Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°35/36, 25 novembre 2013  >  Se rappeler les principes de la pédagogie curative, au lieu de produire artificiellement des «élèves à besoins éducatifs particuliers» [Imprimer]

Se rappeler les principes de la pédagogie curative, au lieu de produire artificiellement des «élèves à besoins éducatifs particuliers»

par Eliane Gautschi et Henriette Hanke Güttinger

Au cours des dix dernières années, le nombre d’élèves à besoins éducatifs particuliers a doublé de 12 000 à 24 000 dans les écoles publiques suisses.1 Ce sont 3,2% des élèves de l’école obligatoire. En même temps, le nombre total des élèves a diminué. Un grand nombre de ces élèves n’ont pas réellement un handicap, mais ils présentent quelques difficultés dans leur apprentissage ou des problèmes de comportement. Néanmoins, on leur attribue un «handicap». Une des raisons invoquées est d’obtenir davantage de ressources, car les maîtres accueillant des élèves à besoins éducatifs particuliers dans leur classe, peuvent demander d’avantage de mesures de soutien individuel. L’erreur de diagnostic présenté par le terme d’«élève avec handicap» est une négligence grave et pèse lourdement sur l’avenir de ces enfants. Les élèves à besoins éducatifs particuliers, intégrés dans une classe normale, sont souvent dispensés d’atteindre les objectifs de la classe et cela engendre souvent des conséquences néfastes pour toute leur vie. On ne leur demande plus de travailler sur les mêmes matières scolaires comme leurs camarades du même âge. Le passage à un niveau supérieur ou à un apprentissage professionnel régulier devient illusoire. On refuse ainsi à ces enfants leur droit humain à la formation.
En tant que pédagogues expérimentées dans le domaine de l’éducation spécialisées, cela ne nous laisse pas indifférentes. Nous avons donc pris l’initiative d’analyser soigneusement cette problématique, d’en présenter les bases fondamentales et de faire des propositions pour tenter de résoudre de tels problèmes.

Les enfants en Suisse sont-ils moins intelligents qu’il y a dix ans?

Bien sûr que non. La recherche et les expériences pédagogiques démontrent que l’être humain se caractérise par une grande aptitude à l’apprentissage. Cela n’a pas changé depuis l’apparition de l’homo sapiens . Qu’est-ce qui a donc changé?

Les causes du doublement du nombre d’élèves à besoins éducatifs particuliers

En 2002, une nouvelle loi fédérale («Loi sur l’égalité pour les handicapés») a été promulguée, obligeant les cantons à ne plus placer les élèves à besoins éducatifs spécialisés dans des écoles spécialisées mais de les intégrer, autant que possible, dans des classes ordinaires de l’école publique (avec des mesures de soutien allant jusqu’à 8 heures par semaine). Outre les élèves à besoins éducatifs particuliers, il y a aussi des enfants avec des difficultés d’apprentissage et de comportement qui, dans le passé, fréquentaient des classes à effectifs réduits; celles-ci ont été supprimées dans de nombreux cantons. Aujourd’hui, ces enfants et adolescents sont également intégrés dans des classes ordinaires et reçoivent de l’aide supplémentaire mais ils disposent de beaucoup moins d’heures que les élèves à besoins éducatifs particuliers.
Selon Beatrice Kronenberg, directrice du Centre suisse de pédagogie spécialisée,2 ces différents modes de financement ont mené à ce qu’on attribue un «handicap» mental ou linguistique ou même un diagnostic psychiatrique, tel le syndrome d’Asperger, aux enfants présentant des difficultés d’apprentissage et de comportement. Ainsi, on en fait des élèves à besoins éducatifs particuliers nécessitant des mesures de pédagogie renforcées.
«En arrière plan se cache l’appel des enseignants à plus de ressources», déclare Mme Kronenberg, car les professeurs de classes ordinaires avec des élèves à besoins éducatifs particuliers intégrés peuvent demander davantage de soutien. «Il s’agit d’une stigmatisation cachée lorsque un enfant est déclaré à tort handicapé mental ou linguistique pour que les professeurs obtiennent davantage de ressources».3 Le directeur de l’école de pédagogie curative de Zurich, H.-R. Bischofberger, est encore plus clair. «L’enseignement en classe régulière «tire profit» de l’enseignement spécialisé et les «élèves à besoins éducatifs particuliers» servent de poule aux œufs d’or».4

Réfléchir au lieu de bidouiller

Vu ces dysfonctionnements, il est grand temps de faire une pause et de réfléchir aux réels objectifs de l’école publique obligatoire et de réexaminer nos tâches en tant qu’enseignant et notamment en tant que pédagogue curatif.

