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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°37, 15 septembre 2008  >  Quand les malfaiteurs se transforment en victimes [Imprimer]

Quand les malfaiteurs se transforment en victimes


Un rapport du DDPS confirme le malaise de l’armée suisse

par Albert Vincenz, ancien colonel et commandant du régiment d’infanterie 60 (brigade frontalière 12, Grisons)

Depuis fin août, le grand public – largement informé par les médias – a pu se rendre compte de ce qu’entend la direction du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS), dirigé par le conseiller fédéral Samuel Schmid, par sécurité du pays. Son propre groupe de planification au sein du DDPS affirme apparemment dans un rapport interne que l’armée ne pourra bientôt plus être financée, situation que Samuel Schmid impute au citoyen suisse en l’accusant d’être trop économe. Etant donné que les médias font leur travail plus systématiquement que le DDPS, il se pourrait qu’on essaie ainsi de préparer les citoyens et les parlementaires fédéraux au débat budgétaire de cet automne. Les 3,7 à 4 milliards de francs suisses dont il s’agira, est-ce donc une bagatelle? Ou l’Union des associations européennes de football (UEFA) n’aurait-elle pas encore réglé la facture de la «furniture de sécurité» pour l’Euro 08, que le DDPS lui a fournie?
Tous ne sont pourtant pas surpris par ces nouvelles: Il y a plusieurs années déjà, à l’occasion de la campagne de votations contre la réforme Armée XXI de nombreux hommes politiques, officiers et citoyens préoccupés avaient mis le doigt sur la mauvaise voie que prenait notre politique de sécurité. Les représentants du DDPS, une large frange d’hommes politiques avec à leur tête le conseiller fédéral Schmid, ont complètement réfuté ces avertissements en traitant leurs porte-paroles de «perpétuels rétrogrades» et d’«adhérents à la Guerre froide». On organisa de véritables campagnes de communication à travers le pays, déployant une propagande massive et coûteuse (financée par les deniers des contribuables) qui fut malheureusement approuvée par la grande majorité des officiers actifs. Les opposants furent mis à l’écart ou traités d’opposants à l’armée en général. Les soi-disant experts militaires, qui commencent aujourd’hui à se poser des questions, n’avaient à l’époque pas bougé le petit doigt.
Il faut clarifier qu’à l’époque, ces «perpétuels arriérés» n’avaient pas mis en doute une réforme nécessaire de l’armée, mais ils réfutaient le projet d’Armée XXI comme étant une formule sans variantes, déjà désuète et irréalisable au niveau concret.
Aujourd’hui, on constate qu’Armée XXI a, en peu de temps déjà, largement détruit les structures, développées au cours de décennies, de notre système de défense et la responsabilité des citoyens quant à la défense du pays. Face à cela, des expositions de l’armée, ça et là, lors de foires industrielles en province sont peu efficaces. Actuellement, des parlemen­taires fédéraux (Commission de la politique de sécurité) et des représentants du DDPS nous avertissent que les fonds mis à disposition de l’armée ne suffisent pas tout en affirmant que ce fait est connu depuis des années. Réellement? Dans les documents officiels en vue du scrutin fédéral sur Armée XXI, les réflexions quant au financement manquaient, comme d’habitude, presque totalement. On a préféré offrir aux citoyens des projets en forme de formules toutes faites. Il est pourtant intéressant de constater que d’anciens fonctionnaires du DDPS se présentent aujourd’hui comme les sauveurs face au peril.
Maintenant, devant le sérieux de la situation actuelle, il ne s’agit plus de vouloir prouver qui avait raison. Les faits sont avérés: notre armée se trouve dans un état misérable. Les responsables devraient en principe se retirer tandis que leurs successeurs devront décider, après une réflexion aussi profonde que rapide, des mesures nécessaires à prendre afin que notre armée puisse survivre. Une mission claire en est la conséquence logique. Il serait fatal d’attendre de nouvelles réformes, meilleures que les anciennes, même si elles s’imposent, et de refuser de donner de l’aide immédiate. Dans un état de crise, il faut des mesures promptes et efficaces, car aucune armée ne peut exister sans réserves. Dès que les mesures à prendre sont sur la table et que la volonté politique de les réaliser est là, il faut décider des fonds nécessaires, mais pas avant. Espérons que ce ne sera plus sous la direction actuelle du DDPS qui a suffisamment prouvé son incapacité.
A ceux qui préconisent, aujourd’hui déjà, une armée plus compacte et plus efficace (qu’entendent-ils par là?) il faut objecter qu’une armée de milice doit refléter l’image de la population elle-même, concept auquel Armée XXI ne correspond pas du tout, et on le regrette. Dans une armée de milice, refléter l’image de la population ne peut pas se référer au seul segment de la jeunesse, elle nécessite également l’incorporation d’autres segments de la population. Face aux devoirs du citoyen ancrés dans la Constitution, une armée de métier, sous l’apparence d’une armée de milice, est hors de question, car heureusement le mercenariat est un tabou pour nous autres Suisses.
Il faut donc d’abord venir à bout de la crise actuelle, avant d’exiger de nouvelles réformes de cette armée désemparée. Et il est à espérer qu’on n’osera plus, à l’avenir, confronter les citoyens à des informations aussi peu hon­nêtes que cela a été le cas lors de la votation sur Armée XXI.    •