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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°31, 10 août 2009  >  Bruxelles tente de court-circuiter la structure politique de la Suisse [Imprimer]

Bruxelles tente de court-circuiter la structure politique de la Suisse

Les «espaces métropolitains», structures trompeuses du centralisme européen

par Marianne Wüthrich, docteur en droit

Dans «Horizons et débats» no 21 du 1er juin dernier, Pierre Hillard a montré clairement que la «politique régionale de l’Europe vise en réalité une concentration du pouvoir dans l’espace transatlantique. Il s’agit de donner aux «régions», qui ne sont pas actuellement des unités politiques, un pouvoir politique, économique et financier afin qu’elles obtiennent le contrôle par-delà les structures fédérales et puissent négocier directement avec les instances de Bruxelles et de Washington. Cela détruirait la diversité actuelle des communes et des petits espaces écono­miques. («Conception transatlantique du pouvoir et attaques de la Suisse; régionalisation pour dynamiter les Etats nations.»)

En Suisse, les espaces métropolitains de Zurich et de Suisse occidentale ont été créés récemment sans que le peuple ait pu participer aux décisions. Il s’agit là d’un outrage poli­tique sans précédent.
L’objectif des lignes qui suivent est avant tout de montrer aux citoyens que la tendance à davantage de centralisme et aux vastes unités territoriales ne tient pas compte du besoin des citoyens de participer aux décisions politiques, à l’organisation de la vie en collectivité. Le modèle suisse de démocratie directe et de fédéralisme n’est pas un but en soi: il favorise à un tel point l’épanouissement de l’individu et de la collectivité que, pour le bien du monde entier, nous devons le sauvegarder et le recommander.

Structure géante de 8 cantons et quelque 70 communes

Le 3 juillet dernier a été fondé à Frauenfeld l’Association de l’espace métropolitain de Zurich à laquelle ont adhéré des membres de l’exécutif des cantons de Zurich, d’Argovie, de Lucerne, de Schwyz, de Saint-Gall, de Thurgovie et de Zoug et de quelque 70 villes et communes. Au même moment, le 2 juillet, les cantons romands de Genève, Vaud, Fribourg, Neuchâtel et du Valais ont fondé, avec le canton de Berne, un espace analogue. Les objectifs déclarés de ces structures gigan­tesques sont de coopérer plus étroitement et de défendre ensemble leurs intérêts.
Cependant les cantons et les communes suisses ont l’habitude de collaborer. Ils le font depuis des siècles. Pourquoi alors inventer ces espaces métropolitains? Comment se fait-il que des conseillers communaux de Frauenfeld, de Rapperswil ou de Neuhausen am Rheinfall veuillent absolument s’associer à l’agglomération zurichoise sous la direction du conseiller d’Etat Markus Notter alors que d’ordinaire la population de la Suisse orien­tale manifeste – de façon tout à fait compréhensible – une grande répugnance à être «absorbée» par le grand voisin? Est-ce qu’il ne serait pas plus urgent pour le gouvernement zurichois de redresser la situation financière catastrophique du canton plutôt que de s’arroger un pouvoir de direction et d’entraîner dans la tourmente les cantons ruraux voisins? Comme est-il possible que dans la démocratie directe suisse de telles restructurations aient lieu exclusivement au plan des exécutifs sans que la population ait son mot à dire?

Comment les communes membres ont-elles été choisies?

Horizons et débats a demandé au président d’une assez grande commune de Suisse orientale pourquoi elle n’avait pas adhéré. Il nous a déclaré qu’il n’avait jamais été informé du projet de création d’un espace métropolitain zurichois, que sa commune n’avait pas été contactée. Il est intéressant de savoir que ce président de commune s’est, au cours des dernières années, opposé catégoriquement et avec succès aux fusions de communes imposées et à la cantonalisation des compétences communales. Demandons-nous si l’on n’a pas évité soigneusement d’inviter des conseillers communaux susceptibles de s’opposer à ce grand projet.