L’objectif de l’école publique

Les articles définissant les objectifs de l’école publique des divers cantons suisses sont un vrai plaisir. Tous différents, mais d’accord sur les principes fondamentaux: former la jeunesse afin qu’elle soit capable de remplir ses devoirs futurs dans la famille, le travail, la société et notre système de démocratie directe dans le sens du bien commun. Un exemple type est la loi scolaire du canton d’Argovie de 1981: «[…] des écoles dans lesquelles les jeunes êtres humains sont éduqués au respect de la divinité, à l’estime du prochain, à l’environnement, à devenir des citoyens indépendants et conscients de leurs responsabilités, à devenir des personnes aptes à la communauté, mûrissant dans leur esprit et leur âme, des écoles dans lesquelles la jeunesse puisse déployer ses forces créatrices et où elle est initiée au monde du savoir et du travail […]» Cela était valable déjà en 1848, lors de la fondation de l’Etat fédéral, c’est valable aujourd’hui et à l’avenir.

Le devoir de l’enseignant …

L’article définissant les buts de l’école dans la Constitution cantonale définit également les devoirs à remplir par l’enseignant dans le cadre de son enseignement et de sa pédagogie. Cela concerne en particuliers le travail avec les enfants ayant, pour des raisons personnelles et individuelles, des difficultés dans leur apprentissage et leur comportement social. Dans les années 1930 déjà, Alfred Adler avait mis l’accent sur l’importance du rôle de l’enseignant: «Si un enfant, venant d’une école où il n’a rien appris, passe dans une école où tous les élèves ont de l’avance sur lui […] Qu’allons-nous faire avec un tel enfant? Il ne suffit pas de dire, tu n’es pas capable de faire ce qu’on te demande. C’est la tâche de l’enseignant de découvrir ces insuffisances et de les corriger, de trouver une voie pour aider l’enfant à devenir aussi bon que les autres.»5

… et du pédagogue curatif

Ce qui est valable pour l’enseignant l’est également pour le pédagogue curatif. Nous aussi, nous devons nous rappeler quelle est notre tâche première.
En pédagogie curative, une mauvaise habitude dangereuse s’est établie. Aujourd’hui, on renonce à une anamnèse méticuleuse dans laquelle on réunit tous les faits importants du parcours individuel et du développement de la personnalité de l’enfant en rapport avec sa famille, son entourage rapproché et son milieu culturel. De cette manière – et cela est le principe de base de la pédagogie curative – on était capable de comprendre les raisons profondes des difficultés de l’enfant pour ensuite pouvoir les résoudre de manière ciblée. Depuis quelque temps, la pédagogie curative applique des systèmes de diagnostiques issus de la psychiatrie et en se basant sur des symptômes, on attribue aux enfants des pathologies psychiatriques. Souvent, il s’ensuit un traitement par médicaments. Rappelons-nous l’administration de Ritaline ou de médicaments semblables qui ont augmenté de façon exponentielle. Etiquetés ou stigmatisés de cette manière, les enfants sont victimes d’une exploitation économique. Les données individuelles et personnelles sont stockées électroniquement par des pédagogues, psychologues, psychiatres, médecins, travailleurs sociaux dont leur usage ultérieur est incontrôlable.6
En nous basant sur la CIM-10 ou la CIF (cf. ci-dessous), nous ne prenons plus au sérieux notre devoir de pédagogues spécialisés qui est d’aider et de guérir.

