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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N° 43|44, 22 octobre 2012  >  Les répercussions collatérales de la guerre syrienne menacent le fragile Irak [Imprimer]

Les répercussions collatérales de la guerre syrienne menacent le fragile Irak

par Tim Arango, Bagdad

Pas plus de neuf mois après que les forces armées américaines aient mis fin à leur longue et dispendieuse occupation ici (en Irak), la guerre civile de Syrie met à l’épreuve la société fragile de l’Irak et sa toujours jeune démocratie. Elle aggrave les tensions confessionnelles, pousse l’Irak vers l’Iran et met les déficits de sécurité en pleine lumière.
De peur que des insurgés irakiens ne se liguent avec des extrémistes en Syrie pour mener une guerre sur deux fronts en faveur d’une suprématie sunnite, le Premier ministre Nuri Kamal al-Maliki a envoyé il a y peu des gardes à la frontière occidentale, pour empêcher des hommes adultes, voire des hommes mariés et pères de famille, avec leur famille en remorque, de pénétrer en Irak au milieu des milliers de fugitifs qui cherchent à échapper à l’usante guerre d’à côté.
Plus au nord les représentants des autorités irakiennes ont un autre souci qui est aussi en relation avec les combats au-delà de la frontière. Des avions de guerre turcs ont inten­sifié leurs attaques dans les montagnes contre les repaires de rebelles kurdes réveillés par la guerre en Syrie, ce qui souligne l’incapacité de l’Irak de contrôler son propre espace aérien.
En Syrie, le durcissement des positions des belligérants – qui résonnent dans tout l’Irak – devint évident aux Nations Unies, lorsque Lakhdar Brahimi, l’envoyé spécial pour la Syrie, transmit au Conseil de sécurité une appréciation démoralisante du conflit, en disant qu’il ne voyait pas d’espoir de percée dans un futur prévisible.
Les répercussions de plus en plus importantes de la guerre en Syrie ont attiré l’attention sur des réalités désagréables pour des fonctionnaires américains. Malgré presque neuf années d’engagement militaire – un engagement qui se poursuit aujourd’hui par un programme de ventes d’armes de 19 milliards de dollars – la situation sécuritaire en Irak est douteuse et son alliance avec le régime théocratique d’Iran se renforce. Le leadership irakien dominé par les chiites se montre tellement inquiété par une victoire des radicaux sunnites syriens qu’il s’est rapproché de l’Iran, lequel poursuit un intérêt similaire avec le soutien du Président ­Bashar al-Assad.
Des chefs de tribus irakiens ont raconté que des rebelles irakiens ont déjà tenté de se coordonner avec des combattants syriens pour initier une guerre régionale confessionnelle.
«Des combattants d’Anbar s’y rendent pour soutenir leur confession et les sunnites» affirma cheik Hamid al Hayes, un chef de tribu de la province d’Anbar dans l’ouest de l’Irak, qui commandait autrefois un groupe d’anciens rebelles, lesquels retournèrent leur veste et rallièrent les Américains qui combattaient Al-Qaïda en Irak.
En réaction, les Etats-Unis ont essayé de protéger leurs intérêts en Irak. Ils ont fait pression, sans succès, sur l’Irak pour qu’il arrête les vols d’Iran qui traversent l’espace aérien irakien. Ces vols transportent des armes et des combattants pour le régime d’Assad, bien que selon un reportage d’Associated Press, un porte-parole du gouvernement affirma à la fin de la semaine passée que l’Irak commencerait à fouiller les avions iraniens par sondages.
Alors que certains leaders du Congrès ont menacé d’arrêter l’aide à l’Irak si ces vols ne cessaient pas, les Etats-Unis essaient d’accélérer leurs ventes d’armes à l’Irak pour conserver celui-ci comme allié, selon le commandant responsable de ces interventions, le lieutenant général Robert L. Caslen Jr. Dans le cadre de la détérioration de la situation sécuritaire, les Etats-Unis ont de la peine de livrer des armes – avant tout antiaériennes – assez rapidement pour satisfaire les Irakiens, qui, dans certains cas, cherchent à se fournir ailleurs, surtout en Russie.
«Bien qu’ils veuillent un partenariat stratégique avec les Etats-Unis, ils reconnaissent leur point faible et ils ont intérêt à collaborer avec l’Etat qui est capable de leur permettre de combler les lacunes de leurs capacités aussi vite que possible», dit le Général Caslen, qui dirige ici un bureau du Pentagone chargé de servir d’intermédiaire dans la vente d’armes à l’Irak, bureau subordonné à l’Ambassade américaine.
Les Etats-Unis vont livrer à l’Irak des canons antiaériens révisés, gratuitement, mais ceux-ci n’arriveront pas avant le mois de juin [2013]. Dans l’intervalle, les Irakiens ont rassemblé des fusées datant de l’époque de la guerre froide qui ont été trouvées sur une décharge d’une base aérienne au Nord de Bagdad et ils essaient maintenant de les rendre utilisables. L’Irak négocie avec la ­Russie l’achat de systèmes de défense aérienne qui pourraient être livrés bien plus rapidement que ceux qu’ils achèteraient aux Etats-Unis.
