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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°41, 13 octobre 2008  >  Quelle solution de la crise financière? [Imprimer]

Analyser les causes, rechercher les issues

par Francis Gut et Vera Ziroff Gut

Aux yeux d’une grande partie de l’opinion publique, la crise financière actuelle a deux visages: la chute des prix des immeubles aux Etats-Unis et ses conséquences, d’une part, le krach boursier international, d’autre part. Même s’il semble que ces événements marquent le début et la fin d’une série, l’ampleur de la crise et ses causes ne sont pas expliquées pour autant. On pourrait ajouter que les cycles du marché immobilier américain et le krach des marchés internationaux des actions n’ont rien d’exceptionnel. Il faut alors considérer les conditions cadres de ces événements afin de juger de leur portée et de faire les corrections adéquates. Pour élargir le débat, certaines réflexions ont été tirées d’un excellent texte de Michel Chossudovsky.1

Depuis le début de la mondialisation et de la concentration simultanée du capital, les Hedge Fonds, entités non soumises à quelque réglementation que ce soit, jouent un rôle important. Ils acquièrent des entreprises, bien ou mal gérées, ne craignent aucun effet de levier (rapport peu élevé entre les fonds propres et le total du bilan; par exemple, une entreprise bien menée est acquise avec peu de capitaux, ses meilleures entités en sont détachées pour être vendues avec un profit élevé.)

Ventes à découvert et politique des produits dérivés

Dans leur politique d’investissement, les Hedge Fonds parient aussi bien sur les gains que sur les pertes des entreprises cibles, si bien qu’ils sont habitués à des ventes à découvert (ventes à terme de valeurs, telles les actions, bien que le vendeur ne détienne aucune des actions en question au moment de la conclusion du contrat; par exemple, conclusion d’un contrat à terme à raison de CHF 100 pour fin juin 2009 avec l’espoir du vendeur que le cours descende entre-temps à CHF 80; si son pari se réalise, il achètera les actions à ce prix et les revendra au terme fixé au prix fixé de CHF 100.) Par la combinaison habile de diffusions de rumeurs et de ventes à découvert, la valeur boursière d’une grande banque peut être réduite au point de rendre une reprise de l’entreprise possible. Plusieurs des grandes banques d’affaires, qui ont connu récemment des difficultés, on été victimes de ventes à découvert. C’est ainsi que l’autorité de surveillance a appris que l’effondrement de Bear Sterns au mois de mars était dû à des ventes à découvert et à la diffusion de fausses rumeurs. Autre cas, révélé par le «Financial Times» du 17 septembre: dans un mémo adressé à quelques-uns de ses employés, le CEO de Morgan Stanley, John Mack, a écrit: «Que se passe-t-il ici? Pour moi, c’est tout à fait clair. Nous sommes sur un marché où règnent la peur et les rumeurs, où des gens qui vendent des titres à découvert font baisser le cours de notre action.»

Frais de guerre

Une autre cause de la crise est évidemment liée aux frais de guerre. Ceux-ci se montent à USD 500 milliards par année, frais des premiers mois de la nouvelle administration, à savoir USD 70 milliards, non compris. Depuis la Seconde Guerre mondiale, il s’agit des dépenses les plus élevées dans le monde entier. Financées par le contribuable, ces dépenses sont autant de fonds dont ne profitera pas la population civile, qui ne prendront pas la forme de dépenses sociales ou de formation.

Usage arbitraire du dollar

L’Organisation mondiale du commerce (OMC) et le Fonds monétaire international (FMI) contribuent à la crise en forçant les pays en développement, qui devraient protéger leurs industries naissantes contre la concurrence étrangère, à ouvrir leurs marchés.
Le remplacement du système de l’étalon de change-or par celui des changes flexibles, qui a eu lieu en 1971, s’est avéré encore plus important. A l’époque, les Etats-Unis ont refusé subitement de convertir en or les dollars présentés à l’échange au Système fédéral de réserve. Le système des changes flexibles qui ne repose que sur le dollar, monnaie dont la valeur est fondée, en dernière analyse, sur la force des baïonnettes, est totalement arbitraire. Le montant de la masse monétaire d’un pays peut être accru à volonté jusqu’à ce qu’une hyperinflation nous ramène à la réalité.

Déréglementation: passation du pouvoir de l’Etat aux groupes financiers

Ce changement de système monétaire équivaut à une déréglementation des marchés des changes internationaux, ce qui nous conduit à la raison principale de la crise: la déréglementation générale des marchés. Si elle a commencé dans l’économie réelle, après la Seconde Guerre mondiale, sous la direction idéologique de l’OCDE et grâce aux accords GATT, le mouvement s’est accéléré dans l’économie financière à l’époque de Reagan, à la suite du krach de 1987. Wall Street a prié alors poliment le ministère des finances et le Congrès de se tenir à l’écart et de renoncer ainsi à exercer leurs fonctions. L’époque de la «réglementation autonome» avait commencé: la réglementation du législateur était remplacée par une réglementation formulée par les intéressés, soit plus faible par définition. La naissance de grands groupes financiers en est résultée.