Il faut un retour à la pédagogie curative

«La pédagogie curative» – ainsi que l’a définie Paul Moor (cf. encadré) – «est une éducation appropriée, là où les conditions sont difficiles.»7 C’est une bonne définition de notre tâche pédagogique. Les principes suivants, émanant de la recherche et de la pratique de la pédagogie curative se sont avérés efficaces jusqu’à nos jours:
1.     D’abord comprendre, puis éduquer.
2.    Ne pas combattre les erreurs, mais construire ce qui manque.
3.    Eduquer l’enfant ne suffit pas, il faut également éduquer son entourage.
Nous allons illustrer ces principes par des exemples de notre pratique de la pédagogie curative.8

Maria: D’abord comprendre – puis éduquer

Nous travaillons dans une école spécialisée pour enfants et adolescents avec des difficultés d’apprentissage et de comportement. Les classes sont terminées, les enfants ont ramassé leurs affaires et sont en train de rentrer à la maison. La maitresse est assise à sa table de travail et prépare la prochaine journée d’école. On frappe à la porte et une jeune femme entre en souriant à la maitresse. C’est une ancienne élève. Rayonnante, elle raconte qu’elle vient de passer son examen de maturité. Dans la tête de l’enseignante, tout un film se déroule et la fait revenir en arrière. Il y a plus de 12 ans la petite Maria est apparue à l’école avec sa mère. Il s’agissait de savoir si la petite devait passer de la deuxième classe de l’école primaire ordinaire à notre école spécialisée. Au début, Maria suivait attentivement la conversation entre sa maman et l’enseignante. Mais bientôt elle commença à s’ennuyer. Elle regardait autour d’elle et alla se promener dans la salle. Je n’avais rien contre. Pourquoi la petite devraient-elle écouter son histoire une énième fois? Pourquoi entendre et réentendre qu’elle était un enfant «difficile»? Munie d’un livre, de crayons de couleurs et de papier elle se plaça dans une petite chambre annexe. La mère me raconta les problèmes scolaires actuels. En classe, Maria était toujours agitée, ne travaillait pas de façon concentrée et se disputait souvent avec les autres enfants. La maitresse trouvait que Maria était dépassée par les devoirs et de plus en plus marginalisée dans la classe. En mathématiques, on ne lui donnait déjà plus de notes. Mais elle n’était pas sûre que ce soit la bonne solution.
L’enseignante veut mieux comprendre le développement de l’enfant et pose quelques questions sur les premières années de la petite. Sa manière de travailler avec les enfants repose sur une conception personnaliste de l’être humain. C’est ainsi qu’elle a été formée, il y a un bon bout de temps déjà. Elle aimerait comprendre Maria suite à son vécu pour pouvoir en tirer des conséquences pour son travail futur avec elle. La maman décrit que les conditions de vie extérieures étaient difficiles. Leur vie de couple était agitée, le papa n’assumait pas ses responsabilités envers la famille et sa fille et ils ne vivaient plus ensemble depuis un certain temps déjà. Elle-même était très prise par son travail. C’est pourquoi Maria passait beaucoup de temps chez ses grands-parents ou sa tante qui habitaient heureusement dans les environs. Le développement de Maria ne posait pas de problème. Au début, elle était plutôt timide, mais elle pouvait aussi être très obstinée. En fait, les problèmes n’avaient commencé qu’à l’entrée de l’école maternelle. Voilà pourquoi une pédopsychiatre l’avait examinée.
Maria revient nous voir de temps à autre, nous montre un dessin et dit qu’elle s’ennuie. La mère a amené le rapport des résultats des examens. Maria avait été soumise à plusieurs tests par lesquels avaient été diagnostiqués des troubles de coordination et de perception neurologiques. Elle avait des difficultés à se gérer elle-même ainsi qu’un syndrome d’hyperactivité et des troubles réactifs suite à une problématique de manque d’estime de soi. Le rapport mentionnait positivement un niveau intellectuel élevé et sa capacité à s’enthousiasmer, son goût de la découverte et sa facilité de contact avec son entourage, ses bonnes idées, une absence de rancune et son adaptation face à la situation professionnelle de sa mère. Le rapport résumait ces symptômes sous forme du diagnostic SPO (syndrome psycho-organique) suite à un défaut de naissance qui pouvait être signalé à l’Assurance invalidité (AI). A cette époque, le SPO était l’un des diagnostics principaux «à la mode». Aujourd’hui, il est dépassé et a été remplacé par le «Trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité» (TDA/TDAH).
