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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°31, 8 août 2011  >  La haute finance américaine asservit systématiquement ses débiteurs aux intérêts de leurs dettes [Imprimer]

La haute finance américaine asservit systématiquement ses débiteurs aux intérêts de leurs dettes

Une nouvelle forme d’impérialisme

par Eberhard Hamer

Certains aspects des crises de l’euro et de la finance mondiale qui nous paraissent absurdes pourraient obéir à une stratégie:

  • Pourquoi les citoyens américains ont-ils dû endosser la responsabilité étatique des spéculations ratées des banques de la haute finance?
  • Pourquoi les Etats de l’UE ont-ils dû assumer la responsabilité des pertes des banques spéculatrices?
  • Pourquoi la Réserve fédérale (FED), qui appartient à la haute finance, a-t-elle réduit à zéro le taux d’intérêt pour les banques qu’elle possède?
  • Pourquoi les banques spéculatrices internationales ont-elles imposé aux pays des crédits dont ils ne peuvent payer les intérêts à des taux normaux et surtout qu’ils ne peuvent pas rembourser?
  • Pourquoi Sarkozy, Trichet, Strauss-Kahn et Obama, qui étaient liés au milieu des «banksters» avant d’entrer en politique, ont-ils forcé les pays sérieux de la zone euro à endosser les dettes des Etats surendettés et transformé l’UE en une union de transfert au mépris de tous les statuts et traités?
  • Pourquoi la Banque centrale européenne (BCE) a-t-elle, contrairement à ses statuts, racheté plus de crédits pourris pour les Etats endettés (Grèce, Portugal) qu’elle n’a de fonds propres?
  • Pourquoi les banques internationales qui ont accordé des crédits pourris aux Etats en faillite ne peuvent-elles pas participer à la garantie de ces crédits?
  • Pourquoi, après les superprofits réalisés sur ces produits financiers pourris, on ne peut discuter que de responsabilité et de remboursements socialisés?
  • Pourquoi l’industrie financière mondiale et les gouvernements serviles refusent-ils avec une telle obstination de reconnaître l’insolvabilité des Etats débiteurs (Grèce, Portugal, Irlande, etc.) qui existe depuis longtemps?
  • Pourquoi les Etats débiteurs surendettés comme la Grèce et le Portugal n’ont pas le droit de se déclarer en faillite et d’assainir leurs finances?

A toutes ces questions, il existe des milliers d’explications politiques et économiques ou des propositions de solutions dont l’inconvénient réside dans le fait qu’elles sont partielles et ne laissent supposer aucune vision d’ensemble et encore moins une stratégie globale. La presse officielle fait en sorte que l’on ne puisse pas évoquer des «théories du complot» contre la haute finance.

Or toutes ces questions ont effectivement un sens quand on voit dans les phénomènes qu’elles révèlent des excès d’un plan stratégique caché. Cela vaut particulièrement pour le fait que la crise de l’endettement de certains pays européens et des Etats-Unis n’est pas résolue à court terme et donc de manière moins douloureuse, mais qu’on la traîne en longueur.

John Perkins est un homme courageux. Il vit toujours, quoique sous une autre identité. Pendant des années, il fut un des plus importants agents de la haute finance américaine et il a décrit les magouilles criminelles organisées par lui-même et ses collègues. Son livre passionnant intitulé «Les confessions d’un assassin financier» révèle les magouilles de la haute finance américaine et du gouvernement des Etats-Unis qui en dépend. Il apporte des réponses valables également pour la crise financière actuelle: «Les assassins financiers sont des professionnels grassement payés qui escroquent des milliards de dollars à divers pays du globe. Ils dirigent d’argent de la Banque mondiale, de l’Agence américaine du développement international (US Agency for International Development – USAID) et d’autres organisations ‹humanitaires› vers les coffres de grandes compagnies et vers les poches de quelques familles richissimes qui contrôlent les ressources naturelles de la planète. Leurs armes principales: les rapports financiers frauduleux, les élections truquées, les pots-de-vin, l’extorsion, le sexe et le meurtre. Ils jouent un jeu vieux comme le monde, mais qui a atteint des proportions terrifiantes en cette époque de mondialisation.» (p. XIII)

«C’est ce que les assassins financiers font le mieux: construire un empire global. Ils constituent un groupe d’élite d’hommes et de femmes qui utilisent les organisations financières internationales pour créer les conditions permettant d’assujettir d’autres nations à la corporatocratie formée par nos plus grandes compagnies, notre gouvernement et nos banques. Comme leurs homologues de la Mafia, les assassins financiers accordent des faveurs. Lesquelles? Des prêts pour développer les infrastructures: centrales électriques, autoroutes, ports, aéroports ou zones industrielles. Ces prêts sont octroyés à la condition suivante: ce sont des compagnies d’ingénierie et de construction américaines qui doivent réaliser tous ces projets. On peut donc dire qu’en réalité l’argent ne quitte jamais les Etats-Unis, mais qu’il est simplement transféré des banques de Washington aux compagnies d’ingénierie de New York, de Houston ou San Francisco.