Trois espaces métropolitains suisses «moteurs européens»

Il est évident que derrière la création de ces nouvelles structures imposées à la Suisse et à sa population habituée à la démocratie et qui ne tiennent pas compte de nos petites struc­tures, il y a une puissance étrangère.
«L’Espace métropolitain de Zurich compte parmi les 16 espaces urbains considérés dans un programme de l’UE comme des «moteurs européens» et qui, à bien des égards (économie, fonctions de décision et de contrôle, innovation, transports internationaux, etc.), jouent un rôle déterminant en Europe. Derrière les centres globaux que sont Londres et Paris, Zurich se positionne comme unique espace urbain au même niveau que, par exemple, Amsterdam, Bruxelles, Berlin, Francfort, Munich, Vienne ou Milan. («Metropolitanraum Zurich, Porträt, www.stadt-zuerich.ch).
Ce rang «élevé» accordé par Bruxelles à l’agglomération zurichoise, relativement petite, flatte manifestement l’ego des Zurichois. Zurich n’est-elle plus capable de collaborer sur un pied d’égalité avec les autres cantons et communes? Est-elle si faible parce que la faillite du canton menace?
En tout, trois espaces métropolitains sont prévus pour la Suisse, lesquels ont été mis sur les rails depuis des années par l’Office fédéral de l’aménagement du territoire en organisant des conférences (par exemple le 26 mars 2007 à Ittigen) et en promettant des subventions. A ce sujet, on peut lire sur le site Internet du canton de Bâle-Ville (www.medienmitteilung.bs.ch/2007-09-27-jd-001.htm): «Le concept territorial de la Suisse doit tenir compte de manière appropriée des trois espaces métropolitains de Zurich, de Bâle et de Genève. C’est le seul moyen de s’affirmer face à la concurrence internationale des sites industriels et économiques, qui ne cesse de s’accentuer.» Seulement, quel intérêt aurait Bruxelles à ce que l’espace économique zurichois se renforce? Quel intérêt voit-elle dans les espaces métropolitains des différents pays de l’UE?

Centralisation, démantèlement des Etats nations et structures fédérales

Comme Pierre Hillard l’explique dans le numéro 21 d’Horizons et débats, l’objectif de la politique régionale de l’UE est rien moins que de remodeler l’Europe: «Le
principe en lui-même est simple. Il s’agit d’octroyer le maximum de pouvoirs aux régions, celles-ci traitant de plus en plus avec l’Union européenne aux dépens des Etats. […] Ce principe poursuit l’objectif de démanteler les Etats au profit d’une Europe des régions.»
Pour des Etats fédéraux comme la Suisse, l’Allemagne ou l’Autriche, il convient d’ajou­ter que non seulement les Etats nations, mais les Etats fédérés (länder, cantons) se voient privés de leur souveraineté dans une large mesure. Ainsi les 26 cantons suisses avec leurs différences considérables en matière de superficie, de population, de situation géographique, de langue, de structure plutôt urbaine ou plutôt rurale, ne sont pas des interlocuteurs souhaitables pour Bru­xelles. Selon Pierre Hillard, pour accélérer le démantèlement, on met sur pied «des entités territoriales rassemblant plusieurs régions de différents pays». C’est ce qui est prévu pour l’espace métropolitain bâlois (www.medienmitteilungen.bs.ch/2007-09-27-jd-001): «L’eurodistrict trinational de Bâle contribue au renforcement du pilotage politique de l’espace métropolitain.»
Mais qui va par exemple diriger l’espace métropolitain de Bâle sans tenir compte des frontières nationales? La politique étrangère est l’affaire de la Confédération. La réponse à cette question nous est fournie par Michael Reiterer, ambassadeur de la Délégation de la Commission européenne en Suisse: «Il y a urgence à améliorer la direction politique au sein des espaces métropolitains.» Reiterer a insisté sur la dimension transfrontalière de la région métropolitaine de Bâle.
On sait que Reiterer est le fonctionnaire que Bruxelles a placé dans le voisinage du Palais fédéral à Berne afin qu’il puisse mieux endoctriner les Suisses. Ce monsieur a donc pour mission de «piloter politiquement» les espaces métropolitains que l’UE veut imposer à la Suisse.
Les chefs des multinationales s’intéressent manifestement à un tel pilotage centraliste du site économique suisse qui fonctionne bien. Reiterer note en passant que «les relations économiques globales font des agglomérations des régions métropolitaines». Comme le rayon d’action du capital globalisé ne se limite pas à l’Europe, on peut se demander dans quelle mesure des centres de pouvoir extra-européens s’intéressent à un renforcement des centres de décision.

