A propos des jeux d’enfants

par Dieter Sprock

Les enfants aiment jouer. Pas seulement les enfants des hommes. A chaque occasion qui s’offre pour observer le jeune être, on est frappé par sa joie de vivre, sa joie de bouger et de découvrir le monde et d’expérimenter de nouvelles choses. Qui ne connaît le jeu de jeunes chiens, quand ils se courent après, qu’ils zigzaguent, qu’ils s’arrêtent soudain, qu’ils regardent ce que l’autre fait et recommencent à courir, ou bien les sauts exubérants des petits veaux sur la prairie …? Nos enfants aussi aiment jouer et bouger, quand leur joie de vivre n’a pas été enrayée par une éducation erronée.

Une culture de consommation et de jeux, artificielle pour les enfants

Il existe de nos jours un marché gigantesque qui approvisionne nos petits et grands avec tous les jouets possibles: en partant des simples hochets et maracas en plastique pour les tout petits, passant par les poupées de mode sorties d’un studio de design, les rollers, les trottinettes et planches à rou­lettes avec les parcs correspondants et la tenue appropriée comme les casquettes, les pantalons et les chaussures et jusqu’aux télé­phones portables, vidéos, jeux informatiques et tueurs. Chaque jour une nouveauté vient s’y ajouter.
Une armée de stratèges de marketing, entraînés psychologiquement, développent constamment de nouveaux produits et tentent de faire marcher le commerce par des mé­thodes toujours plus raffinées. On provoque toujours plus de convoitises. La publicité agressive à la télévision et sur Internet, dans les films et les magazines de jeunes, s’adresse directement aux enfants, qui font alors pression sur leurs parents. Dans les magasins, on place les articles pour enfants ainsi que les sucreries de telle manière qu’ils butent dessus. La publicité spécule sur le fait que les parents craignent un conflit devant tout le monde, et cèdent.
De nombreux parents bien intentionnés croient que leurs enfants ont besoin de tous ces jouets pour être heureux et qu’ils leur font plaisir quand ils cèdent à leurs désirs. Cela touche souvent aussi des familles plus pauvres, souvent étrangères, qui admirent le superflu de la société de consommation occi­dentale et veulent y faire participer leurs enfants, au moins un peu. Les enfants n’en seront pas plus heureux. Au contraire. L’artificielle culture de consommation et de jeux d’enfants produit des enfants mécontents qui convoitent constamment des produits nouveaux et encore plus chers, afin d’acquérir du prestige parmi leurs camarades du même âge. On admire celui qui possède les produits les plus récents et les plus chers. Les enfants qui ne participent pas à cette bataille matéri­elle sont exclus et harcelés; un grand problème dans beaucoup d’établissements scolaires.
Actuellement, cette frénésie d’achats a atteint une telle dimension qu’ils dépassent le budget de nombreuses familles et c’est de­venu un réel problème.

Des parents résistent

Encouragés par des entretiens avec des amis, des voisins et d’autres parents du quartier qui souffrent aussi de la consommation de divertissement, beaucoup de parents ont décidé de ne simplement plus laisser l’abus de la consommation aux mains de leurs enfants. Ils se sont mis ensemble et ont développé des idées originales: il y a des familles qui ont fait disparaître la télé; elle est simplement tombée en panne. Depuis, la vie de la famille s’est améliorée de façon radicale. Les parents passent plus de temps ensemble et avec leurs enfants. On bavarde de nouveau autour de la table familiale, les parents font la lecture à leurs enfants, jouent avec eux et leur parlent: c’est un vrai plaisir. D’autres ont décidé de ne plus emmener leurs enfants dans les centres commerciaux. Ils ne veulent pas les éduquer à devenir des consommateurs imbéciles. Ils font de nouveau des randonnées et montrent aux enfants les beautés de la nature. Ainsi, ils donnent la meilleure réponse à l’hypercommercialisation des jeux d’enfants.

