«Mon rêve, c’est un travail avec des êtres humains»Comment on peut sauvegarder sa dignité humaine malgré la mondialisation – entretien avec un travailleur immigré slovaqueds. Aujourd’hui, on a plus que jamais besoin d’êtres humains qui donnent plus d’importance à l’humanisme qu’à la course à l’argent. Ces personnes existent, même en des périodes difficiles, c’est ce que montre l’entretien avec Martin Stefanovic de Moravské Lieskové en Slovaquie (cf. carte). Horizons et débats: Monsieur Stefanovic, vous avez grandi en Slovaquie, mais vous vivez et travaillez actuellement en Suisse. Depuis combien de temps êtes-vous ici? Martin Stefanovic: Je suis en Suisse depuis 5 ans. J’ai grandi à Moravské Lieskové, dans une ferme, dans un petit village des Carpates Blanches, proche de la frontière tchèque. Enfants, nous devions toujours aider; j’ai encore une sœur cadette. Ici, en Suisse, je travaille comme maçon dans une petite entreprise de construction qui effectue surtout des transformations et des agrandissements. Vous ne vouliez pas devenir paysan dès le début? J’avais bien le projet de continuer la ferme car je ne m’intéressais pas tellement à dessiner des maisons. Pourquoi n’aviez-vous pas tout de suite fait une formation agricole? Dans notre région, on n’avait pas une bonne école agricole. C’est mon opinion. Les enseignants n’avaient que peu d’expérience pratique et je trouvais insensé de fréquenter cette école. Qui veut soigner des animaux doit être un spécialiste, il doit savoir ce qu’il faut aux animaux. C’est pour cette raison que j’ai suivi pendant un an un cours effectué par l’entreprise allemande pour fourrages Sano. L’entreprise avait offert des cours en Slovaquie. Après un tel cours, j’ai vraiment eu un savoir solide sur les animaux. Le chef de la clinique pour animaux est venu vers moi et il a dit: Je suis très content de ton travail et de ta production, avant tout de la qualité du lait. J’ai reçu régulièrement des suppléments pour les protéines et pour la graisse. Qui étaient les acheteurs? C’était une grande laiterie avec une fromagerie industrielle à Neustadt an der Waag. Lorsque celle-ci a fait faillite, c’est un Hollandais qui a acheté la laiterie. Mais il fait du fromage à partir de lait en poudre de France, jusqu’à présent. Pourquoi? J’ai lu beaucoup de livres et mon grand-père – comme jeune homme, il a travaillé en Tchéquie et en Autriche – m’a dit: personne ne t’aidera. Tu dois réfléchir par toi-même à ce qui est bon pour toi. Les étrangers ne t’amènent pas la tranquillité, ils ne font que poursuivre leurs propres intérêts, ils nous prennent tout. Lorsque j’ai dit cela au village, les autres paysans se sont moqués de moi. Ils m’ont dit: Qui va nous aider si ce n’est l’Autriche et l’Allemagne? Et après le tournant, comment ça a continué? Après le tournant, il y avait un grand désordre chez nous. Beaucoup de gens n’avaient pas de documents sur leurs propriétés antérieures, tous les papiers avaient disparu. C’est seulement dans un dossier à l’administration de l’agriculture qu’était marqué ce qui avait appartenu aux gens auparavant. Vos terres aussi? Avec nos terres c’était mieux. Elles sont situées dans les montagnes et le sol n’est pas si bon. Et nous avions tous les documents et nous avons pu prouver ce qui nous appartenait. Mais malgré tout, j’ai souvent dû aller à l’administration agricole et verser beaucoup d’argent jusqu’à ce que tout soit réglé. A l’époque, il n’y avait pas de droits chez nous. Sous les communistes on a dû tout donner et après c’était un grand désordre. Dans les régions de montagne, beaucoup de choses ne sont pas encore réglées jusqu’aujourd’hui. Beaucoup de propriétaires sont décédés et leurs enfants n’ont aucun intérêt pour l’agriculture. C’était certainement une période difficile. Comment se portait la construction mécanique après le tournant? Nous avons fabriqué des tracteurs chez Martin, des tracteurs Zeton. Près de Poparad, on a construit des locomotives et près de Trencin, c’était l’industrie textile. Beaucoup de choses ont été produites pour la Russie. Mais les usines et aussi l’agriculture n’étaient pas préparées à la concurrence. Ils ont fait faillite après le tournant. L’UE a amené de la marchandise bon marché en Slovaquie, par exemple des aliments: du lait, du pain, du beurre etc. Les entreprises étrangères ont été exemptées d’impôts pour dix ans, mais seulement les entreprises étrangères. Nos entreprises n’avaient aucune chance de survivre; on les a mises à genoux. Les entreprises étrangères ont acheté les usines et les terres très bon marché. Ils ont construit de nouvelles usines et au bout de dix ans, ils ont tout simplement changé de nom pour avoir