Au sein de l’Espace métropolitain de Zurich, les exécutifs ont-ils tout le pouvoir?

Revenons à la création de l’Association de l’espace métropolitain de Zurich, le 3 juillet. Elle a été fondée par 8 cantons et quelque 70 villes et communes, plus précisément par leurs exécutifs, les conseils d’Etat et les conseils communaux et municipaux. D’autres adhésions suivront car «l’espace métropolitain de Zurich comprend 238 communes appartenant à 8 cantons». C’est ce que l’on peut lire sur le site Internet de la Conférence métropolitaine de Zurich (www.metropolitanraum-raum-zuerich.ch). Qui a pris cette décision? En tout cas pas les citoyens des 238 communes et des 8 cantons.

Organisation de l’Association de l’espace métropolitain de Zurich

L’Association de l’espace métropolitain de Zurich relève du droit privé. Ses organes sont les suivants:
–    la Conférence métropolitaine, qui rassemble tous les membres et constitue l’instance suprême. Elle est composée de deux Chambres, une Chambre des cantons et une Chambre des villes et des com­munes. Chaque exécutif y envoie un représentant.
–    le Conseil métropolitain, qui administre l’Association et se compose des 8 conseillers d’Etat de la Chambre des cantons et de huit représentants de la Chambre des villes et des communes.
–    L’Organe de révision est le Contrôle des finances du canton de Schaffhouse.
Les autres organes sont:
–    la Commission opérationnelle. Elle est instituée par le Conseil métropolitain et est composée de cadres administratifs cantonaux et communaux. Elle prépare les dossiers servant de base à la prise de décisions.
–    le Bureau. Institué par le Conseil métropolitain, il administre l’Association et entretient des contacts avec les organisations analogues.
–    les Groupes de travail Economie / Transports / Société / Espace vital sont mis sur pied par le Conseil métropolitain.
Les ressources financières de l’Association sont fixées en fonction du nombre d’habitants des communes, des villes et des cantons. Aucun chiffre concret n’a été donné.
On ne sait pas qui octroie ces moyens financiers.

La Conférence gouvernementale, quatrième échelon politique

Cette enflure du pouvoir exécutif inconnue en Suisse est encore renforcée par l’instauration d’un quatrième échelon politique, la Conférence gouvernementale de l’espace métropolitain de Zurich constituée par les gouvernements des 8 cantons (cf. site Internet du canton de Zurich, (www.sk.zh.ch). Elle a été créée en même temps que l’Association et sera le véritable centre directeur. Sa principale mission est de choisir et de préparer les projets qui doivent ensuite être approuvés par la Conférence métropolitaine. On ignore encore quelles seront les compétences réelles de cette Conférence et comment les limites de son pouvoir seront contrôlées. Le conseiller d’Etat zurichois Markus Notter a été élu président en récompense de son engagement infatigable en faveur de ce centre de pouvoir européen.
La Conférence métropolitaine approuvera certainement les décisions de la Con­férence gouvernementale car les membres de cette dernière constituent en même temps la Chambre des cantons au sein de la Conférence métropolitaine, c’est-à-dire qu’ils fournissent la moitié des voix, ce qui est
très discutable d’un point de vue démocratique.
Cela rappelle beaucoup la structure antidémocratique bien connue de l’UE: la Conférence gouvernementale correspond à peu près au Conseil des ministres, la Conférence métropolitaine présente des analogies avec le Parlement européen dont le nom ne correspond aucunement à ses compétences très limitées. A vrai dire, même à Bruxelles, les ministres ne siègent pas au Parlement européen alors qu’à la Conférence métropolitaine, ils participent aux décisions.