Les enfants ne font pas la différence entre jeu et travail

Les enfants jouent aux adultes. La petite fille parle avec sa poupée comme sa mère lui parle, avec les mêmes mots et sur le même ton. Elle fait les courses et la cuisine, la lessive et les gâteaux de la même manière que sa mère. En jouant, le garçon est enseignant, conducteur de locomotive, maçon ou menuisier comme son père. Avec une chaise, il fait une locomotive; avec une couverture par-dessus, une tente. Des passagers imaginaires montent et descendent et le conducteur contrôle les billets. Un petit morceau de bois est une fois un bateau, une autre fois une voiture ou un avion qui permet les voyages les plus magnifiques. La fantaisie enfantine ne connaît pas de limites.
On n’a pas besoin de tout ce fourbi produit par l’industrie des jouets. En comblant les enfants de jouets, nous étouffons leur créativité propre, nous les excluons en même temps du monde réel et nous les préparons à ce style de vie infantile qui caractérise notre société de consommation occidentale, dans laquelle le «shopping» constitue le sens de la vie pour bien des gens.
Les enfants jouent le quotidien des adultes. Ils ne distinguent pas le jeu du travail. Ce sont les adultes qui font cette distinction. Les enfants jouent en travaillant et travaillent en jouant. Ils veulent participer, contribuer et avoir une signification. A ce sujet, il existe un film suisse impressionnant intitulé «Berg­auf, Bergab». Il décrit la vie d’une famille de paysans de montagne et la manière dont elle réussit à intégrer deux jeunes garçons dans les travaux quotidiens.

Inclure les enfants dans les travaux quotidiens

Les enfants possèdent toutes les qualités nécessaires pour devenir de bons partenaires. Et nous les adultes, nous avons le devoir de bien réfléchir à quoi nous voulons les éduquer. Le monde a besoin de toute urgence d’individus qui sont capables d’aborder les tâches qui se présentent, en tant qu’êtres humains et de citoyens, et de contribuer à leur solution. Nous ne pouvons pas nous per-
mettre plus longtemps de dorloter nos enfants jusqu’à ce qu’ils deviennent incapables d’assumer leur vie et que leurs pensées ne tournent plus qu’autour de la satisfaction de leurs propres désirs, ou qu’ils imposent égoïstement et sans égards leurs intérêts éphémères aux autres. Si nous voulons renforcer la solidarité entre les hommes, nous devons faire en sorte que les enfants préservent leur joie de vivre et qu’ils développent une puis­sance créatrice qui sert alors le bien de la communauté.
Les enfants s’orientent naturellement sur leurs parents. Ils veulent grandir et devenir adultes. Nous ne leur disons pas qu’ils doivent apprendre à marcher. Ils s’entraînent inlassablement par leur propre impulsion. A peine l’enfant peut-il marcher, qu’il veut déjà porter le vase de valeur; et il le fait avec grand soin quand on lui en donne l’occasion et qu’on le guide.
Les filles veulent devenir comme leur mère et les garçons comme leur père. Les mères et les pères doivent remplir leur place en tant que personnalités adultes afin que leurs enfants puissent s’orienter sur eux. L’idéologie qui veut éliminer les différences entre hommes et femmes et qui exige qu’on se mette au niveau de l’enfant est erronée. Les enfants ont besoin de modèles adultes et d’une éducation aimante et adulte. Des parents qui reportent sur leurs enfants les impressions non assimilées de leur propre enfance et leur propre pitié de soi et qui veulent leur assurer pour de fausses raisons une meilleure enfance, ne peuvent être des guides.
Quand les parents intègrent leurs enfants lors de l’énoncé de l’emploi du temps de la journée, cela a des effets positifs. Même les petits enfants sont capables d’aider et ils le font volontiers. «On peut débarrasser la table du petit déjeuner ensemble. Après, je dois écrire une lettre. Pendant ce temps, tu peux continuer à construire ta tour. Ensuite, on prend un bon casse-croûte. Tu peux m’aider à préparer le repas. Tu peux donner à manger au chat. Cela, tu peux le faire tout seul. Il aime toujours quand tu lui donnes son lait.» C’est ce genre de messages que la mère peut donner à son enfant pour la matinée.
Quand les enfants collaborent, il se peut qu’au début certaines choses prennent plus de temps. Mais qu’est-ce que ça peut faire si l’on réussit à en faire de bons partenaires? Les enfants, qui tout petits sont habitués à assumer des tâches, se sentent faire partie de la communauté. Leur contribution leur donne de l’importance au sein de celle-ci et les pré­pare à assumer leurs devoirs de manière responsable quand ils seront devenus des citoyens adultes.•

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