Bien que l’argent retourne presque immédiatement aux compagnies membres de la corporatocratie (le créancier), le pays récipiendaire doit tout rembourser, capital et intérêts. Si l’assassin financier a bien travaillé, les prêts sont si élevés que le débiteur faillit à ses engagements au bout de quelques années. Alors, tout comme la Mafia, nous réclamons notre dû, sous l’une ou l’autre des formes suivantes: le contrôle des votes aux Nations unies, l’installation de bases militaires ou l’accès à de précieuses ressources comme le pétrole ou le canal de Panama. Evidemment, le débiteur nous doit encore l’argent … et voilà dont un autre pays qui s’ajoute à notre empire global.» (p. XX)

Les sommes illimitées nécessaires à ces magouilles, la haute finance américaine les obtient de la FED qui lui appartient. Il suffit de faire fonctionner la planche à billets. Au cours des 35 dernières années, la masse de dollars a été multipliée par 40 (alors que la production de biens n’a que quadruplé). Cet argent est le pouvoir permettant à la haute finance des Etats-Unis de dominer le monde, de s’assurer ses services et d’asservir ses débiteurs.

Perkins décrit comment, à l’aide de rapports d’expertise falsifiés, on impose des crédits démesurés aux pays, comment, par la corruption et la menace, on pousse les gouvernements à les solliciter. Ceux qui se montrent trop récalcitrants sont alors victimes d’«accidents», comme les présidents Torrijos (Panama) et Roldos (Equateur), ou réduits au «suicide», comme Allende (Chili), etc.

De même que, selon S. Rothschild, «qui a l’argent domine le monde», qui possède la FED dispose d’une machine produisant des quantités illimitées d’argent permettant de dominer le monde.

Cette nouvelle forme de domination mondiale consiste non pas à soumettre les peuples militairement mais à mettre à leur disposition des crédits démesurés pour les asservir ensuite financièrement au moyen des intérêts («asservissement aux intérêts»).

On retrouve le même principe dans la crise de l’euro:

La Grèce était déjà en faillite lorsqu’elle a été attirée dans l’UE grâce à des notes surévaluées et à des bilans falsifiés de Goldmann-Sachs. Dans cette nouvelle structure, les banques internationales ont accordé sans retenue des crédits jusqu’au moment où le pays fut non seulement surendetté mais insolvable.

Au lieu de permettre à la Grèce de se déclarer en faillite et ensuite d’assainir ses finances, les banques internationales – comme si c’était la seule solution possible – ont exigé et obtenu des autres pays de la zone euro un «plan de sauvetage» prétendument en faveur de la Grèce mais en réalité en faveur des dettes des banques, de sorte que celles-ci n’ont plus eu comme débitrice la Grèce uniquement mais que ses dettes sont devenues celles de tous les pays de l’UE et que cette dernière est devenue, par le Mécanisme européen de stabilité, une union de transfert.

Non seulement pour les pays de l’UE mais également pour les banques internationales, le plan de sauvetage était un moyen de se débarrasser de la totalité de leurs produits financiers pourris en les refilant aux divers pays et donc à la collectivité. Ils représentent une telle somme – 6000 milliards d’euros – que non seulement les pays débiteurs mais les pays sérieux ayant accepté de participer à la responsabilité solidaire ne pourront jamais s’en sortir et tomberont définitivement dans la servitude de la haute finance américaine. En Europe, au cours des 50 prochaines années, on travaillera donc moins pour la prospérité intérieure que pour payer les intérêts des crédits accordés par la haute finance.

Quand on a lu John Perkins, on comprend aussi pourquoi il fallait présenter l’endettement de l’Allemagne vis-à-vis de banques et de pays étrangers comme la seule solution possible. Il ne s’agissait pas de l’euro, pas même de l’Europe, mais de sauvegarder les crédits de la haute finance et d’éviter qu’en cas d’effondrement d’un pays ces crédits, et donc l’asservissement aux intérêts, ne disparaissent.

C’est pourquoi il ne doit pas y avoir de «participation privée» à ces dettes, c’est pourquoi les banques coupables ne doivent pas être mises à contribution pour désendetter les Etats – par exemple en rééchelonnant leur dette. Les dettes ne doivent plus être le problème des créanciers mais uniquement de l’Etat créancier et des Etats de la zone euro qui lui sont liés en responsabilité solidaire, en particulier l’Allemagne.