Que devient le peuple souverain?

Les statuts de l’Association espace métropolitain de Zurich de même que la Convention sur la Conférence gouvernementale stipulent que «l’autonomie des cantons et les compétences des autorités cantonales sont préservées dans leur ensemble». Nous autres Suisses attachés à la démocratie trouvons étrange que ni les parlements cantonaux et municipaux ni la population des différentes régions – pardon: des différents cantons – n’aient leur mot à dire. En réalité, la présence des cantons, c’est-à-dire celle des membres de l’Association, n’est plus souhaitée dans les agglomérations régionales: «Certains inconvénients [p. ex. dans les rapports avec les autorités] résultent de l’éclatement relativement marqué de l’espace métropolitain de Zurich en diverses unités territoriales (cantons)» (www.stadt-zuerich.ch)
Cette affirmation ne peut pas provenir des autorités de la ville ou du canton de Zurich habituées à la démocratie et au fédéralisme. Les cantons seraient des «unités territoriales» qui font éclater l’agglomération? C’est pour contrer cet «éclatement» que la Conférence gouvernementale a été créée. Elle est faite pour «prendre des décisions consensuelles», en d’autres termes, pour niveler les opinions diverses des cantons.

Les petites structures fédérales sont propices à une vie en collectivité qui respecte les individus

Nous autres citoyens sommes souverains dans notre cantons et notre commune et nous sommes bien inspirés de rappeler aux habitants des autres «espaces métropolitains» d’Europe les grands avantages des petites structures proches du peuple qui constituent le meilleur fondement d’une vie en collectivité qui respecte les individus. L’importance de ces collectivités dans lesquelles les relations humaines étroites ont des effets personnels et sociaux salutaires ne devrait pas être sous-estimée surtout aujourd’hui où le monde doit faire face à d’importants problèmes économiques et humains. N’abandonnons pas à la légère ce fondement de l’Etat caractérisé par la démocratie directe et le fédéralisme ainsi que par l’efficacité économique.

Sauvegarde de la paix culturelle entre les régions linguistiques

Presque en même temps que l’Association espace métropolitain de Zurich, les cantons romands de Genève, Vaud, Fribourg, Neuchâtel et du Valais ont créé, avec le canton de Berne, une association analogue. Ici non plus la population n’a pas été consultée.

«Remodelage de la Suisse»

Tel était le titre d’un article du 21 juin 2009 de Sonntag online qui évoque le «changement de camp spectaculaire» du canton de Berne, son «éloignement de la Suisse alémanique» et son adhésion au «nouvel espace économique» qui s’étend de Berne à Genève.
Propos surprenants car jamais dans l’histoire suisse on n’a assisté à la tentative manifeste de créer un facteur de division entre la Suisse alémanique et la Romandie. Jusqu’ici, chaque canton était libre de collaborer plus ou moins étroitement avec n’importe quel autre canton. Actuellement, les relations intercantonales et intercommunales en matière économique, écologique, culturelle, scolaire ou sanitaire, dans pratiquement tous les domaines, sont étroites, diverses et adaptées aux situations locales. Les citoyens aussi bien que les autorités des trois échelons politiques ont l’habitude de chercher ensemble et d’adopter des solutions aux divers problèmes que pose la vie en collectivité à l’intérieur des cantons et entre ceux-ci. C’est conforme à l’esprit du système fédéral de la Confédération.
Jamais il n’a été question d’«éloignement» lorsqu’un canton décidait d’établir des
relations contractuelles avec de nouveaux partenaires à l’intérieur de la Suisse. Les trois espaces métropolitains (le troisième, celui de Bâle et environs est en projet) doivent-ils servir à semer la zizanie entre les cantons et à détruire la coexistence des quatre régions linguistiques qui a été développée et entretenue avec soin pendant plus de deux siècles? La population suisse ne marchera pas car ces liens efficaces entre les différentes langues et cultures constituent un modèle aussi important pour les autres pays que la démocratie directe et la neutralité armée.

