Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°25, 29 juin 2009  >  Sommes-nous prêts à la guerre avec un Iran diabolisé? [Imprimer]

Sommes-nous prêts à la guerre avec un Iran diabolisé?

Pourquoi les USA veulent délégitimer les élections iraniennes

par Paul Craig Roberts, USA*

Quelle attention les médias américains accordent-ils aux élections japonaises, indiennes, argentines ou à celle de tout autre pays? Combien d’Américains, ou de journalistes américains savent-ils qui exerce des fonctions politiques dans un pays étranger, si l’on excepte l’Angleterre, la France et l’Alle­magne? Qui connaît les noms du chef de gouvernement suisse, néerlandais, brésilien, japonais, voire chinois?
Mais beaucoup connaissent Ahmadinejad, le Président iranien. Pour une raison évidente: les médias US le diabolisent chaque jour.
La diabolisation d’Ahmadinejad par les médias US suffit à illustrer le degré d’ignorance des Américains. Le Président iranien n’est pas un souverain. Il n’est pas commandant en chef des armées. Il ne peut décider d’aucune ligne politique en dehors des limites fixées par les souverains iraniens: les ayatollahs, qui refusent de voir l’argent américain précipiter la révolution iranienne dans une des «révolutions colorées».
Les Iraniens ont fait d’amères expériences avec l’administration US. Leur premier gouvernement démocratique, après avoir débarrassé le pays de son statut d’occupé et de colonisé a été renversé par les USA dans les années 50. Ces derniers ont remplacé le candidat élu par un dictateur qui torturait et assassinait tous ceux qui, à sa différence, pensaient que l’Iran devait être indépendant et non gouverné par une marionnette dont les USA tiraient les fils.
La «superpuissance» américaine n’a jamais pardonné aux ayatollahs iraniens la révolution iranienne à la fin des années 70. Ces derniers ont renversé le gouvernement fantoche du pays, pris en otage le personnel de l’ambassade US, considérée comme un «repaire d’espions»; pendant que des étudi­ants iraniens reconstituaient les documents de l’ambassade, déchiquetés par un destructeur de documents et qui prouvaient la complicité des USA dans le renversement de la démocratie iranienne.
Les médias américains, véritable Ministère de la propagande sous le contrôle du gouvernement, ont réagi à la réélection d’Ahmadinejad en montrant en boucle des Iraniens qui contestaient par la violence des élections entachées de fraude. Fraude que l’on donne pour avérée, alors qu’il n’en est aucune preuve. A l’époque de George W. Bush et Karl Rove, une fraude électorale parfaitement avérée a été, elle, tout simplement ignorée par les médias US.
Les chefs d’Etat britannique et allemand, à notre botte, se sont joints aux opérations américaines de «guerre psychologique». Bien que discrédité, le Ministre britannique des Affaires étrangères, David Miliband, a exprimé lors d’une rencontre interministé­rielle européenne à Luxembourg ses «graves doutes» quant à la victoire d’Ahmadinejad. Il se contente de suivre les instructions dictées par Washington et d’ajouter foi aux affirmations du candidat battu, le préféré de l’administration américaine.
La chancelière allemande, Angela Merkel, s’est elle aussi laissée forcer la main. Elle s’en remet à l’ambassadeur iranien pour exiger «plus de transparence» en matière électorale.
Même la gauche américaine s’est rangée à la propagande du gouvernement. Dans un article de The Nation,1 Robert Dreyfus présente les opinions d’un dissident iranien survolté comme la vérité absolue sur ces «élections illégitimes», qualifiées de «coup d’Etat.»
Quelle est la source d’information des médias US et des Etats à leur botte? Uniquement les affirmations du candidat battu, que Washington préfère.
Mais on a des preuves solides du contraire. Des sondeurs américains ont mené avant les élections une enquête indépendante et objective. Ken Ballen, sondeur au Center for Public Opinion, et Patrick Doherty, de la New America Foundation, deux organisations à but non lucratif, publient leurs résultats dans le Washington Post du 15 juin. Le sondage a été financé par la Fondation Rockefeller et réalisé en farsi par un «institut de sondage dont le travail dans cette région, effectué pour le compte de ABC News et de la BBC, a été récompensé par un Emmy Award».2
Les résultats de ce sondage, la seule information véritable dont nous disposions à ce jour, montrent que les résultats du vote correspondent aux souhaits du peuple iranien. Nous apprenons, entre autres informations extrêmement intéressantes, que

