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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°15, 14 avril 2008  >  L’Afghanistan a besoin d’aide au lieu de bombes [Imprimer]

L’Afghanistan a besoin d’aide au lieu de bombes

Un entretien avec Mohammed Daud Miraki, actuellement à Kaboul, en Afghanistan

Horizons et débats: Monsieur Miraki, il y a un mois seulement, vous avez passé quelques semaines en Afghanistan. Comme nous n’apprenons pas grand chose sur ce pays et sur la situation là-bas, nous vous demandons de nous informer sur cette dernière.

M. D. Miraki: La situation est effectivement plus grave que l’année dernière. Je peux décrire la situation en Afghanistan seulement avec les mots de désespoir, pauvreté, maladie, manque absolu de travail quelconque et une économie artificielle adaptée aux besoins des ONG étrangères et des forces armées. Chaque jour, les Afghans sont poussés davantage à bout. Et chaque petite lueur d’espoir que les êtres humains avaient encore s’est éteinte. Ils n’attendent plus que leur propre fin, leur propre mort. Chaque jour, les gens sont préoccupés seulement de savoir où ils peuvent se procurer assez d’argent pour se payer un repas chaud mais pour la plupart la seule nourriture est un morceau de pain; quelques-uns ont peut-être plus de chance et mangent une fois par jour un repas chaud, mais pour la majorité des gens, c’est un vrai luxe.

Quelle est la situation dans les villes comme Kaboul?

Si vous allez dans les grandes villes comme Kaboul, vous voyez toute une armée de sans-abri, d’orphelins, de veuves et de réfugiés internes. Les réfugiés internes sont des gens qui ont quitté leurs villages après des opérations militaires de l’OTAN et des Américains dans les différentes parties du pays. Les habitants sont forcés de quitter leurs villages et d’aller dans les grandes villes dans l’espoir d’y trouver du travail et des chances de survie. Ils sont déçus, ils ne trouvent rien et particulièrement ceux qui viennent des provinces plus chaudes à Kaboul, perdent les membres de leur famille à cause du froid parce que dans les provinces d’où ils viennent, ils ne sont pas habitués au temps froid de Kaboul. Ils veulent éviter d’être touchés par les bombardements de l’OTAN. Cependant, maintenant ils perdent les membres de leur famille à cause du froid, car ils sont devenus des réfugiés à la suite des bombardements américains et de l’OTAN.
L’inégalité est si monstrueuse que 0,01% de la population, c’est-à-dire une poignée de collaborateurs et de traîtres vivent dans des maisons coûtant des millions de dollars et en même temps les 99,99 % restants vivent dans un désespoir absolu et dans la pauvreté.

Pouvez-vous constater une différence par rapport à vos visites précédentes?

J’étais en 2005, en 2006 et en 2007 en Afghanistan, la dernière fois, c’était il y a un mois. Il n’existe là-bas aucun progrès dans le développement de l’infrastructure, on n’a goudronné aucune route, on n’a construit aucune canalisation, on ne dépense pas un sou pour les écoles et les hôpitaux; il n’y a aucun progrès visible ou mesurable. Certes, il existe des travaux conceptuels, une organisation par ci par là mais c’est tout. Le contenu de la Constitution, le mode d’élection et le système politique importent peu aux Afghans. Aussi longtemps qu’ils n’auront pas assez à manger, aussi longtemps qu’il n’y aura pas d’assistance médicale, aussi longtemps qu’ils seront sans abri, le système politique leur sera complètement indifférent.

En quoi consisterait le progrès pour les Afghans?

Pour les Afghans, le progrès se montre sous d’autres formes que pour les grandes puissances. Les Afghans manquent de choses essentielles qu’ils ne peuvent pas obtenir. Quelqu’un a dit que six ans ne représentaient pas beaucoup de temps, vu les destructions massives et le travail à faire. Mais j’ai répondu: «Oui, mais pendant six ans, on a assez de temps pour au moins donner de l’espoir aux habitants.» Cependant, pendant ces six années, tout espoir chez les gens a été détruit.

Ce pays, n’avait-il pas depuis toujours de gros problèmes?