Géants bancaires incontrôlés

Le renoncement à séparer les différents types de banques a contribué aussi à la concentration économique. Après la grande Dépression de 1929, Franklin D. Roosevelt avait fait voter par le Congrès la loi Glass-Steagall, qui séparait les banques d’affaires (opérations sur titres, monnaies et matières premières pour la clientèle institutionnelle, c’est-à-dire les compagnies d’assurances et caisses de pension, fusions et acquisitions d’entreprises) des banques de dépôt (opérations de crédit). On entendait ainsi éviter les manipulations financières et les transactions d’initiés, par lesquelles des banquiers notamment s’enrichissaient aux dépends de leurs clients. Aux cours des dernières décennies, les banques ont ignoré toujours davantage cette législation, avec la bénédiction du gouvernement. Finalement, la loi de Financial Services Modernisation a aboli la loi Glass-Steagall en 1999. De plus, des alliances internationales ont été conclues sous la direction de Wall Street et ont abouti à la création d’autres groupes bancaires.
Les géants de Wall Street ont atteint une telle puissance qu’ils ont pu souvent éviter les contrôles et n’ont respecté, au mieux, que leur propre réglementation. Ils ont profité de législations analogues à l’étranger. Les accords de l’OMC et du FMI leur ont ouvert les portes des pays en développement.

Manipulations d’informations par des initiés: certains jonglent avec les milliards

Chossudovsky attribue la puissance des géants de Wall Street avant tout à leurs informations précoces, à leurs informations d’initiés, à leur capacité à manipuler et à prévoir des résultats, à leur capacité à répandre de fausses informations relatives à l’économie et aux tendances du marché, bref, à leur capacité à induire en erreur. Ce n’est donc pas un hasard si la CIA joue un grand rôle dans ce domaine. La «loi d’urgence de stabilisation économique», autrement dit le fonds de USD 700 milliards que le gouvernement Bush vient de faire adopter pour résoudre la crise, ne fait que perpétuer le même jeu peu appétissant. Les sociétés financières (banques, compagnies d’assurances, etc.) survivantes sont priées de se servir encore. Les gagnants de la crise sont la Bank of America, JP Morgan Chase (Rockefeller), la Federal Reserve Bank of New York, cette dernière en raison notamment de ses informations d’initiée, ainsi que tous les spéculateurs ayant profité d’informations d’initiés, notamment le lundi noir (29 septembre, chute des cours) et le jour suivant (hausse des cours). Certains analystes affirment que les gagnants ont provoqué la crise consciemment afin de gagner encore davantage, de concentrer encore davantage de pouvoir. D’autres prétendent même que le gouvernement Bush se propose ainsi d’affaiblir ses ennemis politiques, la Russie et la Chine, qui détiennent en masse des bons du Trésor des Etats-Unis.

Chances d’un renouveau véritable

Nous savons également quels sont les perdants: les employés des banques et compagnies d’assurances en faillite, dont les cadres supérieurs se sont souvent fait promettre des parachutes dorés, les propriétaires dont les maisons ont été saisies par les banques créancières et qui vivent maintenant en caravanes ou tentes hors de ville, les travailleurs licenciés en raison de la crise, qui cherchent de la marchandise encore mangeable dans l’arrière-cour des supermarchés, et les contribuables dont la récession imminente accroîtra encore le fardeau.
Même si quelques politiciens américains et européens demandent davantage de réglementation sur les marchés financiers, voire un rejet de la déréglementation et de la concentration économique, il incombe au citoyen, dans une première étape, de réclamer ce changement avec vigueur. De plus, tout ballon d’essai lancé en Europe et visant à créer un fonds de EUR 300 milliards «à l’américaine», ainsi que l’a tenté la marionnette française de Bush, Sarkozy, doit être ramené au sol au plus vite. Dans une seconde étape, les citoyens, qui constituent le souverain, examineront quel système monétaire plus proche du citoyen devra remplacer le système actuel.
Lors des dernières décennies, différents modèles de systèmes monétaires et de crédit ont été essayés dans les pays de langue allemande, tels la monnaie WIR, la monnaie de Chemgau, la monnaie franche et les modèles de coopération, qu’il vaut la peine d’examiner avant un nouveau début. Ce faisant, il conviendra de privilégier les solutions qui mettent l’accent sur des entités portant sur de petites zones, contrôlables et indépendantes.    •

1    Global Financial Meltdown, www.globalresearch.ca/Print/Article.php?articleld=10268