Au cours de sa formation, notre enseignante a eu l’occasion d’analyser le fonctionnement des tests. Elle savait donc qu’un test n’est toujours qu’une image instantanée et que les résultats dépendent de l’humeur de l’enfant mais aussi de la manière d’agir du psychologue ou du psychiatre. Elle prend donc connaissance du résultat des tests et met l’accent sur le domaine de la pédagogie curative dont l’objectif est de former et de guérir. Maria doit apprendre à surmonter ses difficultés.
La maman raconte aussi qu’elle a du plaisir avec son enfant très vif, qu’elle préfère cela à un enfant timide ou déprimé. Elle fait attention à ce que Maria organise bien ses loisirs. Elle-même aime beaucoup le sport et Maria aime également bouger et fait partie d’un groupe de gymnastique pour filles.
Suite à ces examens, Maria avait reçu de la Ritaline qu’elle avait très mal supporté. On avait donc arrêté le traitement. Plus tard, Maria décrira cette période du traitement médical comme si elle était sous une cloche de verre. Notre enseignante a été confrontée à un grand nombre de rapports similaires et elle a déjà travaillé avec de tels enfants. Souvent c’étaient des descriptions psychiatriques d’enfants très vifs, curieux, mais extrêmement sensibles, éprouvant rapidement un manque d’attention de son entourage. Ils avaient du mal à s’intégrer dans une communauté d’enfants et beaucoup avaient la «bougeotte» et n’arrivaient pas à se concentrer avec soin sur un travail.
C’était un fait que, en dépit de son bon potentiel intellectuel, Maria avait rapidement pris du retard dans toutes les matières. L’enseignante supposait que Maria avait besoin de beaucoup d’encouragement mais aussi d’une attitude de soutien ferme et exigeante. L’instauration d’une bonne relation de confiance avec la maîtresse et un enseignement bien structuré lui donnerait des repères. Ainsi on pourrait commencer à établir les bases émotionnelles pour favoriser l’apprentissage. Avant tout, Maria allait devoir apprendre à jouer un rôle plus constructif dans la communauté des enfants. Elle était enfant unique et à l’entrée au jardin d’enfants elle n’était pas habituée au contact avec d’autres enfants. Apparemment, elle était rapidement intimidée. Ce n’est qu’un peu plus tard que l’enseignante a réalisé qu’elle cherchait toujours des relations étroites et exclusives. Quand son «partenaire préféré» jouait avec un autre enfant, elle perdait ses repères et commençait à se disputer, en en venant aux mains. Maria devait apprendre à formuler ses désirs de façon équitable et en prenant en compte les autres enfants. La maîtresse s’est demandée comment elle pourrait favoriser la tendance saine de l’enfant à se faire valoir. Maria n’avait pas de frères et sœurs avec lesquels elle aurait pu trouver une mesure plus réaliste. Elle se comparait aux adultes de son entourage qui, naturellement, savaient tout mieux faire qu’elle. Maria avait le droit d’être ambitieuse et rapide. Mais la voie qu’elle avait entamée jusque là la faisait souvent se sentir inférieure. Comme on a pu le reconnaître plus tard, son désir d’être rapide était une priorité émotionnelle absolue et l’empêchait d’apprendre. Elle travaillait de façon superficielle et commettait beaucoup d’erreurs qui la fâchaient. Elle trébuchait toujours à nouveau sur elle-même. Sa maman était très capable, s’occupait de multiples tâches à la fois, était constamment sur le qui-vive. Maria l’avait-elle prise comme modèle? Dans ce domaine-là, elle avait également besoin d’une orientation univoque par sa maîtresse, c’est elle qui lui a fourni l’aune à laquelle elle devait juger son travail.
L’enseignante obtint ainsi, suite à la conversation avec la mère et durant les journées d’essai qui suivirent, une première impression de Maria. C’était sur cette base qu’elle a construit son travail de pédagogie curative avec cet enfant: d’abord comprendre – puis éduquer. Sa relation avec Maria devint son outil de travail.
Ce fut un long chemin parcouru par Maria pour devenir une bonne élève, entrer au gymnase et terminer avec son examen de maturité. En surmontant petit à petit ses difficultés, elle avait gagné en assurance. Le poids le plus lourd dont elle n’a pu se délester entièrement est le diagnostic qui lui a été collé à la peau.