«nombre d’experts prétendent que la large victoire du Président en fonction, Mahmoud Ahmadinejad, est le résultat d’une fraude ou d’une manipulation, mais notre sondage, effectué dans tout le pays 3 semaines avant les élections, montre qu’Ahmadinejad recueillait les 2/3 des voix – un succès plus net que celui que lui ont accordé les urnes.
Alors que les actualités occidentales montraient, dans les jours précédant le vote, l’enthousiasme de l’opinion publique à Téhéran en faveur de Mir Hussein Moussavi, le principal opposant, nos échantillons, recueillis de manière scientifique dans la totalité des 30 provinces, donnaient Ahmadinejad clairement gagnant.
Les seuls groupes de population qui donnaient à Moussavi la majorité ou un nombre de voix équivalent étaient les étudiants ou universitaires et les ménages les plus riches. Lorsque nous avons effectué notre sondage, presque un tiers des Iraniens était encore indécis. Mais la répartition des voix que nous avons constatée reflète celle qu’ont annoncée les autorités iraniennes, ce qui suggère l’absence de fraude électorale massive.»

De nombreuses informations font état d’un programme US de déstabilisation de l’Iran. On a écrit que les USA finançaient des attentats à l’explosif et des assassinats sur le sol iranien. Pour les médias américains c’est un motif de vantardise, car c’est une illustration de la capacité des USA à mettre au pas les pays étrangers qui ne pensent pas comme eux. Pour quelques médias étrangers, c’est la preuve de l’amoralité intrinsèque de l’administration américaine.
L’ex-chef des armées pakistanaises, le général Mirza Aslam Beig, a déclaré le 15 juin à Pashto Radio que des informations incon­testées, recueillies par les services secrets, attestent l’ingérence des USA dans les élections iraniennes: «Ces documents prouvent que la CIA a dépensé 400 millions de dollars pour fabriquer ex nihilo une révolution colorée, mais creuse.»
On a beaucoup parlé et beaucoup discuté de l’efficacité avec laquelle les USA ont financé des «révolutions colorées» dans les ex-républiques soviétiques d’Ukraine et de Géorgie, ainsi que dans d’autres parties de l’ex-empire soviétique, ce qui pour les médias américains attestait la toute-puissance et le droit naturel des USA, alors que les médias étrangers y voyaient un signe de l’ingérence US dans les affaires intérieures d’autres pays. Il n’est sûrement pas impossible que Mir-Hussein Moussavi soit un vendu, un agent payé par l’administration américaine. Il nous faut pas nous voiler la face devant les opérations de guerre psychologique que les USA mènent par le biais de médias américains et étrangers, aussi bien en direction des Américains que des étrangers. Nombre d’articles ont traité de ce sujet.
Considérez les élections iraniennes sous l’angle du simple bon sens. Ni moi ni la grande majorité de mes lecteurs ne sommes grands connaisseurs de l’Iran. Mais simplement sous l’angle du bon sens: Si votre pays était constamment sous la menace d’une invasion par deux pays disposant de forces armées infiniment supérieures aux vôtres, comme l’Iran du fait des USA et d’Israël, abandonneriez-vous le défenseur le plus acharné de votre pays pour lui préférer le candidat favori des deux autres?
Croyez-vous que le but des élections iraniennes est de faire du pays un Etat satellite des USA?
L’Iran est une société ancienne et raffinée. Une grande partie des intellectuels est sécularisée. Un pourcentage significatif, sinon important, de la jeunesse sacrifie à l’idéologie hédoniste et ultra-individualiste occidentale. L’argent américain est parfaitement à même d’organiser ces fractions pour les faire crier haro sur leur gouvernement et les restrictions que l’Islam impose à leur comportement.
L’administration américaine se sert de ces Iraniens occidentalisés pour créer les conditions d’un discrédit jeté sur les élections et le gouvernement iraniens.
Le 14 juin le bureau de Washington de McClatchy,3 qui essaie parfois de donner des informations exactes, s’est rangé à l’idée d’une guerre psychologique menée par Washington et a déclaré: «Les résultats des élections iraniennes nuisent aux efforts d’Obama pour établir des relations avec l’Iran.» Derrière ces mots se profile la laide grimace de «l’échec diplomatique» qui justifierait le recours à la solution militaire.
Connaissant parfaitement de l’intérieur les procédés de l’administration américaine, je pense que cette administration, en manipulant les médias américains et ceux de ses Etats satellites, projette de discré­diter le gouvernement iranien en le présentant comme l’oppresseur de son propre peuple, dont il essaie d’étouffer la volonté. Ce faisant, l’administration américaine prépare une agression militaire de l’Iran.
Avec l’aide de Moussavi l’administration américaine fabrique un autre «peuple opprimé», qui, comme les Irakiens sous Saddam Hussein, a grand besoin de l’argent et du sang américains pour se libérer. Moussavi, le candidat des USA aux élections iraniennes – et qui a été battu – avait-il été choisi par Washington pour devenir le dirigeant fantoche de son pays?
La grande superpuissance machiste a soif de rétablir son hégémonie sur le peuple iranien et ainsi solder ses comptes avec les ayatollahs qui en 1978 avaient mis fin à la domination américaine sur l’Iran. Voilà le scénario choisi. On le voit chaque minute à la télévision.
Une kyrielle d’«experts» soutient ce scénario. Un exemple parmi cent: Gary Sick, naguère membre du Conseil national de Sécurité et actuellement enseignant à la Columbia University.
«S’ils avaient eu des ambitions plus modestes et avaient dit qu’Ahmadinejad avait remporté l’élection avec 51% de voix, déclare Sick, les Iraniens auraient eu des doutes, mais ils auraient accepté le verdict. Mais quand le gouvernement proteste qu’Ahmadinejad a obtenu 62% des voix, ce n’est plus crédible». «Je pense, poursuit Sick, qu’un seuil a été franchi: la révolution islamique, qui revendiquait de tirer sa légitimité du soutien de la population, se maintient de plus en plus par la répression. La voix du peuple reste ignorée».
Or la seule information fondée est le sondage mentionné plus haut, qui donnait Ahmadinejad comme favori, avec 2/3 d’intentions de vote.
Mais là comme toutes les fois où il s’agit de l’hégémonie américaine sur d’autres peuples, la vérité et les faits ne jouent aucun rôle. Nous sommes dans le règne du mensonge et de la propagande.
Dévorée par leur ambition hégémonique, les Etats-Unis sont condamnés à triompher des autres, au mépris de la morale et de la justice. Leur scénario continuera à se dérouler, menaçant le monde entier, jusqu’à ce qu’eux-mêmes se conduisent à la banqueroute, après s’être aliénés le reste du monde au point de se retrouver isolés et partout méprisés.     •