La domination mondiale de la haute finance au moyen de dollars émis sans retenue, de crédits et d’intérêts est une nouvelle forme d’impérialisme fondé non plus sur les baïonnettes mais sur les dettes.

L’endettement du monde envers la haute finance a en outre l’avantage qu’il survivra à la probable dévaluation prochaine du -dollar par rapport aux autres monnaies, qu’il restera même relativement identique. Le système est construit de manière si subtile que les citoyens et les pays croient que cela est dans leur intérêt ou dans l’intérêt de la «solidarité européenne» alors qu’en réalité, seul l’impérialisme financier en profite.

Cependant si les pays endettés, comme l’Argentine il y a quelques années, dévaluaient leur monnaie et cessaient de payer les intérêts, la haute finance aurait de très gros problèmes parce qu’à l’époque, leurs troupes mondiales d’intervention telles que le FMI, la Banque mondiale, le Fonds monétaire européen, etc. n’ont rien pu faire. L’Argentine s’est imposée et a même assaini ses finances. La haute finance doit donc tout mettre en ?uvre pour que de tels phénomènes ne se reproduisent pas, par exemple en Grèce, afin que leur édifice ne commence pas à s’écrouler. Mais elle a des auxiliaires complaisants au «Bureau politique» de Bruxelles, à la Banque centrale européenne, au FMI, etc. qui s’efforcent, au moyen du MSE, de faire durer l’endettement le plus longtemps possible.

Or il apparaît que pour la politique d’asservissement menée par la haute finance, il est judicieux de prolonger indéfiniment le problème plutôt que de le résoudre douloureusement mais rapidement parce que l’union de transfert et notamment la question de la reprise des dettes par l’Allemagne doivent encore être réglées définitivement avant qu’on trouve une autre solution.

(Traduction Horizons et débats)

«Le livre passionnant de Perkins, intitulé ‹Les confessions d’un assassin financier› révèle les magouilles de la haute finance américaine et du gouvernement des Etats-Unis qui en dépend. Il apporte des réponses valables également pour la crise financière actuelle: ‹Les assassins financiers sont des professionnels grassement payés qui escroquent des milliards de dollars à divers pays du globe. Ils dirigent d’argent de la Banque mondiale, de l’Agence américaine du développement international (US Agency for International Development – USAID) et d’autres organisations ‹humanitaires› vers les coffres de grandes compagnies et vers les poches de quelques familles richissimes qui contrôlent les ressources naturelles de la planète. Leurs armes principales: les rapports financiers frauduleux, les élections truquées, les pots-de-vin, l’extorsion, le sexe et le meurtre. Ils jouent un jeu vieux comme le monde, mais qui a atteint des proportions terrifiantes en cette époque de mondialisation.›» (p. XIII)

Germe de nouvelles crises

Malheureusement, il existe toute une série de facteurs qui nous incitent à être plus prudents dans nos appréciations. Certes, on a pu éviter une seconde Grande Dépression, mais le coût des mesures prises pour lutter contre la crise a été énormément élevé et il contient en germe de nouvelles crises. C’est tout d’abord le coût pour les budgets des Etats. La combinaison des pertes de recettes entraînées par la crise et de l’augmentation massive des dépenses nécessitées par les mesures anticrise ont conduit de nombreux pays au bord de la faillite. La crise de l’endettement européenne n’est que la conséquence la plus manifeste du phénomène. Le fait qu’en mai 2011 les inquiétudes à propos d’une restructuration apparemment inévitable de la dette de la Grèce aient fait la une des journaux montre que cette crise n’est pas encore maîtrisée. Mais la situation financière des Etats-Unis, aussi bien au plan fédéral qu’à celui des Etats, est si inquiétante que c’est là que pourrait apparaître le prochain foyer de crise important. De toute façon, il faudra des années pour que les budgets des Etats se rééquilibrent et que la situation se normalise.

Aymo Brunetti, Wirtschaftskrise ohne Ende?, p. 150 sqq.

thk. L’ouvrage d’Aymo Brunetti intitulé «Wirtschaftskrise ohne Ende?», paru en 2011, vaut la peine d’être lu. Il évoque les tenants et aboutissants de la crise économique et financière actuelle. Pour l’auteur, qui est à la tête de la Direction de la politique économique au Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) du Département fédéral de l’économie, professeur titulaire à l’Université de Bâle et professeur honoraire à l’Université de Berne, les conséquences de la crise économique ne sont pas encore surmontées et il est urgent de prendre des mesures. Il montre, dans une langue aisément compréhensible et de manière objective, comment la crise globale est née, comment les gouvernements et les banques centrales ont réagi et comment l’Union monétaire européenne a été ébranlée. Son ouvrage permet de se faire rapidement une idée des tenants et aboutissants complexes de la crise actuelle.