Flavio: Ne pas combattre les erreurs, mais construire ce qui manque

Les parents de Flavio se font du souci. Le rapport du jardin d’enfants les a inquiétés. Quand les enfants sont réunis en cercle, Flavio paraît souvent absent. Quand il lève la main, il ne dit rien ou donne des réponses complètement fausses. Quand un autre enfant l’approche, il le chasse ou lui tape dessus. Il est très maladroit dans tout ce qui touche à la motricité générale et spéciale, également en gymnastique. Il n’ose rien faire et se met vite à pleurer. Il ne sait grimper ni sur le chariot des tapis de gymnastiques, ni sur les espaliers.
Ses facultés cognitives sont difficiles à évaluer. On ne sait jamais très bien s’il ne sait pas comment faire ou s’il ne veut pas. Si cela continue ainsi, il faudra consulter le psychologue scolaire – déclare la jardinière d’enfants.
La pédagogue curative concernée s’occupe de l’affaire. Dans les vestiaires, elle a une entrevue avec la maman de Flavio venant le chercher à la sortie du jardin d’enfants. Flavio essaie de mettre sa chaussure droite ce qui n’est pas facile pour lui. Il laisse tomber les bras et regarde de manière désemparée vers sa maman qui l’aide tout de suite. Pour mettre son petit manteau d’hiver, c’est la même chose. Puis la mère prend son petit sac dans sa main gauche et son Flavio à la main droite, dit adieu et s’en va. Suite à cette première entrevue, la pédagogue curative reconnaît une première approche: dans le sens de «l’aide à s’aider soi-même», Flavio devra apprendre à connaître et à utiliser de manière sensée ses propres forces.
Au début, Flavio est renfermé et inactif, mais après peu de temps, il prend confiance dans la pédagogue curative. Rapidement, on s’aperçoit que, dans le domaine cognitif, Flavio est très vif. Il dispose d’une très bonne perception, de la flexibilité mentale et d’un humour très fin. Lors d’exercices avec une balle, la pédagogue lui dit une fois, par hasard: «Prends la balle dans tes bras». Une autre fois, elle dit: «Prends le ballon sur tes bras» [en allemand cela veut dire: se moquer de quelqu’un, ndt.] Et le petit de réagir avec un sourire malin: «Je dois prendre le ballon dans mes bras ou sur mes bras?»
Quand la pédagogue curative lui donne une tâche qu’il n’ose pas faire, il la regarde d’un regard désarmant qui semble dire «Je ne comprends rien du tout». C’est un appel muet: «Résous cette tâche pour moi!» Ou il pose sa tête dans ses bras et déclare: «J’aimerais mieux faire autre chose.» Suite à la réaction aimable mais ferme de la pédagogue: «Non, non, viens voir, je te montre comment il faut faire.», il est d’abord sceptique, puis se laisse convaincre, réussit et devient rayonnant. La pédagogue parle avec lui de cette situation. Au cours de quelques semaines, Flavio devient plus courageux, essaie lui-même au lieu de se donner un air désemparé et développe de plus en plus de facultés correspondantes à son âge.
Outre la motricité spécialisée, la pédagogue entraîne Flavio à la motricité générale. Dans la salle de gymnastique, il s’entraîne avec le chariot des tapis de gymnastiques, à l’échelle, sur les espaliers, avec des anneaux et des balles. Quand la pédagogue lui demande de grimper sur le chariot des tapis et de marcher sur le banc long, Flavio répond d’une voix tremblante: «J’ai peur, je ne sais pas faire ça!» Après quelques encouragements à essayer et l’assurance d’une aide fournie en lui tenant la main, il accepte tout de suite et se laisse guider sur le banc long (à un mètre du sol). Après avoir fait plusieurs aller et retour, Flavio a perdu sa peur et il n’a plus besoin de la main de la pédagogue. A chaque nouvel exercice, il a d’abord peur, puis il accepte d’essayer. Quand il réalise que ça marche, il s’en réjouit et dit à haute voix: «Je veux faire ça encore huit fois!» Fier et grandi d’une demie-tête, il quitte la salle de gymnastique. Au cours d’autres leçons, Flavio continue à entraîner sa motricité générale et bientôt, il aura atteint un niveau correspondant à son âge.
Au cours de ce travail de soutien, Flavio a pu rattraper ce qui lui manquait, ce qui a renforcé sa personnalité toute entière et qui l’a rendu plus sûr de lui. Cela a dégagé la voie pour un développement positif dans ses contacts avec les autres enfants. Lors du prochain entretien avec la jardinière d’enfant, il n’a plus été question de tests chez le psychologue scolaire. Ce qui a été important pour le développement ultérieur de Flavio c’est que ses parents et la jardinière d’enfants l’ont aussi encouragé dans son développement vers davantage d’indépendance. Actuellement, Flavio est un bon élève en troisième classe du primaire et très apprécié par ces camarades de classe pour son comportement aimable et serviable.

