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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°8, 1 mars 2010  >  Un poisson a-t-il plus de droits à la vie qu’un fœtus? [Imprimer]

Peter Singer s’attaque au droit à la vie et à la dignité humaine

par Richard Fuchs*

L’ouvrage du philosophe et éthicien australien de la reproduction Peter Singer, paru en anglais en 1979 et en français en 1997 (Editions Bayard) sous le titre Questions d’éthique pratique a déclenché des controverses. Singer, enfant de réfugiés juifs autrichiens, était à l’époque, avant de s’installer aux Etats-Unis, directeur du Centre for Human Bioethics de Melbourne et chef d’un projet de fécondation in vitro. Son livre aborde des sujets controversés comme l’avortement, le fait de tuer des nouveaux-nés et l’euthanasie passive ou active.
La distinction généralement opérée dans le débat bioéthique entre la personne et la non-personne (Fletscher, 1990) constitue également pour Singer la base de l’attribution du droit à la vie. Les êtres humains qui ne disposent pas de certaines facultés ou en dis­posent de manière limitée sont certes des membres de l’espèce Homo sapiens mais ne sont pas des «personnes». En revanche, Singer attribue le statut de personnes à certaines espèces animales qui possèdent certaines facultés. Selon lui, on n’a pas le droit de tuer les personnes humaines et animales alors que l’on peut tuer des non-personnes, qu’elles soient humaines ou animales: «Je propose donc de ne pas attribuer plus de valeur à la vie d’un fœtus qu’à celle d’un être vivant non-humain qui présente le même degré de rationalité, de conscience de soi, de facultés perceptives, de sensibilité, etc. Comme aucun fœtus n’est une personne, aucun fœtus n’a le même droit à la vie qu’une personne. […] Toute comparaison honnête montre que le veau, le cochon et la poule, dont on se gausse beaucoup, ont plusieurs longueurs d’avance sur le fœtus à tous les stades de la gestation et si l’on considère un fœtus de moins de trois mois, on constate qu’un poisson, voire une crevette manifestent un degré plus élevé de conscience.» Même la vie d’un nouveau-né a moins de valeur que celle d’un cochon, d’un chien ou d’un chimpanzé.
«Ainsi, il semble que tuer, par exemple, un chimpanzé est plus grave que tuer un être humain souffrant d’une maladie psychique sévère, qui n’est pas une personne.»
Selon l’auteur, qui renonce à toute procédure empirique permettant de «mesurer» la présence des caractéristiques définissant le statut de la personne, celle-ci se définit par la conscience de soi, l’autocontrôle, le sens de l’avenir et du passé, l’aptitude à nouer des rapports avec autrui, à s’occuper d’autrui, la communication et la curiosité. «Le fœtus, l’être humain très arriéré, qui «végète» sont incontestablement des membres de l’espèce Homo sapiens mais n’ont pas la conscience de soi, le sens de l’avenir ni la faculté de nouer des rapports avec autrui.»
Selon Singer, peuvent être des non-personnes les embryons, les fœtus, les nourrissons, les petits enfants, qui ne sont pas encore des personnes, mais également des adultes qui ont cessé d’être des personnes.
De manière arbitraire, Singer fixe un moment, environ un mois après la naissance, comme limite d’une période au cours de laquelle les êtres humains ne peuvent pas revendiquer une «valeur particulière». Il ajoute à sa liste les individus qui, à la suite d’un accident ou en raison de leur âge avancé, sont dans le coma ou végètent dans un état de conscience extrêmement réduit, de même que les individus très gravement atteints, quel que soit leur âge, notamment les nourrissons dont le cas est désespéré.
Au lieu de critères d’exclusion comme la race, la religion, la classe sociale ou la nationalité, l’auteur fixe des caractéristiques d’ordre neurobiologique, clinique et des indices indirects. Au lieu des Noirs, des juifs, des esclaves ou des étrangers ce sont les «non-personnes» qui entrent en scène. Singer n’apporte aucune «preuve» de ce qu’il avance sous forme de procédures empiriques permettant de «mesurer» la présence des caractéristiques de la personne. Pourtant Singer, éminent représentant de la bio­éthique anglo-saxonne, a inspiré plus d’un représentant allemand de la philosophie universitaire.
L’un d’entre eux est le philosophe du droit Norbert Hoerster, de Mayence, qui a repris des hypothèses fondamentales de Singer. En fonction de son éthique des intérêts, il n’accorde le droit à la vie qu’aux individus qui manifestent un «intérêt à survivre» et des «désirs portant sur l’avenir». Ce n’est en principe pas le cas avant le quatrième mois d’existence. Reinhard Merkel, éthicien de la médecine et philosophe du droit de Hambourg, professe les mêmes idées: «J’estime juste la conception de Singer pour qui les droits à la vie présupposent des intérêts de l’individu concerné.»