encore dix ans sans impôts. Nos entreprises n’avaient aucune chance. Moi-même je n’ai pas eu de chance. En Suisse, est-ce que vous avez travaillé dès le début comme maçon? Non, d’abord j’ai travaillé dans une ferme en Suisse centrale. Le paysan était un marchand de bétail. Il partait tous les matins pour acheter du bétail et il revenait le soir. Je me suis occupé de 50 vaches et de 400 porcs tout seul tous les jours: donner à manger, traire et le vêlage. J’ai fait ça pendant un an sans pause. Je n’avais ni dimanche ni jour de congé, pas de vie privée et je gagnais très peu. Et après vous avez trouvé votre place actuelle? D’abord je suis retourné chez moi et depuis là-bas, grâce à une agence de travail slovaco-suisse, j’ai trouvé cette place, d’abord temporairement. Aujourd’hui, j’ai un emploi fixe. Et le salaire et les conditions de travail sont bons? Oui, les conditions de travail sont bonnes, mais je cherche un meilleur travail. Ici en Suisse ou chez vous? Ici en Suisse. Bien sûr, ce serait mieux, chez moi. Chez moi, c’est chez moi, c’est là que mon cœur bat, c’est là-bas que j’ai grandi. Là-bas j’ai ma famille, j’ai des amis, des collègues, mais cela ne va pas. Chez nous, c’est mauvais en ce qui concerne le salaire et puis la vie est très chère, des prix de l’UE. Les gens doivent travailler beaucoup, mais ils gagnent trop peu. Vous avez eu une bonne éducation. Oui. Aujourd’hui beaucoup de gens ne vivent que des relations brèves et c’est fini. Ce n’est pas bien, avant tout pour les enfants. Qu’apprennent les enfants si les parents sont ensemble un jour et le lendemain ils sont séparés? Quelle société est en train de se faire là? Ce n’est pas normal que les gens ne soient pas gentils entre eux. Une fois un ami m’a invité dans une discothèque à Zurich: Viens, nous allons avoir du plaisir, a-t-il dit. Mais pour moi, une discothèque ce n’est pas un plaisir. Pour moi, c’est triste de voir des gens saouls et drogués. Ils n’ont pas peur, pas de limites. Ils n’ont pas de respect envers l’autrui. Oui, je comprends. Vous avez dit que vous aimiez le travail propre. Mais le travail à l’hôpital, les soins, cela non plus ce n’est pas toujours propre. C’est vrai. Mais c’est un travail pour les êtres humains qui ont besoin d’aide et cela me plaît. J’ai déjà fait beaucoup de choses, si j’ose dire. Lorsque j’ai travaillé à l’hôpital, j’ai soigné pendant plus d’un an, tous les jours avant d’aller au travail, une famille voisine. L’homme était amputé du pied; il avait du diabète et déjà deux infarctus, et la femme avait du psoriasis, une peau rouge et sèche avec des pellicules. Chaque matin, je suis allé chez eux, j’ai fait le petit déjeuner, j’ai distribué des comprimés et demandé ce dont ils avaient besoin, ce que je devais acheter ou de quels médicaments ils avaient besoin. Ensuite je suis allé au travail à l’hôpital. Là je me suis procuré les ordonnances chez un médecin, j’ai cherché les comprimés à la pharmacie et j’ai fait les courses. Et le soir je suis d’abord passé chez eux, j’ai chauffé le dîner et fait la vaisselle. Une fois par semaine, je leur ai fait prendre un bain. Début décembre la femme a eu un accident. Elle est tombée dans l’escalier devant la maison et s’est cassé le sacrum. C’était la période la plus difficile pour moi. Elle était au lit et avait des couches. J’ai dû les changer, nettoyer tout et la laver. Ils n’avaient pas de douche, pas de salle de bain, seulement une baignoire. J’ai dû la soulever pour la mettre dans la baignoire et pour la remettre au lit. Après six mois, je suis allé à la commune et j’ai dit que je ne pouvais pas continuer ainsi: Je dois travailler, soigner les voisins et encore aider à la maison. Cela ne va pas. Le maire a alors cherché un home. Ils auraient voulu rester à la maison, mais cela n’allait plus. La femme est décédée l’année passée. L’homme est encore en vie. Vous êtes très serviable et vous seriez apte pour le travail à l’hôpital ou pour donner des soins. Est-ce que vous avez déjà posé votre candidature dans un hôpital? Oui, mais pas par écrit, oralement. Là on m’a dit que je n’avais aucune chance. La formation d’un an ne vaut qu’en Slovaquie. Mais j’ai bien envie de suivre une formation. Si j’avais une place, je la ferais tout de suite, cette formation. Cela m’intéresse. J’aime travailler avec des êtres humains. Je voudrais aussi bien travailler dans un home ou dans un centre de réhabilitation, aussi avec des personnes âgées, l’important c’est que ce soit avec des gens. J’aime parler aux gens. Vous parlez déjà très bien l’allemand. C’est un plaisir de faire la connaissance de quelqu’un comme vous et je souhaite que votre rêve devienne réalité. Merci beaucoup. • |