Reza: Eduquer l’enfant ne suffit pas, il faut également éduquer son entourage

Au cours de sa première année de jardin d’enfants, Reza attire l’attention de la jardinière d’enfants sur lui. Il reste assis sur sa petite chaise et suit attentivement ce qui se passe autour de lui. Quand on lui parle, il donne un signe de la tête et dit poliment «oui». Mais ce qu’il fait ne va pas du tout de paire avec ce qu’on lui avait demandé. Les résultats des tests auxquels on l’a soumis sont très bas et montrent «un léger handicap mental». Les parents, originaires de l’Europe de l’Est, ne sont pas d’accord avec ce résultat. Lors d’un entretien, on arrive à faire ressortir les causes des problèmes de Reza. Ses parents, qui l’aiment beaucoup, travaillent les deux toute la journée et Reza passe la journée dans une famille portugaise. Ni la mère de jour, ni les parents parlent beaucoup avec lui car, la plupart du temps, il joue tranquillement tout seul.
Les parents acceptent volontiers la proposition du pédagogue curatif, de s’occuper de Reza le soir et les weekends et de s’entretenir avec lui. La mère commence à lui donner des petites tâches de ménage, regarde des livres d’images avec lui et donne des noms aux objets reproduits. Reza est tout étonné et répète les nouveaux mots. Son père l’emmène dans son jardin ouvrier, lui explique ce qu’il fait et l’invite à l’aider. Quand le papa retrouve ses copains, il emmène son fils qui suit attentivement les discussions, même s’il ne comprend pas tout. La jardinière d’enfant et le pédagogue curatif contribuent à ce que Reza puisse rattraper son retard de développement linguistique et social. Avec succès. Deux ans plus tard, la maîtresse de la première classe primaire est très contente de Reza. Calme et attentif, il suit l’enseignement et comprend très bien de quoi il s’agit. En calcul et en lecture, il fait partie des bons élèves.
Pour le bon développement de Reza, c’est son entourage – dans ce cas présent, ses parents – qui a été d’une importance capitale.    •

1    Neue Luzerner Zeitung du 2/2/13, p. 12.
2    Mandatée par la «Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique» (CDIP) et de l’«Office fédéral des assurances sociales» (OFAS).
3    Beatrice Kronenberg, in: Neue Luzerner Zeitung du 2/2/13, p. 12.
4    Otto Speck, Die wundersame Vermehrung von Schülern mit «geistiger Behinderung» – und niemand empört sich! In: Vierteljahresschrift für Heilpädagogik und ihre Nachbargebiete. 1/2013.
5    Alfred Adler. Individualpsychologie in der Schule. Frankfurt am Main. 1976, p. 37.
6    cf. Centre d’espionnage gigantesque aux Etats-Unis. In: Horizons et débats no 15 du 29/4/13
7    Paul Moor. Heilpädagogik. Ein pädagogisches Lehrbuch. Bern 1965.
8    Pour des raisons de protection des données, ces exemples ont été transformés, mais ils sont tous authentiques dans leur contenu.

Paul Moor
Le pédagogue curatif Paul Moor (1899–1977) est avec Heinrich Hanselmann un des pionniers de la pédagogie curative en Suisse. Pour leur travail, ils se sont toujours basés sur la conception personnaliste de l’être humain. A l’origine, Moor était professeur agrégé en mathématiques. En 1929/30, il a suivi une formation en pédagogie curative et, avec sa femme, il a dirigé un foyer d’enfants près de Fürstenwalde (Allemagne). Dès 1931, il est devenu directeur de la station d’observation de l’internat éducatif d’Albisbrunn (canton de Zurich). En 1933, il a obtenu une place d’assistant auprès du professeur Hanselmann au Séminaire de pédagogie curative de Zurich, où il a obtenu son doctorat peu de temps plus tard. Entre 1949 et 1961, il a dirigé le Séminaire de pédagogie curative et en 1951 il a obtenu la chaire de pédagogie curative de l’Université de Zurich où il est devenu professeur extraordinaire. Emérite depuis 1968, il a habité au bord du lac de Zurich, à Meilen, jusqu’à son décès en 1977. Beaucoup de ses réflexions fondamentales sont encore valables de nos jours.

