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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°43, 31 octobre 2011  >  Calculs des coûts et avantages de la vie [Imprimer]

Calculs des coûts et avantages de la vie

par Franz-Joseph Huainigg, député au Conseil national autrichien*

hd. Franz-Joseph Huainigg considère que la remise du prix d’éthique à Peter Singer, en juin 2011, est une gifle magistrale pour les personnes handicapées. Il réclame une nouvelle définition de l’éthique et davantage de dignité humaine.

Le concept d’éthique s’est détérioré en Allemagne tout autant qu’en Autriche. On pourrait supposer que les spécialistes de l’éthique se trouvent du côté de la vie et s’engagent pour elle. Mais ce n’est pas le cas! Le philosophe moraliste australien, Peter Singer, professeur de bioéthique à l’Université de Princeton a reçu, ces jours en Allemagne, le prix d’éthique de la Fondation Giordano-Bruno. C’est une gifle magistrale pour les personnes souffrant d’un handicap, quand on connaît les conceptions d’éthique de ce professeur: Il établit des critères pour le droit à la vie. Par exemple, le poisson est une créature non consciente. Les êtres dotés de conscience sont tout autant les animaux et les embryons humains dès la 18e semaine de grossesse. Les êtres humains sont des êtres conscients à partir de 9 mois, dans la mesure où on peut déceler une compréhension. Les enfants à handicap mental ne possèdent pas, selon Singer, cette compréhension, ne sont donc pas des êtres conscients, n’ont pas de caractère personnel et donc pas droit à la vie.

Qui a droit à la vie?

Alors qu’il refuse le droit à la vie aux enfants handicapés, il exige des droits humains pour les animaux. Dans ses écrits, il prétend que: «leur vie a nettement plus de valeur que celle de certains humains. Un chimpanzé, un chien ou un porc possèdent une conscience de soi nettement plus grande et une plus grande capacité de relations sensées avec les autres qu’un enfant gravement handicapé ou une personne dans un état de sénilité avancée. Si nous prenons de tels critères pour décider du droit à la vie, alors nous devons accorder aux animaux un même droit à la vie, voire un plus grand droit qu’à de telles personnes handicapées ou séniles.» (Singer, «Befreiung der Tiere», Munich 1982, p. 40).

La vie ne relève pas d’une analyse de coûts et avantages

Singer, de conception utilitariste, estime que le bonheur de chacun est lié au profit qu’en tire la société. Dans sa philosophie sur le bonheur, il pousse la réflexion si loin qu’il accepte la mise à mort, dans certains cas, d’enfants fortement handicapés, estimant qu’on peut utiliser l’argent dépensé en soins pour un petit enfant fortement handicapé pour sauver la vie d’un grand nombre d’enfants dans des régions très défavorisées. Il va de soi qu’on doit, au travers de l’aide au développement, aider les enfants défavorisés dans d’autres pays. Mais est-ce une raison pour justifier la mise à mort d’un enfant handicapé? Cette conception d’une analyse des coûts et avantages rejoint les partisans de l’euthanasie du Troisième Reich.
Le calcul suivant pourrait venir de Peter Singer, mais il fut établi par le psychiatre Hoche, au début des années vingt et fournit la base des conceptions du nazisme: «On constate que le montant moyen des dépenses pour l’entretien des êtres idiots atteint 1300 marks par individu pour les soins prodigués. La question de savoir si cette dépense en pure perte se justifie ne se posait guère dans les périodes fastes de la vie économique. Mais les temps ont changé et nous devons nous poser sérieusement la question de savoir si nous pouvons encore nous permettre de vouloir entretenir les êtres faibles de toutes sortes.»

L’euthanasie? Non, merci!

Nous sommes actuellement atteints non seulement d’un changement climatique, mais encore d’une conception de la société inquiétante. On parle ouvertement de l’euthanasie, sous forme p.ex. d’euthanasie active tant en début qu’en fin de vie. Les commissions d’éthique ne sont pas un rempart dans ce domaine. La Commission de bioéthique autrichienne ne s’est même pas déplacée au siège du chancelier (premier ministre) lors du débat sur «l’enfant comme sujet dommageable», mais s’est prononcée, lors d’un vote par circulaire, à l’unanimité contre toute modification de la loi – sans pour autant proposer des alternatives. De telles décisions proviennent d’informations imprégnées d’idéologie et trahissant le besoin de se montrer moderne, libéral et dans l’esprit du temps.