Sauvegardons la coexistence des quatre régions linguistiques et culturelles

Comme se fait-il qu’il n’y ait pratiquement jamais eu de tensions entre le Tessin, la Romandie et la Suisse alémanique dont la population est beaucoup plus nombreuse. Comment se fait-il que le petit groupe rhéto-roman des Grisons puisse s’affirmer? La raison en est très simple: c’est que tous les groupes de population sont sur un pied d’égalité. Toutes les autorités fédérales, cantonales et communales respectent ce principe. Le sentiment d’égalité des quatre cultures et le respect mutuel sont profondément ancrés dans la population également. Aucun Suisse alémanique n’aurait l’idée de se croire supérieur parce que la majeure partie du pays parle allemand.
L’égalité commence avec les panneaux de localités en deux langues dans toutes les communes bilingues. Elle se manifeste également dans l’enseignement des langues se­condes dans les écoles où les langues nationales doivent avoir la priorité afin que les habitants des différentes régions puissent se comprendre. Le fait que depuis quelque temps, on impose aux écoliers suisses l’anglais avant la seconde langue nationale inquiète nombre de personnes qui veulent sauvegarder la paix linguistique, un des fondements de la Confédération. L’allemand, le français et l’italien, les trois langues officielles de tous les offices de la Confédération, sont sur un pied d’égalité: toutes les publications de la Confédération sont trilingues. Au moins deux des conseillers fédéraux viennent de la Suisse romande ou du Tessin. Dans les débats des Chambres, chaque membre parle dans sa langue et la plupart maîtrisent couramment au moins deux langues nationales.
La population tessinoise reçoit les courriers provenant de Berne en italien. Dans le canton de Fribourg, chaque décret, chaque procès-verbal parlementaire est disponible en allemand et en français. Aux Grisons, les portes de tous les offices de la Confédération sont munies d’une plaque en allemand, italien et rhéto-roman. La sauvegarde de cette dernière langue est également l’affaire de la Confédération car l’élaboration et l’impression du petit nombre d’exemplaires de manuels scolaires en rhéto-roman coûte cher. Les enfants grisons dont la langue maternelle est le rhéto-roman apprennent à l’école primaire le rhéto-roman en tant que première langue, avant l’allemand. La radio et la télévision suisses présentent régulièrement des émissions en rhéto-roman.
Les parlementaires, les conseillers d’Etat et les fonctionnaires parlent les langues nationales.
Une situation comme celle du Sud-Tyrol, où pendant des décennies les fonctionnaires furent tous envoyés par Rome dans une région qu’ils ne connaissaient pas et ne par­laient qu’italien serait impensable en Suisse.

Qu’en est-il du reste des cantons?

La division de la Suisse en trois agglomérations géantes ne perturbe pas seulement l’équilibre des régions linguistiques mais également la coexistence pacifique entre les cantons urbains et les cantons ruraux. Un nombre important de cantons ne figurent absolument pas dans la planification régionale du Bureau de l’Intégration: le cœur de la Suisse, les cantons primitifs d’Uri, de Schwyz et d’Unterwald, de même qu’Appenzell, Glaris et les Grisons, qui ont la plus grande superficie de la Suisse. Le Tessin manque également, comme le canton du Jura qui n’est sans doute pas enthousiaste à l’idée de faire partie d’une agglomération bernoise. Sont-ils destinés à devenir de simples espaces de tourisme et de repos pour le peuple stressé des futurs espaces métropolitains toujours plus denses?
Un tel concept correspond peut-être aux visions d’avenir de quelques bureaucrates bruxellois, mais il s’oppose totalement au modèle suisse – édifié avec soin – de démocratie directe et de fédéralisme. La question qui se pose à nous autres citoyens est la suivante: Voulons-nous que notre système politique soit remodelé et que notre coexistence pacifique soit remise en cause? •

