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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°34, 29 août 2011  >  Ecoutons les conseils de la Chine [Imprimer]

Ecoutons les conseils de la Chine

par Stephen S. Roach*

Pékin est effrayé de la politique budgétaire américaine – son appétit de placements en dollars va bientôt être saturé. C’est là un bien mauvais signe pour l’économie américaine exsangue.

Les Chinois ont une admiration de longue date pour le dynamisme de l’Amérique. Pourtant, ils n’ont plus confiance dans le gouvernement américain et son intendance économique dysfonctionnelle. Ce message m’est apparu comme une évidence lors de mes voyages récents à Pékin, Shanghai, Chongqing et Hong Kong.
Survenant si rapidement après la crise des subprimes, le débat autour du plafond d’endettement et le déficit budgétaire a été la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Les fonctionnaires supérieurs chinois sont abasourdis par la manière dont les Etats-Unis permettent que la politique pèse plus lourd que la stabilité financière. Un décideur politique de haut rang avait déclaré à la mi-juillet: «Ceci est véritablement choquant … Nous comprenons la politique, mais l’insouciance constante de votre gouvernement est ahurissante.»
La Chine n’est pas un spectateur innocent de la descente aux abysses des Etats-Unis. A la suite de la crise financière asiatique de la fin des années 1990, la Chine a amassé quelques 3,2 trillions de dollars de réserves de change afin d’isoler son système des chocs extérieurs. Deux tiers de ce montant – environ 2 trillions de dollars – sont investis dans des actifs libellés en dollars, principalement des bons du Trésor américain et des titres d’agences telles Fannie Mae and Freddie Mac. Par conséquent, la Chine a détrôné le Japon à la fin 2008 en tant que principal détenteur étranger d’actifs financiers des Etats-Unis.
Non seulement la Chine se sentait en sécurité en misant une telle somme sur ce qui étaient alors des composants relativement sans risque de la monnaie de réserve mondiale, mais sa politique de taux de change lui laissait peu de choix. Afin de maintenir une relation étroite entre le renminbi et le dollar, la Chine devait recycler un part disproportionnée de ses réserves de change en actifs libellés en dollars.
Ces jours sont révolus. La Chine reconnaît qu’il n’y a plus de sens à garder sa stratégie de croissance actuelle – stratégie qui dépend fortement sur une combinaison d’exportations et d’un stock massif de réserves de change libellées en dollar. Trois développements cruciaux ont amenés les leaders chinois à cette conclusion.
Premièrement, la crise et la Grande Récession de 2008–2009 ont servi de réveil. Alors que les industries d’exportation chinoises demeurent extrêmement compétitives, il existe des doutes compréhensibles concernant l’état d’après crise de la demande étrangère pour les produits chinois. Des Etats-Unis à l’Europe en passant au Japon – des économies développées meurtries par la crise qui représentent collectivement plus de 40% des exportations chinoises – la demande finale croîtra probablement à un rythme plus faible au cours des prochaines années que lors du boom des exportations chinoises des trente dernières années. Longtemps le moteur le plus puissant de la croissance chinoise, une impulsion basée sur les exportations présente désormais des inconvénients.
Deuxièmement, les coûts de la prime d’assurance – le stock démesuré de réserves de changes de la Chine, principalement en dollars – ont été magnifiés par le risque politique. Alors que le remboursement de la dette du gouvernement américain est en jeu pour l’instant, le concept même d’actif sans risque libellé en dollars est mis en question.
Au cours des dernières années, le premier ministre chinois Wen Jiabao et le président Hu Jintao ont souvent exprimé des doutes concernant la politique fiscale des Etats-Unis et le statut de valeur refuge des bonds du Trésor. Comme la plupart des Américains, les leaders chinois pensent que les Etats-Unis échapperont au risque d’un vrai défaut en définitive. Mais là n’est pas la question. Il existe maintenant beaucoup de scepticisme quant à la substance de tout «arrangement» – en particulier s’il use de poudre aux yeux pour postposer tout ajustement fiscal sérieux.
Tout cela endommage durablement la crédibilité de l’engagement de Washington envers la «pleine confiance» au gouvernement des Etats-Unis. Et met sérieusement en doute la sagesse des investissements massifs de la Chine en actifs libellés en dollars.
Enfin, le leadership de la Chine est pleinement conscient des risques qu’impliquent ses propres déséquilibres macroéconomiques – et du rôle que sa croissance basée sur les exportations et son accumulation de réserves de change en dollars jouent dans la perpétration de ces déséquilibres. De plus, les Chinois comprennent les pressions politiques que le monde développé en mal de croissance exerce sur sa gestion étroite du taux de change du renminbi par rapport au dollar – pression qui rappelle de façon saisissante une campagne similaire dirigée contre le Japon au milieu des années 1980.
Cependant, au contraire du Japon, la Chine n’acceptera pas de réévaluer fortement le renmimbi en une fois. En même temps, elle reconnaît le besoin de solutionner ces tensions géopolitiques. Mais la Chine le fera en stimulant sa demande intérieure, pour se sevrer des actifs en dollars.
Ces considérations bien en tête, la Chine a adopté une réponse extrêmement transparente. Son nouveau Douzième plan quinquennal l’exprime clairement – un glissement vers la consommation de la structure économique chinoise, qui s’attaque de front aux déséquilibres insoutenable du pays. L’insistance sur la création d’emplois dans le secteur des services, l’urbanisation massive et l’élargissement de son filet de sécurité social stimulera massivement les revenus du travail et le pouvoir d’achat des consommateurs. En conséquence, la part de la consommation dans l’économie chinoise pourrait augmenter d’au moins cinq points de pourcentage par rapport au PIB d’ici 2015.
Un rééquilibrage par la consommation solutionne la plupart des tensions exprimées ci-dessus. Il déplace la croissance économique d’une dangereuse dépendance à la demande étrangère vers un support à la demande intérieure insatisfaite. De plus, il relâche la pression sur une monnaie sous-évaluée destinée à soutenir la croissance des exportations, donnant à la Chine une grande latitude pour intensifier le rythme des réformes monétaires.
Mais, en augmentant l’importance de la consommation dans son PIB, la Chine absorbera une grande partie de son épargne excédentaire. Ceci pourrait amener son compte courant à l’équilibre – ou même en léger déficit – d’ici 2015. Et réduire fortement le rythme de l’accumulation de réserves de change, ainsi que la demande infinie de la Chine pour des actifs libellés en dollars.
Ainsi, la Chine, l’acheteur étranger le plus important de titres du gouvernement américain, dira bientôt «assez». Un nouvel accord budgétaire inepte, en conjonction avec une croissance de l’économie américaine plus faible qu’anticipé durant les années, annonce une période prolongée de déficits gouvernementaux démesurés. Cela pose la plus grande question de toutes: sans la demande chinoise pour ses bonds du Trésor, comment les Etats-Unis à court d’épargne pourront-ils financer leur économie sans souffrir d’un déclin important du dollar et/ou d’une augmentation majeure de ses taux d’intérêt de long terme?
La réponse cavalière qui s’est fait entendre des initiés de Washington est que les Chinois n’oseraient pas déclencher pareille phase finale. Après tout, à quel autre endroit placeraient-ils leurs avoirs? Pourquoi risqueraient-ils de faire des pertes sur leur portefeuille massif d’actifs en dollars?
Les réponses de la Chine à ces questions sont claires: elle ne veut plus risquer la stabilité financière et économique sur base des promesses vides et de l’intendance économique dégradée de Washington. Les Chinois disent enfin non. Ecoutons leurs conseils.    •