Une nouvelle éthique représentant une «économie de santé»?

Pris dans une mentalité de soumission, on croit devoir se plier aux vœux des politiciens au pouvoir, même non exprimés. L’acteur Tobias Moretti tint en 2007 un discours fort apprécié au château Hartheim sur le «sens moral et devoir de culpabilité» dans lequel il mettait en garde envers la «nouvelle éthique»: «[…] ce qui s’appelait alors hygiène sociale est dénommé aujourd’hui économie de santé. […] «Tant que les hommes sont orientés vers une conception chrétienne et humaniste, on ne devrait pas devoir débattre du droit à la vie d’un être humain, ni d’une personne âgée ni d’une personne handicapée – rien ne le justifie et il n’y a rien à expliquer. Mais, entre-temps, c’est tout de même apparu. La personne qui n’est pas directement heureuse porte atteinte au bonheur de la société, c’est-à-dire à nous. […] Comment peut-on expliquer aux jeunes générations, qui ont à lutter pour leur propre existence, du fait des coûts qu’elles génèrent, que cela enrichit la société de réserver de la place à ce qui n’est pas normal.» (Citation tirée de: Franz-Joseph Huainigg, «Auf der Seite des Lebens» [Du côté de la vie], Vienne 2007, p. 99)

Il faut ancrer la dignité humaine dans la Constitution

Cette remise de prix à Peter Singer n’est pas un accident de parcours. Ses conceptions sont largement répandues et accompagnent une dévalorisation au niveau européen de la dignité humaine. L’intangibilité de la dignité humaine est le fondement des droits de l’homme. Il s’agit de donner un socle stable à ce pilier de la démocratie en ancrant la dignité humaine dans la Constitution autrichienne, en rappelant la période du national-socialisme et de son programme d’extermination de personnes handicapées et en veillant à ce que notre système d’éducation apprenne aux jeunes générations la valeur de la vie. Et finalement, il faut remettre en question l’attribution des sièges à la Commission de bioéthique. Ce n’est pas à la Chancellerie de nommer les candidats, mais à la Commission parlementaire des droits de l’homme, à la Cour constitutionnelle et au Collège des médiateurs.    •

*    Franz-Joseph Huainigg est pédagogue de médias, auteur de livres d‘enfants et porte-parole des personnes handicapées pour le parti ÖVP (Osterreichische Volkspartei).