Opposons-nous à toute tentative de semer la discorde entre les populations urbaines et rurales

par Peter Küpfer

Dans une démocratie, le droit d’association, garanti à chaque citoyen, est fondamental. Il se déduit directement de la liberté de pensée et d’expression, fondamentale elle aussi. Le citoyen a le droit de s’associer avec d’autres individus qui partagent ses convictions en vue de mieux les faire valoir: telle est l’essence du droit d’association. Mais il doit se comporter en citoyen responsable. Quiconque nuit gravement aux intérêts ou au bon fonctionnement de l’association risque de se faire exclure. Il est possible de quitter une association à tout moment.
Dans notre démocratie, ceux qui exercent une fonction publique n’ont pas coutume de se rassembler en tant que tels dans une association. Si une institution étatique désire s’associer avec d’autres en vue d’agir dans un but commun, la Constitution fédérale prévoit diverses formes traditionnelles qui ont fait leurs preuves. Les communes s’associent surtout en «syndicats de communes» après avoir été mandatées par un vote des citoyens1, pour mieux réaliser une mission d’intérêt gé­néral, comme c’est le cas notamment en matière d’eau potable, d’épuration des eaux usées, de protection contre le feu. Pour les cantons, la Constitution fédérale prévoit le «concordat» qui règle les modalités de l’association en respectant scrupuleusement la souveraineté de chaque canton.
En Suisse, les associations privées poursuivant un but public ou celles créées par des représentants d’institutions étatiques provoquent, dans chaque démocrate, un certain malaise car elles lui rappellent le totalitarisme et la manipulation qui marquaient la vie quotidienne dans les Etats communistes de triste mémoire. Là, en effet, les associations comme celle des écrivains en RDA, étaient constituées totalement de fonctionnaires téléguidés et d’indicateurs corrompus.
Les démocrates doivent s’opposer résolument à tout comportement ambigu: On ne peut accepter que les titulaires d’une fonction publique agissent comme des individus indépendants et participent à une association de droit privé poursuivant des buts ambitieux dissimulés aux citoyens. Là, on enfreint à plusieurs niveaux le contrat social essentiel à toute démocratie. Primo, la Suisse, garante des libertés, pratique le principe de transparence. Quiconque prétend agir au nom de la population est susceptible de se faire mandater par elle et de répondre devant elle de ses actes. Il ne peut se cacher derrière une association qui poursuit des buts non sanctionnés par un vote public. Secundo, le membre d’un gouvernement cantonal, donc d’un exécutif, est responsable de ses actes envers ses électeurs et est censé agir selon leurs volontés à eux et non pas. Il ne doit pas, par le biais d’une association douteuse, leur imposer ses vues ou celles d’un groupement. Une telle dissimulation est indigne de la Suisse.
Que ceux qui voient le salut du pays dans les grandes agglomérations urbaines n’oublient pas que la Suisse est devenue forte grâce au principe d’alliance entre les villes et la campagne qui, tout en acceptant la diversité des façons de vivre se respectent en tant que partenaires égaux. Or, avec le projet actuel, on a affaire à une alliance autour des centres urbains qui sape ce principe en installant un «système à deux vitesses» pour le développement du pays. Il n’est pas difficile de deviner qui en fera les frais: c’est, une fois de plus, la population rurale dont les intérêts sont négligés depuis de longues années par les stratèges d’«Avenir suisse». Face à cela, l’empressement de certains magistrats à participer aux activités d’une association laisse un arrière-goût amer. N’assiste-t-on pas là à la résurrection d’une vielle stratégie révolutionnaire, celle de la dyarchie? Les ennemis de la démocratie font semblant de collaborer au sein des institutions de l’Etat démocratique mais dans le but de les saper et en faisant tout pour que l’organisation clandestine puisse, le moment venu, en prendre le contrôle.
Il est étonnant d’observer le manque de responsabilité dans le choix des moyens dont font preuve, aujourd’hui encore, certains milieux politiques pour imposer leurs idées dans le dos des citoyens.
1    La loi prescrit que ces syndicats «doivent s’organiser dans le respect des principes démocratiques». Elle stipule notamment que «toutes les personnes ayant le droit de vote sur le territoire du syndicat ont un droit d’initiative et un droit de référendum».