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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°47, 28 novembre 2011  >  L’art de la simplicité, une autre compréhension de l’économie [Imprimer]

L’art de la simplicité, une autre compréhension de l’économie

par Nicole Duprat, enseignante, France

La mise à distance des biens de consommation n’est pas synonyme d’une vie triste, bien au contraire, elle rend libre de toute forme de servage économique dans lequel nombre d’idéologies et de modèles de société essaient de nous enfermer voire de nous étouffer. Travailler plus pour gagner plus comme travailler moins pour dépenser plus ne sont que des mensonges de plus, dans un système économique dominé par des jeux spéculatifs qui ne correspondent pas à la production de richesse des entreprises. Ne soyons pas le jouet des financiers qui se prosternent devant le Veau d’or! A quoi cela sert-il de travailler plus pour que ou pendant que d’autres travaillent moins et s’enrichissent honteusement sans souci d’une juste répartition des biens.
De plus, méfions-nous de la rapidité. Notre société moderne est hantée par la vitesse, comme celle des Grecs l’étaient par la Beauté et celle des Egyptiens par le durable. On veut aller vite dans tous les domaines. On prétend mesurer l’intelligence à la rapidité des réactions, sans se rendre compte qu’on finit par robotiser les individus, en les faisant ad­hérer à une logique d’accumulation. C’est favoriser les associations d’idées superficielles «acheter parce que vu à la télé» et entraver la réflexion.
Avez-vous entendu parler de la manière dont est déterminée à Wall Street la santé d’une entreprise? Principalement par ses «quarter results», ses bénéfices trimestriels. Cette dérive déplorable vers le profit immédiat ou à court terme a son origine dans l’Ecole de Chicago de Milton Friedman «La seule responsabilité de l’entreprise c’est l’enrichissement de ses actionnaires.» Une aberration complète et un critère médiocre pour évaluer la qualité d’une entreprise. Il faut en finir avec la pensée unique de Milton Friedman que beaucoup de «Business school» continuent à enseigner.
Comme l’affirmait Alexis de Tocqueville: «Ce qui met en danger la société, ce n’est pas la grande corruption de quelques-uns, c’est le relâchement de tous.»
Revenir à l’art de la simplicité, c’est faire des choix entre les vrais besoins et les désirs inutiles. «The less is more …» Une tempérance authentique nous aide à faire des choix concrets à l’égard des biens, nous fait discerner entre l’essentiel et l’accessoire et n’accorde aucune place aux frivolités et au luxe!
Comprendre autrement l’économie c’est réfléchir aussi ensemble comment éviter les prix élevés, le gaspillage à petite comme à grande échelle, la surconsommation généralisée surtout dans les pays nantis du G8. Par exemple, pourquoi ne pourrait-on pas construire des systèmes d’irrigation qui permettraient de recueillir l’eau de pluie pour laver la voiture ou arroser le jardin au lieu d’utiliser l’eau du robinet?
Dans le domaine de la production agricole, la pensée dominante veut que pour répondre au doublement de la demande alimentaire dans les décennies à venir, qu’il soit nécessaire d’augmenter la production. Il serait plus raisonnable de chercher d’abord à réduire le gaspillage! Selon une enquête du «Parisien» et «Aujourd’hui en France», on jette chaque seconde en France 38 kilos d’aliments encore tout à fait consommables. On jette de tout et un tiers de ce qui finit dans la poubelle est encore emballé! Voilà pour la France – mais l’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation a fait sa propre estimation, cette fois au niveau mondial. Et là aussi le bilan est effarant! Un tiers de la nourriture produite chaque année sur la planète ne finit pas dans une assiette mais dans une poubelle, ce qui représente plus d’un milliard de tonnes de denrées perdues ou gaspillées – constat d’autant plus choquant que plus d’un milliard de personnes souffrent de malnutrition dans le monde!
Et justement pour éviter d’en appeler à la poubelle, il est primordial de réapprendre l’art de la conservation: les poivrons se gardent mieux dans un sac en papier, pour éviter que les pommes de terre germent, il faut les entreposer dans un endroit sombre avec deux pommes et pour raviver la couleur ternie de certains de nos habits, rien de tel qu’une cuillèrée à soupe de vinaigre dans une bassine d’eau dans laquelle on les fait tremper toute la nuit.
Au risque de choquer certains, dans nos sociétés opulentes, la «pauvreté» n’est pas la misère. Simplifier sa vie, c’est l’organiser en fonction de l’Etre et non pas de l’Avoir. Disposer d’une garderobe simple, fonctionnelle, en accord avec notre mode de vie et notre travail, n’est pas un problème pour ceux qui ne cherchent pas à paraître et à briller dans le faste des mondanités. La mode n’est pas une référence qui doit imposer son diktat aux jeunes pour les transformer en «fashion addicts». Effectivement, parce qu’on ne correspond aux normes marchandes, on peut facilement se faire pointer du doigt parce que nos baskets, nos sacs, nos vêtements ne sont pas estampillés d’une marque célèbre ou du nom d’un couturier en vogue. Dans la tâche éducative, il n’est pas toujours aisé pour les parents de faire comprendre à leur progéniture que vivre une certaine frugalité dans une société d’abondance conduit inévitablement à être marginalisé.
Pourtant vivre en marge, c’est connaître une vraie joie à être libre de contraintes artificielles, c’est surtout ne pas subir la tyrannie du matérialisme ambiant qui multiplie l’idolâtrie des biens à une puissance vertigineuse en sollicitant l’appétit de consommation au détriment de l’équilibre donné par la sobriété.    •