*Paul Craig Roberts a été Sous-secrétaire au Trésor de la première administration Reagan et coéditeur du Wall Street Journal. Il a reçu de nombreuses distinctions, dont le William E. Simon Chair, Center for Strategic and International Studies, Georgetown University, et le Senior Research Fellow, Hoover Institution, Stanford University. Le Président français François Mitterrand l’a décoré de la Légion d’honneur. Dernier ouvrage paru: The Tyranny of Good Intentions: How Prosecutors and Bureaucrats Are Trampling the Constitution in the Name of Justice (en collaboration avec Lawrence M. Stratton) [La tyrannie des bonnes intentions: comment des procureurs et des bureaucrates piétinent la Constitution au nom de la Justice] (2000).
(Traduit par Michèle Mialane et révisé par Fausto Giudice, www.tlaxcala.es)

1    Hebdomadaire US de gauche
2    The Iranian People Speak, par Ken Ballen et Patrick Dohert, Washington Post du 15/6/09
3    McClatchy est une maison d’édition américaine comptant au total 14 000 collaborateurs et éditant plusieurs journaux et plates-formes Internet, dont le McClatchy Washington Bureau.

Opérations de services secrets menées contre l’Iran?

«D’anciens et actuels fonctionnaires travaillant pour les services secrets ont informé ABC que la CIA avait reçu une autorisation secrète du président de mettre en place une opération secrète et couverte afin de déstabiliser le gouvernement iranien.

