était une décision erronée obéissant à des motifs politiques. Apparemment, on croyait ne pas pouvoir expliquer à la population la différence entre une technologie désuète et une technologie innovante. A cette époque, Johannes Rau avait l’intention de présenter la technique à lit de boulets, développée en Rhénanie-du-Nord-Westphalie à Gorbatchev. Mais quelques jours plus tard, on prêchait la sortie du nucléaire.

Ainsi, le savoir-faire de cette technologie n’est pas arrivé en Russie mais plus tard en Chine et en Afrique du Sud.

C’est vrai. Le Centre de recherches Jülich a mis son savoir-faire à la disposition de ces deux pays. A Pékin, le prototype d’un réacteur à lit de boulets est entré en activité il y a trois ans. Les Chinois utilisent la chaleur produite notamment pour affiner le charbon. Les Africains du Sud veulent construire des centrales de moyenne importance d’un débit de 150 mégawatts. Ils sont soutenus par des entre­prises anglaises, américaines et japonaises.

En France, on développe des réacteurs nucléaires de quatrième génération qui sont censés être plus sûrs que ceux en activité aujourd’hui. Est-ce, du point de vue de la sécurité, une alternative à la technologie à lit de boulets?

La technologie à lit de boulets est beaucoup plus sûre que toutes les techniques nuclé­aires actuelles, même si on les améliore constamment. La technologie à lit de boulets a été dès le début prévue pour des centrales situées dans des zones à forte concentration urbaine. Ce n’était possible que parce que cette technique est sûre. Un réacteur à lit de boulets ne peut pas fondre pour des causes naturelles.

Pourquoi?

Aussi bien au réacteur expérimental de Jülich que dans le nouveau réacteur de Pékin, on a effectué des expériences spectaculaires: En présence de témoins importants, on a débranché tous les dispositifs de sécurité et le refroidissement du réacteur. Dans de telles circonstances, c’aurait été la catastrophe dans tous les autres réacteurs du monde. Naturellement, aussi bien à Jülich qu’à Pékin, il ne s’est rien passé car cette technique est intrinsèquement sûre. Plus la température s’élève dans le réacteur plus faible est le taux de réaction: les spécialistes parlent à ce propos de coefficient de température négatif. Les profanes disent qu’il y a ici des dispositifs de sécurité naturels qui rendent les autres superflus.

Donc les réacteurs à lit de boulets peuvent également fonctionner dans des usines chimiques?

Exactement. C’est justement le hic de cette technologie. Avec la chaleur engendrée dans le réacteur, on pourrait produire de l’hydrogène et de l’alcool. Produire de l’hydrogène sur une grande échelle n’est possible qu’avec ce genre de réacteurs.

Et qu’en est-il de la sécurité de ces réacteurs face à des attaques terroristes ?

Ces réacteurs ne sont pas seulement très ­simples d’utilisation, ils sont aussi à l’abri des voyous et des missiles. Que se passerait-il si on lançait un missile sur un amas d’un milliard de boulets? Les enveloppes s’échapperaient sous l’effet de la pression, certaines seraient certainement endommagées, mais les petites billes dures comme du diamant ne seraient pas endommagées. Cette sécurité est inégalable.

Combien de temps les réserves mondiales de thorium suffiraient-elles, en comparaison de l’uranium?

On trouve le thorium dans les gisements de monacite. Les réserves suffiraient pour alimenter toutes les centrales nucléaires du monde pendant plusieurs siècles.

Les réserves d’uranium, quant à elles, ne tiendraient pas aussi longtemps.

Exactement. Avec le thorium, on peut alimenter des centrales nucléaires au moins dix fois plus longtemps qu’avec l’uranium. Mais on a trouvé dans l’eau des océans de très grandes quantités d’uranium.

Aux Etats-Unis, un nouveau président a été élu qui va probablement mener une nouvelle politique énergétique. Voyez-vous là une perspective pour la technologie des réacteurs à lit de boulets?

Jusqu’ici, aucun président américain n’a songé à abandonner le pétrole. Mais cela pourrait changer avec Barack Obama. Je m’attends au début d’une nouvelle ère.

Et qu’est-ce qui pourrait changer dans la politique énergétique allemande?

Les grands partis pourraient formuler des conditions concernant les réacteurs nuclé­aires de l’avenir qui soient si sévères que même les individus les plus anxieux seraient totalement rassurés. Une des questions consiste dans la sécurité. Il serait possible de défendre l’idée qu’il est préférable d’adopter une nouvelle technologie plutôt que de sortir du nucléaire.     •
(Traduction Horizons et débats)