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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°42, 8 octobre 2012  >  Il n’y a pas de sécurité sans confiance ni coopération [Imprimer]

Il n’y a pas de sécurité sans confiance ni coopération

La vision de paix d’Alfred Nobel: libérer le monde de l’étau mortel du militarisme

par Fredrik S. Heffermehl

hd. De puissantes forces, qui misent sur la guerre, se trouvent de nouveau face au désir des êtres humains qui souhaitent la paix et dont un grand nombre s’engage dans ce sens. Qui croit pouvoir rester simple spectateur passif face à cette lutte se trompe. Celui qui ne s’investit pas pour la paix de toutes ses forces, ne fait que renforcer les forces qui veulent la guerre. On ne peut pronostiquer avec certitude que les grandes puissances mettront en marche leurs objectifs de guerre, en y entraînant l’Europe. Cela pourrait être le cas, si … Surtout si la résistance et l’engagement pour la paix sont trop faibles. Des personnalités, telles que Frederic Heffermehl et Alfred de Zayas, nous montrent le chemin. Les diagnostics de Frederic Heffermehl ne concernent pas que la Norvège et les mots d’Alfred de Zayas ne valent pas que pour un jour. En effet, la sentence «Pax optima rerum» – la paix est notre bien le plus précieux – est toujours valable.