Vous savez, je ne voudrais pas comparer la situation du passé avec celle d’aujourd’hui, parce qu’il y avait aussi auparavant de la pauvreté et des destructions. Mais la différence par rapport à la situation actuelle est que les gens ont été trompés. On leur a dit: «Nous sommes venus pour aider, nous sommes venus pour aider», mais on a envoyé de prétendus milliards de dollars en Afghanistan et on n’a aucune preuve là-dessus. Sur chaque dollar dont les Américains prétendent avoir fait don, 86 cents n’ont pas quitté les USA et le gouvernement afghan ne reçoit qu’une minime partie pour payer des salaires. Le plus grave est le bavardage sur l’économie de marché libre en Afghanistan et sur le fait que le gouvernement afghan ne doit pas se sentir reponsable d’aider la population. Comme ce dernier dépend de petits dons provenant d’autres pays, il doit faire des sermons sur l’économie de marché libre dans un pays où règne une extrême pauvreté. Après une guerre, un gouvernement doit se soucier des besoins fondamentaux mais le gouvernement afghan n’y est pas parvenu. La corruption est plus grave que jamais et même les médecins dans les hôpitaux publics demandent de l’argent avant de faire une opération. On ne peut rien reprocher à ces gens quand on voit qu’un fonctionnaire afghan obtient un salaire de 40 dollars par mois tandis qu’un spécialiste étranger en reçoit 20 000. Et celui qui perçoit 40 dollars doit dépenser 19 à 22 dollars pour la farine. Les 18 dollars restants ne suffisent en aucun cas. Ceux qui ne possèdent pas de maison sont poussés simplement à la corruption et à d’autres choses pour payer le loyer. C’est donc un désastre à tous points de vue.

Vous avez parlé du temps après la guerre, mais est-ce le cas? La guerre continue pourtant bien comme vous nous l’avez dit.

Le pays se trouve effectivement encore en plein état de guerre, une ONG a publié il y a quelques semaines un rapport sur la sécurité, dans lequel elle désigne l’année 2007 comme le début de la guerre en Afghanistan. De plus, il était écrit que nous savions maintenant que les Talibans n’avaient pas été vaincus en 2001 mais qu’ils avaient seulement entamé un repli stratégique. Ils ont raison. La guerre a lieu dans chaque coin de l’Afghanistan. Une autre fabrique à penser a donné un rapport dans lequel elle estime que 54% de l’Afghanistan est dans les mains de la résistance et le reste dans les mains de l’OTAN respectivement des Américains et du gouvernement actuel.
Même Kaboul est maintenant un champ de bataille. Des attentats-suicides ont souvent lieu, il n’y a aucune sécurité. La semaine dernière seulement, ils ont commis un attentat contre cet hôtel de luxe au centre de Kaboul. Il est situé juste à quelques centaines de mètres du palais présidentiel. Si même cet endroit-là n’est plus à l’abri, alors la sécurité n’existe nulle part. Le problème, c’est que les forces armées américaines et de l’OTAN ont toujours vu la solution pour l’Afghanistan dans des opérations militaires. Ils n’ont pas compris qu’on ne peut pas convaincre l’Afghanistan au moyen de fusils et de bombes. De cette manière, la population devient davantage encore un adversaire et une véri­table résistance se développe. S’ils avaient investi l’argent qu’ils ont dépensé pour bombarder et tuer la population afghane, il y aurait de l’espoir pour l’Afghanistan. Alors, il y aurait une perspective et un espoir de stabilité. Mais au lieu de cela, les dépenses militaires dépassent celles pour le développement de 900%. Il y a un soldat étranger pour 746 Afghans, mais seulement un médecin pour 7066 Afghans. Tout est taillé pour les opérations militaires. Rien n’a été fait, rien n’a été atteint où l’on pourrait dire qu’il y a quelque chose de positif.

A part la guerre, y-a-t-il autre chose qui joue un rôle dans la détresse et la misère en Afghanistan?