Les personnes handicapées d‘abord

sf. En 2007, sous le patronage de Horst Köhler, président allemand d’alors, le Musée allemand de l’hygiène de Dresde a présenté une exposition mise à disposition par le «United States Holocaust Memorial Museum» et intitulée «Médecine mortelle, expression du racisme nazi». Des extraits du texte d’accompagnement de l’exposition1 montrent jusqu’où peut mener l’instrumentalisation idéologique et/ou économique de la science. Ce qui se mit en route de façon relativement anodine et bien cachée derrière des euphémismes s’avéra très vite être un processus d’extermination des éléments les plus faibles de la société. C’est un phénomène qui pourrait se reproduire dans une période de crise imprégnée de la conception matérialiste erronée de l’homo œconomicus – voir ci-dessus l’exposé de Franz-Joseph Huainigg sur l’idéologie inhumaine de Peter Singer – si les citoyens qui savent ce qui s’est passé ne réagissent pas à temps.
Les commissaires de l’exposition du «United States Holocaust Memorial Museum» estiment qu’entre 1933 et 1945 «200 000 personnes furent assassinées lors des mesures d’euthanasie et 400 000 furent victimes des stérilisations forcées». Ils ajoutent: «Grâce à l’aide de médecins et d’anthropologues, on développa une politique sanitaire qui commença par la stérilisation de personnes considérées comme génétiquement inférieures et conduisit à l’élimination des personnes considérées comme indignes de vivre et à la préparation de l’extermination des juifs européens».
Ayant constaté que dans les années vingt la notion d’«hygiène raciale», traduite par le terme d’«eugénisme», était largement répandue, les auteurs mettent l’accent sur le fait «qu’après 1929, la crise politique et économique dans la république de Weimar avait conduit à ce que l’on approuve également une orientation «négative» de l’eugénisme. Les stérilisations pratiquées dans cet esprit intéressèrent de plus en plus le gouvernement, alors même que des protestations s’élevaient, venues de différents milieux. En outre, de plus en plus nombreux furent les gens qui adhérèrent à la notion de «race nordique» ou «race aryenne» qui représentait un idéal eugénique et raciste, conception qui fut propagée avec plus d’intensité par le parti national-socialiste d’Hitler.
Hitler ayant pris le pouvoir en janvier 1933 et instauré la dictature nazie avec l’aide du pouvoir policier, les critiques du régime furent réduits au silence. Les idées eugénistes furent appliquées dans la politique sanitaire et raciste nazie comme jamais auparavant. De nouvelles lois de stérilisation et de mariage furent édictées qui s’appuyaient sur des conceptions antérieures. On se mit à enregistrer et à mettre à part les individus atteints de handicaps physiques et mentaux ou de maladies considérées comme héréditaires, car on les considérait comme une menace pour la «santé de la population». Les programmes d’hygiène raciale s’en prirent aussi aux juifs et à d’autres minorités considérées comme de race étrangère.
Le 14 juillet 1933, le régime national-socialiste édicta la première grande mesure d’hygiène raciale au travers de la Loi de prévention d’une descendance atteinte de maladie héréditaire. Le docteur Arthur Gutt, médecin et directeur de la division de la santé publique au ministère de l’intérieur du Reich ainsi que le docteur Ernst Rudin, psychiatre et cofondateur du mouvement allemand d’hygiène raciale apportèrent leur aide dans la formulation de cette loi de stérilisation. On s’appuya sur un ancien projet de loi sur la stérilisation volontaire.
On estime que 400 000 Allemands furent stérilisés de force entre 1933 et 1945. La décision de procéder à une stérilisation forcée reposait sur neuf critères de maladies recensées dans la Loi de prévention d’une descendance atteinte de maladie héréditaire: «idiotie congénitale», schizophrénie, psychose maniaco-dépressive, épilepsie héréditaire, maladie d’Huntington (maladie héréditaire du système nerveux), cécité et surdité héréditaires, graves malformations physiques congénitales et alcoolisme chronique.»
Lors du déclenchement de la guerre et dans son ombre se mit en marche ce que personne, y compris les Allemands et les politiciens prêchant l’apaisement entre 1933 et 1939, n’aurait pu imaginer en des temps «normaux»: le génocide à grande échelle des êtres les plus vulnérables de la société que l’on avait recensés. «La Seconde Guerre mondiale a servi de prétexte et de couverture pour l’assassinat des «êtres indésirables» qu’on avait déjà écartés de la société et empêchés de fonder une famille. En s’appuyant sur les arguments émis dans les années vingt par des médecins et des juristes, les nazis tentèrent de justifier ces assassinats en les présentant comme des mesures d’«euthanasie» (étymologiquement: bonne mort, mort douce) et de «mort donnée par pitié» (Gnadentod). Des centaines de personnes, directeurs d’institutions, pédiatres, psychiatres, médecins de famille et infirmières participèrent à l’application de ce programme.
Les premières victimes furent les êtres les plus vulnérables de la société allemande: les nouveau-nés et les enfants souffrant d’un handicap physique ou mental. Le ministère de l’Intérieur du Reich ordonna aux sages-femmes et aux médecins de déclarer les malformations congénitales graves. Trois médecins spécialistes examinaient chaque cas et décidaient de la vie ou de la mort des enfants. Entre 1939 et 1945, plus de 5000 garçons et filles furent assassinés par les médecins et le personnel soignant dans la trentaine de «sections spécialisées dans l’enfance» d’institutions et d’hôpitaux. […]»
Les conséquences sont connues: il s’agit du génocide de millions de personnes fondé sur des théories raciales insensées, tel que le décrit de manière impressionnante Timothy Snyder dans son livre «Bloodlands».
Et aujourd’hui? Tirer les leçons de l’histoire, n’est-ce pas être capable de reconnaître à temps les premières manifestations d’inhumanité et d’y mettre un terme afin qu’on n’en arrive plus jamais à des crimes semblables à ceux perpétrés par les nazis?

1    Deutsches Hygiene-Museum Dresden, http://dhmd.de/index.php?id=1151