«Le bébé doit-il vivre?»

Après les Questions d’éthique pratique, Singer a publié, avec Helga Kuhse, senior research fellow du Centre for Human Bioethics de l’Université Monash (Australie), un ouvrage intitulé Should the Baby Live? The Problem of Handicapped Infants (Oxford University Press, 1985). Dans la préface à l’édition anglaise, Kuhse et Singer écrivent que les conclusions de l’ouvrage vont inquiéter certains lecteurs, les auteurs estimant que dans certaines circonstances, il est éthiquement justifié de mettre un terme à la vie de certains nouveaux-nés gravement handicapés.
A la suite de protestations massives de la population, et en particulier de personnes handicapées, l’invitation faite à Singer de parler lors d’un congrès tenu à l’Université de Marburg a été annulée. Une autre invitation, cette fois de la part de l’Institut de recherches systémiques de Heidelberg et de la Société internationale de thérapie systé­mique a également dû être annulée. En effet, le public et des associations avaient annoncé des manifestations. Pour justifier l’annulation, les organisateurs déclarèrent «qu’ils auraient été contraints, pour éviter toute discrimination, de faire transporter par la po­lice les personnes en fauteuil roulant qui cherchaient à manifester leur opposition. On ne voulait infliger cette mesure ni aux per­sonnes concernées ni à la police ni aux organisateurs.»
A une occasion toutefois, Singer a pu s’exprimer: En 2004, il a fait, sous haute protection, un exposé sur le sujet «Animals and Ethics» dans le cadre d’un cycle de conférences de la faculté de philosophie de l’Université Heinrich-Heine de Düsseldorf.    •
(Traduction Horizons et débats)

«Life science»: Les dangers des abus de la science

ds. Life Science. Eine Chronologie von den Anfängen der Eugenik bis zur Humangenetik der Gegenwart (Berlin, Lit Verlag, 2008) est un ouvrage de Richard Fuchs. L’auteur y montre que l’eugénisme ne commence ni ne finit avec Hitler. 250 ans se sont écoulés depuis Linné, Darwin, Mendel jusqu’aux manipulations génétiques, aux interventions sur le germen et au clonage, voie jalonnée d’événements marquants mais dont les dernières conséquences sont imprévisibles.
Parmi les événements marquants du XXe siècle, l’auteur évoque entre autres:
•    les premières lois raciales des Etats-Unis,
•    le passage radical de la théorie à la pratique dans l’Allemagne nazie,
•    le largage de la bombe atomique et l’utilisation d’armes à l’uranium, en liaison avec les recherches récentes dans le domaine de la radiogénétique et les mutations chez l’homme,
•    l’utilisation de dioxines hautement toxiques sous forme d’Agent Orange au Vietnam,
•    les programmes visant à ralentir la croissance démographique dans les pays riches en ressources, comme le mémorandum «Effets de la croissance démographique mondiale sur la sécurité des Etats-Unis et ses intérêts outremer» qui fut rédigé en 1974 par Henry Kissinger sous le gouvernement Nixon.
Avec l’accumulation rapide des événements des dernières décennies dans les domaines de la génétique moléculaire (décryptage de l’ADN, porteur de l’information génétique), de la génétique reproductive, du diagnostic prénatal et préimplantatoire, l’ancien eugénisme vit une renaissance sous un nouvel aspect et avec l’extension des moyens techniques se développe la tendance à «fabriquer des êtres humains». Sous l’euphémisme de «génétique humaine», le «meilleur des mondes» (Aldous Huxley) devient de plus en plus une réalité terrifiante.
C’est dans ce contexte que Richard Fuchs nous adresse une mise en garde. Selon lui, il est indispensable de se pencher sur le passé pour interpréter les signes du temps et éviter la répétition d’événements indésirables. Nous ferions bien de prendre son avertissement au sérieux.
Life Science est un ouvrage de référence qui fournit, sous forme de chronique, des informations importantes à tous ceux qui, soucieux de l’avenir de l’humanité, s’intéressent à l’eugénisme à titre professionnel (médecins, théologiens, enseignants, journalistes, politiques) ou personnel.

*     Richard Fuchs, né en 1937, est l’auteur d’ouvrages consacrés aux nouvelles technologies dans les domaines de l’alimentation, de la biomédecine, des greffes d’organes, du génie génétique et du néo-eugénisme. Il en aborde d’un œil critique les promesses, les risques et les aspects commerciaux.