A Kaboul, avant, les gens allaient avec leur famille le vendredi, le jour férié officiel là-bas, dans les parcs pour pique-niquer. Mais à cause du non-sens de l’économie de marché libre, le gouvernement ne dépense pas d’argent pour des projets publics, qui profiteraient à tous les Afghans parce qu’ils leur donneraient un bel environnement et de l’espoir. Il n’y a aucun parc où les gens peuvent profiter de leurs jours fériés. Comme on ne se fait pas de souci au sujet de l’environnement, on ne réfléchit pas non plus sur le problème de la poussière omniprésente. Il y a tellement de poussière qu’on ne peut pas aller dans la rue sans péril pour sa santé car la poussière contient des particules d’uranium qui condamment les êtres à une mort permanente. La semaine dernière seulement, j’ai entendu dans une émission de radio de Kandahar qu’il y a eu là-bas en 2006 et en 2007 une augmentation soudaine de malformations congénitales. C’est le même schéma qu’en Irak: la période de latence de cinq ans est passée et il y a soudain une augmentation des malformations, des cancers etc …

Professeur Miraki, où voyez-vous l’avenir pour l’Afghanistan?

Seuls les Afghans peuvent s’occuper de leur avenir et pas les forces armées étrangères, et les Afghans doivent eux-mêmes décider de ce qu’ils veulent. Si le monde veut aider, il doit arrêter de tirer. Il doit mettre un terme aux bombardements. S’il continue de la même manière au lieu d’aider les habitants, il détruit les êtres et il ne leur reste plus rien. C’est pourquoi, je vais retourner en Afghanistan. Si le système gouvernemental actuel reste, il y aura des élections dans ce pays en 2009. J’irai là-bas et me présenterai pour l’élection présidentielle en tant que candidat indépendant qui représente les gens du peuple, et je défierai le statu quo et l’agression militaire, et je me porterai garant de l’espoir, de la paix et de la stabilité. L’Afghanistan a besoin d’un dirigeant courageux qui n’a pas peur, quelqu’un venant du peuple et qui n’a pas été amené par les forces étrangères, quelqu’un qui sert le pays. C’est seulement ainsi que l’Afghanistan retrouvera un avenir et une stabilité.

En ce qui concerne la situation en Afghanistan – que pouvons-nous faire en Europe pour aider?

La seule chose qu’on doit faire est de dire aux pays membres de l’OTAN que l’armée doit arrêter de bombarder, qu’ils doivent tendre la main pour la réconciliation et inviter la résistance à la table des négociations parce que les canons ne règleront aucun problème en Afghanistan. La haine et la résistance contre les occupants augmenteront dans la même mesure que les opérations militaires s’étendront. Vous savez, les Américains ont planifié récemment d’envoyer 3200 marines en Afghanistan pour renforcer leurs troupes. Effectivement, la résistance salue cela parce qu’elle préfère tirer sur des soldats américains plutôt que sur des Afghans.
Si quelqu’un veut savoir comment l’Afghanistan fonctionne, il doit regarder dans l’histoire la manière dont ce pays est venu à bout des troupes étrangères. Personne n’a jamais conquis l’Afghanistan par des moyens militaires. Les Afghans sont des êtres très reconnaissants. Si des gens veulent venir en hôtes pour aider, ils sont très sociables. Mais s’ils viennent avec des fusils, alors les Afghans se lèveront comme tous les êtres humains pour défendre leur pays. Nous ne parlons pas ici des Talibans mais des civils qui sont bombardés quotidiennement. Quand des civils sont tués, ils sont désignés comme combattants des Talibans, même s’il s’agissait d’enfants. Dans le film sur le massacre de Helmand, nous voyons comment 27 enfants ont été tués et ce qu’ont ensuite déclaré les Américains: «Nous avons tué des Talibans» et en vérité ils ont assassiné des civils. Partout dans les villages, ils détruisent des maisons, ils bombardent des places et ils pensent qu’ils peuvent régler le problème de cette façon. Mais maintenant, les gens ordinaires des villages prennent les armes pour leur autodéfense. On parviendra à une solution à l’aide de négociations et non pas à l’aide fusils.

Monsieur Miraki, merci beacuoup pour cet entretien.    •