Source: Brian Ross et Richard Esposito dans ABC News du 24/5/07, d’après: Paul Craig Roberts.
Are the Iranian Election Protests Another US Orchestrated «Color Revolution»? (Est-ce que les
protestations contre le résultat électoral en 2009, en Iran, représentent une nouvelle «Révolution colorée» orchestrée par les Etats-Unis?) 19/6/2009. www.vdare.com/roberts/090619_Iran.htm

«M. Bush a mis sa signature sous un document officiel préconisant des projets menés par la CIA en faveur d’une campagne de propagande et de désinformation visant la déstabilisation et finalement le renversement du régime théocratique des mollahs.»

Source: «London Telegraph», du 27/5/2007, d’après: Paul Craig Roberts.
Are the Iranian Election Protests Another US Orchestrated «Color Revolution»? …

«Selon des sources du service secret militaire et du congrès, le congrès américain a approuvé une motion soutenue par le président Bush, fin 2008, qui avait pour but de financer l’extension des opérations secrètes contre l’Iran. Ces opérations pour lesquelles le président Bush a demandé environ 400 millions de dollars ont été décrites dans une directive signée par Bush et ont pour but de déstabiliser la direction religieuse du pays.»

Source: Seymour Hersh dans The New Yorker, du 29/6/2008, d’après Paul Craig Roberts.
Are the Iranian Election Protests Another UX Orchestrated «Color Revolution»? …

«Le N.E.D., National Endowment for Democracy, a dépensé des millions de dollars pour faire avancer des «Révolutions colorées». […] Une part de cet argent a apparemment réussi à parvenir entre les mains des groupes sympathisants de Moussavi, qui ont des liens avec des organisations non gouvernementales basées en dehors de l’Iran, qui, elles aussi, sont financées par le N.E.D.»

Source: Kenneth Timmerman, néoconservateur,
à la veille des élections présidentielles en Iran, d’après Paul Craig Roberts.
Are the Iranian Election Protests Another US Orchestrated «Color Revolution»? …
(Traduction Horizons et débats)

La propagande sur Internet des USA

Dès le début des manifestations, l’émetteur américain Voice of America, et la radio britannique BBC, diffusant sur ses ondes des émissions en persan, con­stituent la source d’informations principale pour bien des Iraniens. Les réseaux online Facebook et Twitter basés aux Etats-Unis, sont d’une importance immense pour les manifestations en cours.
Le gouvernement des USA est au courant de ce que valent ces instruments. C’est le 15 juin dernier que le fondateur de Twitter, Jack Dorsey, a reçu un courrier électronique officiel du ministère des Affaires extérieures.
Dans ce mail on avait demandé aux responsables de Twitter de renvoyer des travaux de maintenance pour réparer le système. Il s’agissait d’empêcher la fermeture du système Twitter en République d’Iran. Le «New York Times» avait désigné cette démarche comme étant un tournant dans l’Histoire médiatique. Le gouvernement américain aurait reconnu ainsi qu’un service de microblogging n’ayant pas encore quatre ans d’existence aurait le potentiel de changer le cours de l’Histoire, et cela dans un pays islamique marqué par une culture ancienne de plusieurs milliers d’années déjà.

Source: Spiegel Online du 17/6/09

Un copain de Michael Ledeen

Ce n’est pas un secret que l’ancien président américain George W. Bush, qui avait mis Téhéran sur la liste des pays appelés «l’Axe du Mal», a fait dégager par le Congrès en 2002 déjà 20 millions de dollars pour la «promotion de la démocratie en Iran». En 2006, l’administration américaine a accordé encore 75 millions de dollars. Une partie de cet argent était destinée à des «cercles d’amis» en Iran, et à diverses organisation non-gouvernementales et de droit humains. On ne sait pas si partie de ces sommes sont parvenues à Moussavi et ses conseillers à Londres et à Paris. Ce qu’on sait de source certaine, c’est que Moussavi est depuis le milieu des années 80 un bon ami du néoconservateur américain extrême, Michael Ledeen. En 2001, Ledeen avait fondé la «Coalition pour la démocratie en Iran» (CDI) pour – tout comme l’ancien directeur du CIA Woolsey – travailler à un changement de régime à Téhéran. Moussavi et Ledeen ont fait connaissance, lors de l’Affaire Irangate. Ils ont un ami commun en la personne de l’ancien trafiquant d’armes Manuchehr Ghorbanifar, personnage – clé dans cette affaire et agent de divers services secrets.

Source: «junge Welt» du 17/6/09