Lors d’une promenade récente je passais devant un établissement horticole – ou plutôt, je le traversais – car il était tout ouvert et tout un chacun pouvait y passer entre les fleurs et les épices. Il y avait aussi une caisse enregistreuse sur une table, mais je n’ai pas cherché à savoir si elle contenait de l’argent. Cela m’a rappelé deux choses: quelles merveilles la nature nous offre, en toute beauté et en toute utilité – il faut avoir bien soin de la nature – et combien est importante la confiance. Cette dernière est indispensable aux êtres humains si l’on veut disposer d’une vie et d’une société agréables – et je pense qu’il en va de même entre Etats. Il n’y a pas de sécurité sans confiance ni coopération – et cela est aussi, comme je l’ai découvert, la vision de paix d’Alfred Nobel. C’est encore plus vrai et important aujourd’hui qu’en 1895, quand il rédigea son testament.
A notre époque, vouloir imposer la force militaire comme méthode, est une erreur fatale qui va à l’encontre du maintien de la paix. Les armées coûtent des sommes astronomiques et menacent la vie; dans une époque où existe un grand nombre d’armes atomiques, notre survie est sérieusement remise en question.
La plupart des discussions à ce sujet sont mal parties, car elles oublient les fondements – le droit international, dont le principe essentiel et décisif est l’interdiction des guerres. Les médias trahissent le droit international quand ils présentent les guerres et les projets de guerres, comme si la guerre était une option, une question de décision pratique et pragmatique.
Après la Seconde Guerre mondiale on clama: Plus jamais la guerre! Nous avons mis en place l’ONU, avons formulé sa charte dont la règle suprême veut que les membres renoncent à la force militaire.
Mais les médias aiment les conflits et les disputes. Ils ont beau être importants, mais ils font fausse route quand il s’agit d’assurer la paix. Mais dans les relations internationales, le droit devrait être respecté également par beaucoup d’autres. Un juge allemand, un de mes amis dans la société allemande Ialana, qui regroupe les juristes opposés aux armes atomiques, et auteur de l’analyse de mon livre consacré à Alfred Nobel, paru dans Horizons et débats, a dénoncé, il y a 10 jours, un conseiller du gouvernement allemand pour s’être exprimé sur la guerre de Syrie sans avoir évoqué l’interdiction des guerres.
Mon point de départ est que le non-sens de la guerre doit cesser. C’est une défaite de l’Etat de droit qu’il soit encore possible de contraindre de jeunes hommes de se précipiter sur les champs de batailles pour y tuer ou y mourir. C’est inacceptable, une dystopie au cours du développement humain.
Il ne suffit pas d’avoir un point de départ, soit l’interdiction de toute guerre, mais aussi de se munir d’idées et de modèles pour un monde sans guerre, comment réaliser un Etat de droit international. En se fixant un objectif, une perspective, l’échange de vue prendra une toute autre tournure.
Nous sommes pris dans un système de pensée; la plupart des réflexions concernant la sécurité sont imbibées de rhétorique guerrière, avec en arrière-plan les instruments de la guerre et les vieilles pensées: Peace enforcement, imposer la paix à l’aide de l’armée, donc d’actions violentes.
On s’appuie sur la méfiance et pas sur la confiance; on développe sa force pour se sentir sûr. Mais, avec la technologie militaire actuelle on ne fait qu’augmenter l’emploi dans l’industrie de l’armement. Une tradition historiquement puissante, une politique de domination et d’importants intérêts économiques font le reste pour tromper les populations et pour empêcher qu’elles prennent conscience des alternatives.
J’ai poursuivi des études de droit, puis je suis devenu avocat pour l’industrie. Et je m’imaginais que la liberté de pensée, Freedom of Speech, et les droits politiques fonctionnaient correctement chez nous. J’y ai cru jusqu’au jour où j’ai utilisé moi-même ces droits à la critique et à la protestation, afin de promouvoir d’autres idées que celles usuelles dans la société, autrement dit jusqu’au moment où j’ai voulu avancer à contre courant.
Je vais donner deux exemples qui touchent les deux à la question de la paix et de l’Etat de droit.
D’abord Alfred Nobel: Ce n’est qu’au bout de trente ans d’activités dans les mouvements pacifistes que j’ai tout à coup découvert l’objectif de Nobel avec son prix pour la paix. Son testament parle d’un prix «pour les combattants de la paix» et les décrit comme des gens qui tentent de réaliser une «fraternité des Nations» par le désarmement et par des congrès pour la paix. L’objectif est clair, Nobel voulait soutenir le mouvement pour la paix antimilitariste, c’est-à-dire libérer le monde de l’étau mortel du militarisme.
En bref: il voulait, par son testament, en se précipitant dans la civilisation et la culture humaines, mettre en place un Etat de droit au niveau international.
Cinq ans ont déjà passé depuis que j’ai découvert cette intention qui voulait donner un contenu juridique au prix Nobel. J’estimais qu’il était normal que le comité Nobel suive le testament et son mandat. Il ne m’apparaissait pas possible que les cinq membres du comité, désignés par le Parlement norvégien, s’inquièteraient si peu de la volonté de Nobel et de la loi. Actuellement, les parlementaires sont décidés à utiliser ce prix comme objet de négociations dans leur pacte et leurs relations avec les Etats-Unis – ils sont bien décidés à ne pas faire revivre Nobel et ses intentions.
Il ne reste plus que le nom, le prix n’a plus rien à voir avec Nobel. Depuis cinq ans, je n’ai reçu aucune réponse à ma plainte. La réponse consiste en silence ou stupidité. Le comité se compose d’adversaires de leur propre tâche. C’est un scandale que le prix le plus important du monde soit tombé dans les mains de ses adversaires politiques. Un prix au caractère antimilitariste a été repris par des politiciens militaristes. C’est parfaitement inacceptable. La majorité du Parlement norvégien a volé l’argent et l’attention destinés à l’opposition, aux dissidents du mouvement de la paix.
Mon livre sur le prix Nobel, traduit en norvégien, anglais, chinois, suédois et finlandais, n’a pas eu l’heur d’attirer leur attention. Les milliers d’articles de presse n’ont pas d’effet. Le comité s’appuie sur la conviction que le droit c’est le pouvoir, c’est-à-dire le contraire de l’Etat de droit. Il se trouve que le principal responsable de cette situation, le président du comité Thorbjørn Jagland, est en même temps secrétaire général du Conseil de l’Europe, qui doit promouvoir la démocratie et le droit en Europe.
L’autre exemple est celui de mon ami et professeur de droit pénal à Oslo, Ståle Eskeland, qui a étudié pendant cinq ans la criminalité internationale: les agressions, la torture, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre. Son livre «Les pires crimes» a paru en juin 2011. Ce livre dénonce, preuves à l’appui, le gouvernement norvégien d’avoir été complice de plusieurs crimes internationaux, au Kosovo, en Irak, en Afghanistan, en Libye. On aurait pu s’imaginer que cela suscite un intérêt – mais la seule réaction fut un silence étourdissant.
Quelle image cela donne-t-il de la démocratie et de l’Etat de droit en Norvège?
Je me souviens qu’il y a quarante ans, les discussions sur l’environnement étaient un échange d’arguments et de points de vue. Puis apparurent les bureaux de communication, les spin-doctors dont l’activité consistait à répandre les connaissances nécessaires aux entreprises de production causant des dégâts à la nature pour contourner les plaintes dirigées contre elles. Le plus simple était de se taire pour se faire oublier – ne pas répondre, ne pas s’agiter, attendre que cela passe que les disputes soient oubliés.
Cette façon de pratiquer ne cause peut-être pas beaucoup de dégâts dans la vie économique, mais dans la culture politique cela conduit au désastre. Cela mine la démocratie et l’Etat de droit. Dans mon livre sur Nobel j’ai décrit à quel point il est important de rechercher la vérité; les débats doivent tenir compte des faits importants, les arguments doivent obtenir des réponses honnêtes.
Si ce n’est pas le cas, alors c’est la condamnation à mort de la démocratie et de l’Etat de droit. A mon avis, la démocratie est une façon de résoudre les conflits dans la paix, c’est une alternative au pouvoir autocratique. Mais dans la nouvelle forme de démocratie, les échanges de paroles ne sont qu’une autre forme de violence.    •

Frederik S. Heffermehl est juriste et écrivain. Il vit à Oslo, Norvège.
(Traduction Horizons et débats)