Source: Copyright: Project Syndicate, 2011.
 www.project-syndicate.org
(Traduit de l’anglais par Timothée Demont)

*Stephen S. Roach enseigne à l’Université de Yale et est le président non exécutif de Morgan Stanley Asia. Il est l’auteur d’un livre intitulé «The Next Asia» (L’Asie de Demain).

Dette publique brute1 de la zone euro par habitant (2010)

Union européenne (27 Etats)17 390,20 EUR
Zone Euro (17 Etats) 21 491,10 EUR
Italie   
29 324,10 EUR
Grèce   
24 280,40 EUR
Belgique   
30 382,00 EUR
France   
23 139,20 EUR
Portugal   
11 847,80 EUR
Allemagne21 489,80 EUR
Malte9 545,20 EUR
Autriche    
22 034,60 EUR
Irlande    
23 520,60 EUR
Pays-Bas21 049,70 EUR
Chypre    
11 955,50 EUR
Espagne12 211,90 EUR
Finlande    
14 121,80 EUR
Slovénie    
6 159,80 EUR
Slovaquie   
4 172,90 EUR
Luxembourg   
11 071,90 EUR
Estonie (en EEK jusqu’au 1er janvier 2011)11 564,30 EEK
Etats-Unis39 488,30 USD

    1 Montant total des dettes sans déduction des biens publiques

Sources: Eurostat, Banque mondiale et établissements financiers de certains pays