Selon le Général Calsen, «l’Irak reconnaît qu’il ne contrôle pas son espace aérien, ils y réagissent vivement.» Chaque fois qu’un avion de combat turc pénètre dans l’espace aérien irakien pour bombarder des buts kurdes, des fonctionnaires irakiens «le voient, ils le savent, et ils leur en veulent».
Iskander Witwit, un ancien officier des forces aériennes irakiennes et membre de la Commission de sécurité du parlement, dit: «Si Dieu le veut, nous doterons l’Irak d’armes qui sont capables d’abattre ces avions».
A la fin de l’année passée, les militaires américains quittèrent l’Irak, après que des négociations sur un prolongement de la présence de troupes eurent échoué, parce que les Irakiens n’acceptaient pas d’accorder l’immunité juridique à une puissance restante quelconque. Au départ des Américains, l’Irak célébra sa souveraineté, alors que des représentants militaires des deux pays s’irritaient du manque de moyens de l’armée irakienne et ils cherchèrent des voies de collaboration qui ne nécessiteraient pas des débats publics sur des immunités.
L’Irak et les Etats-Unis sont en train de négocier un accord qui permettrait le retour en Irak de petits détachements de soldats américains aux fins d’opérations d’instruction. Selon le Général Caslen, sur demande du gouvernement irakien, une unité de soldats des «Special Operations» de l’armée a dernièrement été transférée en Irak, afin de fournir des conseils dans la lutte antiterroriste et pour l’aider avec des informations de services secrets.
D’après ce qui précède, le pays cherche toujours – bien qu’il s’appuie plus étroitement sur l’Iran et a l’intention d’acheter des armes à la Russie – le soutien militaire des Etats-Unis. La raison de cette attitude réside dans l’existence d’un mouvement insurrectionnel auquel il est toujours confronté, et dont les attaques fréquentes posent la question de savoir si les forces de combat irakiennes contre le terrorisme sont capables de faire face à cette menace.
A Anbar, selon le chef de tribu Hayes, des insurgés ont constitué des troupes sous le nom d’Armée irakienne libre qui sont liées à al-Qaïda, ce qui leur permet d’imiter l’étendard sous lequel des sunnites syriens combattent. «Ils se rencontrent et se livrent au recrutement» dit-il. Le groupe a aussi un compte sur twitter et une page sur facebook.
Des unités semblables se sont formées dans la province de Diyala et selon des fonctionnaires sur place, ils ont utilisé un appel aux armes en Syrie comme instrument de recrutement. Lorsque des combattants meurent en Syrie, les enterrements sont organisés par les familles irakiennes dans le secret, pour ne pas attirer l’attention des forces de sécurité dominées par des chiites sur le fait qu’elles ont envoyé leurs fils en Syrie. Selon un collaborateur local des services secrets, un enterrement a eu lieu il y a peu, et la famille a affirmé que le combattant tombé avait perdu la vie dans un accident de la circulation et non, comme cela s’est effectivement passé, dans les combats autour d’Alep.
Quand des politiciens occidentaux réfléchissent à une intervention en Syrie, ce qui les inquiète, c’est que la guerre dans ce pays pourrait devenir un vrai conflit confessionnel, comme celui qui engloutit l’Irak de 2005 à 2007. Pour les Irakiens qui s’enfuirent à cette époque en Syrie et qui reviennent à présent – pas de leur plein gré, mais pour sauver leur vie – la Syrie c’est déjà l’Irak.
«C’est exactement comme ce qui se passait en Irak» raconta Zina Ritha, 29 ans, qui après plusieurs années passées à Damas retourna à Bagdad. A propos de l’Armée libre de Syrie (A.L.S.), Zina Ritha dit: «L’A.L.S. détruit les maisons des chiites. Ils enlèvent des gens, avant tout des Irakiens et des chiites».
Un de ces derniers matins, Zina Ritha visita avec sa belle-mère un centre local pour des gens revenant chez eux, où les familles reçoivent une indemnité de quatre millions de dinars irakiens ou environ 3400 dollars du gouvernement. Les gens dans le centre disent que pour les Irakiens, il n’y a pas de sécurité en Syrie: les chiites sont attaqués par des insurgés, les sunnites par les forces gouvernementales. Et on peut leur tirer dessus à chaque instant, simplement parce qu’ils sont étrangers.
Abdul Jabbar Sattar, un homme dans la quarantaine vivant seul, est sunnite. En ­juillet, à Damas, après un attentat à la bombe, au cours duquel plusieurs fonctionnaires des forces de sécurité haut gradés perdirent la vie, son quartier d’habitation souffrit jour et nuit de tirs incessants. Il retourna en Irak avec quelques habits et juste un peu d’argent, parce qu’on le dévalisa durant sa fuite.
«C’est la même situation qu’autrefois en Irak», dit il, «chacun a peur de l’autre».    •
Ont collaboré à ce reportage: Duraid Adnan, Yasir Ghazi et Omar al-Jawoshy de Bagdad, et un employé du New York Times de la province de Diyala.

Source: The New York Times du 24/9/12

(Traduction Horizons et débats)