«Les classes intégratives sont à leurs limites: de plus en plus d’enfants ont le diagnostic «difficultés d’apprentissage», afin d’obtenir plus d’argent pour les écoles.
Depuis l’introduction de l’école intégrative et la suppression des classes à effectifs réduits et des classes spécialisées, le nombre d’élèves ayant besoin d’un accompagnement spécial augmente. Beatrice Kronenberg, directrice du Centre suisse de pédagogie spécialisée, constate: «Actuellement, nous observons une augmentation des diagnostics pour obtenir plus de ressources. C’est compréhensible sur le fond, mais c’est un mécanisme malsain.» Cela est notamment le cas pour le diagnostic du trouble autiste appelé «syndrome d’Asperger». Il y a aussi des régions où l’on trouve une augmentation importante d’enfants avec des «handicaps» linguistiques ou mentaux. Pour la pédagogue spécialisée et psychothérapeute la situation est claire: «L’offre gouverne la demande. Nous l’observons très clairement dans notre domaine.» Quand un enfant est diagnostiqué de «syndrome d’Asperger» ou d’élève à besoins éducatifs particuliers, les moyens financiers arrivent de la Direction de la Santé publique, et plus de la Direction de l’Instruction publique. C’est pourquoi le directeur de l’Instruction publique bernois Bernhard Pulver soupçonne: «Et cela à comme effet surprenant, qu’il y a davantage d’élèves à besoins éducatifs particuliers et de cas de syndrome d’Asperger quand une nouvelle voie pour accéder à des ressources apparaît.» Dans un article de la «Berner Zeitung», Bernhard Pulver déclare qu’il n’y a encore jamais eu autant d’enfants avec des syndromes d’Asperger, ou ayant des besoins éducatifs particuliers. Suite à cela, le directeur bernois de l’Instruction publique va analyser la situation pour obtenir une vue d’ensemble sur ce qui se passe dans le domaine de la pédagogie spéciale.
Source: Radio/TV suisse alémanique SRF 1,
Heute Morgen, 28/10/13

Au lieu de former les enseignant en pédagogie,
on distribue l’étiquette «élève à besoins éducatifs particuliers»
hhg. Début mai 2013, on pouvait lire dans la presse qu’également dans le canton de Zurich, le nombre d’élèves à besoins éducatifs particuliers a augmenté massivement: entre 2000 et 2010, de 61%! Selon la NZZ, le directeur de l’école publique de Winterthur, Stefan Fritschi, a expliqué qu’au cours des dernières années, on avait diagnostiqué de façon précipitée chez de nombreux élèves des besoins éducatifs particuliers. La responsabilité en revient à l’école publique normale. «Les spécialistes soupçonnent que ces écoles envoient de plus en plus souvent des enfants avec un comportement difficile dans les école spécialisées pour se faciliter la tâche.» Dans la «Berner Zeitung», on a pu lire récemment que, dans le canton de Berne, le nombre d’enfants autistes a augmenté entre 2005/6 et 2010/11 du facteur 47 (de 3 à 142 élèves); 95% de ces enfants ont obtenu un diagnostic de syndrome d’Asperger.
Sources: NZZ du 3/5/13, p. 17;
Berner Zeitung. www.bernerzeitung.ch/region/kanton-bern/Asperger-Eine-Diagnose-macht-
Karriere/story/11385072
Les difficultés avec des enfants «qui ne sont pas faciles à gérer» dans les classes doivent être résolues à l’aide de la pédagogie. Pour cela, il faut de nouveau offrir aux jardinières d’enfants et aux enseignants une formation, respectivement une formation continue, qui leur permette de redevenir de réels pédagogues en théorie et en pratique. Parallèlement, il faut biffer toutes les réformes scolaires nuisibles et les remplacer par un enseignement en classe sérieux et reposant sur de réelles bases pédagogiques.